Tu savais la trouver là. Le calme de la campagne de Nausikaa tranche avec le brouhaha incessant d'Olympus district depuis ton retour. C'est comme-ci tu avais oublié ce qu'était le silence ou plutôt, ce qu'était le calme. Face au simple bruit du vent dans la végétation et des oiseaux tu te sens presque oppressé. Tu poses ta main sur ta poitrine pour t'intimer au calme, puis tu avances. C'est le battement du sien qui te guide jusqu'à elle.

— Si tu le fais, peut-être que je déserterais mon poste.

Tu viens t'asseoir en silence à côté d'elle. Ton costume fait tache dans ce paysage où tout n'est que détente. Ton regard se fige sur l'eau devant toi.

— Je me doutais que tu serais là.

Tu tournes la tête vers elle.

— Et je me suis dit que je n'avais rien à perdre à m'extraire de la folie de la ville, ne serait-ce que quelques heures.

Tu étouffes un peu. L'air se réchauffent ces derniers jours. Tu étends ta jambe malade devant toi et laisses un soupir d'aise franchir tes lèvres. Tu tires sur ta cravate pour la desserrer un peu et ouvrir le premier bouton de ta chemise et ainsi laisser au vent le privilège de rencontrer ta peau.

— Un peu. J'ai pu rassurer la fratrie, mais ils restent inquiets. Il semblerait que j'ai mauvaise mine. Les petits ont dit que je ressemblais à un zombie.

Tu ricanes, plies ta jambe valide avant t'allonger un peu plus sur l'herbe.

— Je suis désolé, pour la dernière fois. Je ne voulais pas te faire fuir.

C'est étrange, la vitesse où se déplacent les nuages. On représente souvent le ciel comme stable, alors qu'il est plein de mouvement. Tu vois les formes cotonneuses blanches revêtir des apparences un peu moins abstraites, plus concrètes. Tu suis du regard un nuage qui te fait vaguement penser à un lièvre en plein bond. C'est marrant, on dirait qu'il va bondir sur le nuage d'à côté.

— Ça y ressemblait, oui.

Tu tournes doucement la tête vers elle, rencontre son regard clair. Tu l'observes pendant d'interminables secondes, sens ton cœur doucement accéléré et, pourtant, ton estomac se tord, comme si tu avais un sac de plomb à l'intérieur.

— Je ne sais pas où on en est, Diane.

Y avait-il seulement un mot pour vos définir. Tu es plus que jamais conscient de la bague à doigt, de son contact froid. Comme un serment passer aux dieux. Tu as juré sur le Styx que tu ne l'abandonnerais plus.

— Mais je crois commencer à comprendre que quoi qu'il arrive tu seras toujours celle que je choisirais.

Et pour le moment, ça ne te semble pas encore trop cruel ou douloureux. Aphrodite sait que ça le sera bientôt.

— Au final, ton absence me fait plus de mal que de bien. Peut-être les dieux m'ont puni, finalement. Nous, ça me manque.

Tu détournes la tête pour fixer de nouveau le ciel. Le lièvre est loin, il a laissé place à d'autres formes blanches.

— Je ne te demande pas d'être ma petite amie de nouveau. Mais j'ai juré sur le Styx, je veux me repentir. Faire les choses bien, pour une fois.

Et ça pèse, lourd, tellement lourd sur son estomac. La pression d'être ce qu'elle mérite d'avoir, de ne plus être lâche. Tu fermes brièvement les yeux.

— Je crois que je t'aime encore, finalement.

Et tu ne sais pas, c'est bizarre. Jamais ton amour pour elle ne t'avait fait mal. Il y a... Comme une impression de "fatal" dans tout cela. Comme-ci vous étiez à la fois votre remède et votre propre poison. Quelque chose ne tourne pas rond.

Vous êtes trop lucides. Tu n'aurais jamais pensé que cette qualité puisse devenir un défaut. Mais c'est un fait. Lucides, vous l'êtes trop. Ton regard dérive sur les nuages au-dessus. Tu ne lui mentiras pas, tu considères que ce serait trahison et lâcheté. À Diane, tu ne veux dire que la vérité.

— Oui, c'est vrai.

Elle te manque. Nous te manque. Mais ça te fait mal aussi. Tu n'arrives pas à ne pas la voir comme une pénitence, la personnification de ta couardise. Tu dois faire mieux, Bellamy. Tu dois faire beaucoup mieux. Pour elle. Quand tu seras parfait, tu ne souffriras plus. Tu dois te racheter, te pardonnes et ce n'est qu'en te dévouant à elle qu'elle te l'accordera ce droit au répit qui porte le nom de : Pardon.

Elle se redresse et tu la suis du regard, prends tant de hauteur qu'elle te force à te redresser sur tes coudes. Tu lèves la tête vers elle, dans le contre jour on la dirait bénie.

— Diane...

L'enjeu est grand. Un bref instant, tu ressens cette même bouffée de panique que tu as eue à un mois du mariage. Cette peur de ne pas pouvoir, de ne pas savoir, de n'être pas capable. Cette peur de ne pas être digne et à la hauteur. Tu envisages de fuir, plante tes doigts dans la terre pour te maintenir. C'est que tu ne veux plus, tu ne peux plus. Tu as promis : il suffit d'être à l'écoute de ses peurs. Maintenant, tu as le devoir d'être courageux.

— Je jure.

L'impression qu'on te passe une laisse autour du cou mais qu'il en soit ainsi. Tu as promis. Tu ne peux plus être lâche. Tu en a assez que rien en se passe comme tu l'espères. Tu dois être parfait. Tu fais du bonheur un challenge personnel. C'est presque en la défiant du regard que tu te lèves pour lui face. Tes doigts sont maculés de terre lorsque tu lui prend la main, penches ton visage sur le tien.

— Si je te trahis encore, tu pourras me faire ce que tu veux, j’accepterai ma punition.

Tu cherches ses lèvres, laisses vos peaux se frôler.

— Je jure, Diane. Je t'appartiens.

Tu te penches encore l'embrasse. C'est doux, un peu timide, similaire à votre premier baiser, il y a de ça une éternité.

— À partir de maintenant ton bonheur est et sera mon ultime priorité.

Tu souris, tu la penses sérieuse. Tu sais mieux que personne à quel point Diane peut être retord lorsqu'elle le veut. Mais c'est d'accord, tu acceptes sans concession ses conditions car tu ne penses ne pas avoir le droit à la moindre négociation. Trop zélé quand il s'agit d'assumer tes fautes après des années à les nier. Et si ton cœur est lourd, et si tu le sens le poids de l'angoisse peser sur ton ventre, tu l'ignores. Tu te dédies à elle, entièrement à elle. Commets sans le savoir ton premier faux pas. Tu l'interroges du regard, savoir si tu peux l'amener plus à toi pour la prendre dans tes bras. Tu niches ton nez dans ses cheveux, entrouvres très légèrement les yeux pour fixer l'eau derrière elle.

— Pardon de t'aimer aussi.

Tu t'éloignes un peu pour croiser son regard de nouveau.

— Il est souvent dit que le temps est le remède à tout.

C'est le genre de phrase bateau que tu balances à tes frères et sœurs mais auxquelles tu ne crois pas.

— En vérité, je ne sais pas. Nous verrons bien.

Tu n'es pas médecin et tu doutes que la bibliothèque d'Athéna puisse répondre à ces questions. Tu laisses doucement tes doigts se lier au sien. Ça te fait bizarre de les tenir de nouveau, comme autrefois.

— Je suppose qu'on peut commencer par ne plus s'ignorer dans les couloirs et laisser les messages de l'autre sans réponses.

Et tu veux vraiment bien faire. Tu n'as ni le sentiment de te trahir, ni celui de lui mentir. Tu veux, vraiment, faire pour le mieux. Mais a l'amour se mêle le devoir et tu confonds ton bonheur avec la servitude que tu as juré de lui vouer. Mais qu'importe pour le moment. Pour le moment, il n'y a qu'elle. Alors ses doigts dans les siens tu l'écoutes. Tu fermes les yeux pour te gorger du calme des lieux, car le calme de chez elle sera bien différent.

— Dans ce cas rentrons.

Tu tires un peu sur sa main pour la guider dans les plaines, en direction de la ville. Tu ne dis rien d'autre, vous n'en avez jamais vraiment eu besoin. Tu ne quittes pas ses doigts à un seul instant. Si vous croisez des regards surpris, tu n'y fais pas attention. Tu lèves la tête vers ce bâtiment que tu as quitté comme un voleur il y a de ça peu de temps. Ton regard croise le sien et tu lui offres un sourire un brin timide avant de l'accompagner jusqu'à sa porte. Tu te surprends, malgré toi, à retrouver les anciens rituels, même si c'est maladroit eu mal à l'aise. Les clés dans le pot de l'entrée, le genou posé au sol pour la déchausser. Les mains que tu glisses sur ses jambes avant de poser, le temps de quelques secondes, ton front contre son ventre et souffler. Puis tu te relèves, lui prend de nouveau la main pour l'amener jusqu'à la chambre, jusqu'au lit, ou tu t'assois et la laisses se blottir, une main dans ses cheveux blonds.

— Dors, maintenant.

Après tout, ça fait si longtemps.

— Il est déjà, 17h.

La journée a passé vite. Tu n'as rien fait. Rien de tout ce que tu t'étais promis. Rien de tout ce que tu t'oblige à faire pour gagner le droit au sommeil. Pourtant, tu ne te détaches pas d'elle. Tu observes son visage se redresser vers toi, son doigt, insolent, se glisser derrière le nœud de ta cravate alors ton cœur, pourtant si fatigué, trouve le moyen de battre plus vite et dans ton ventre, l'excitation s'agite.

Le souffle un peu plus court, tu la laisse te tirer, tes lèvres venir épouser les siennes, une fois, deux fois, trois fois, une multitude de fois qui se vont de moins en moins chastes, de plus en plus fiévreuse. Tu ne sais pas ne pas t'attarder sur la façon dont ton estomac se tord, ce stress mêlé d'euphorie alors que tu la sens et que tu te rends comptes à quel point tu la désires encore. Tu glisses tes doigts contre sa joue, puis contre son cou, jusqu'à ce qu'ils caressent, un peu tremblant, la peau de son décolleté.

Tu souffles légèrement quand vos lèvres se séparent. Tu entrouvres les yeux, l'interroges du regard. Tu pourrais lui dire que tu la veut, tu pourrais lui dire que tu l'aimes. Mais les mots semblent creux, similaires à ceux que tu pouvais souffler aux autres quand tu disais que c'était bon, quand tu disais que tu les voulais. Alors c'est en silence que tu l'embrasses de nouveau, plus pressent, que tu viens glisser tes doigts sur les courbes de son cœur, que tu tu viens glisser ta bouche contre sa nuque, contre son épaule, alors tu déshabilles sa poitrine pour mieux l'embrasser, elle aussi. Qu'amoureusement, sans la violence de la dernière fois, de la laisse te mettre à nu, que tu la serres contre toi, parcours fiévreux son dos pour la coucher contre le lit, la redécouvrir, brûler dans une tendresse coupable mais enfin retrouvée les sentiments qui ne se sont jamais arrêté. Célébrer, enfin, que vous vous soyez retrouvé.