pendant la captivité ※ cage de angeLe corps est plumes ;
Le corps est lourd pourtant ;
Les douleurs s’agitent en courant le long des nervures.

La cage est trop petite pour l’aigle trop immense ;
On ne rate aucune des dorures sur les plumes brunes et blanches, brillent fières pourtant Ange a honte quand elle est là lamentable à gigoter la gueule ouverte à pleurer sur son sort à demander pardon à rire parfois - l’esprit se perd les sons sont sourds elle veut hurler

Hurler hurler hurler ;
Le nom de David - mais elle a promis de faire semblant.
Le nom de Dionne - mais elle veut la garder en vie elle aussi.
Ange est seule.
Seule toute seule si seule à vrai dire ;

Alors quand la silhouette toute lumière éclaire l’obscure noirceur du regard de Ange elle est hypnotisée comme la première fois ; l’aurore est belle lorsqu’illuminée du visage de Sasha - Sasha - Sasha - Sasha ;
Les odeurs font vrombir un coeur à l’agonie.

Hah -

Se réveille d’une torpeur à faire froid dans le dos, comme si la mort grondait au dedans depuis des millénaires.

Tu es là. Que tu es beau - encore plus beau qu’hier - beau ce sera ton nom aujourd’hui.

Mais les plumes elle n’en veut pas, Ange, alors elle tire sur son cou ;
Elle veut être humaine - humaine rien qu’un peu - les plumes se confondent à sa peau laiteuse, le regard est doré et brille dans l’obscurité d’un renfoncement de la cage -
Mais ce sont des cheveux qui naissent au dessus de son crâne et des doigts qui remplacent lentement les serres ; les griffes toujours acérées alors.
Les jambes nues embrassent un sol froid.

Le regard se lève à la cigarette.
Et elle ricane.

Hah - non - je ne veux pas de ça. Je ne veux que toi. Reste un peu, ne pars pas.

Couchée là, relevée que de moitié, elle tourne sur elle-même, le dos vient manger le bitume et le visage bascule en arrière pour toujours le regarder -
Ses yeux ne pourraient le quitter trop longtemps - sa seule lumière dans la noirceur de son âme tourmentée.

Qui demande ? Toi, les autres ? Qui demande, ton coeur ou ta tête ?

Perd la tête les yeux dans le vide ;
Ange panique, perd son souffle - il est dur de garder forme humaine - elle grince des dents plisse les yeux de douleur quand certaines plumes se mêlent à sa chevelure.

Je ne voulais plus manger Bellamy. Ai-je voulu un jour ? On m’a dit de le faire sortir. Et Ange obéit toujours. Mais à toi je peux obéir aussi, tu sais ? Dis ce que Ange doit faire. Je ferai pour Beau ce que Beau demande ; si Beau reste encore. Il faisait froid ici avant que tu n’arrives.

pendant la captivité ※ cage de angeAux promesses murmurées, Ange se berce. Elle s’en imagine un milliers, il dit je reste et elle entend “je t’aime” car ce sont les seuls mots qui rassurent l’âme déchirée. Alors le rire détonne entre des maudites lèvres presque humaines et les gerçures qui vont avec ; ça saigne quand le sourire s’étire à creuser les joues dans des fossettes candides. Elle essuie grossièrement de son bras étalés sur son visage ; se fiche bien de quoi elle a l’air.

Elle croit attraper tous les mots de Sasha dans l’air, les saisir entre des doigts maladroits, les garder jalousement et les dévorer tout entiers. Les doigts, ils courent sur les lèvres de Ange, comme si elle se les bouffait.

Hah…

Le nom de Bellamy sonne comme une plaie sur laquelle on appuie.
D’un doigt insolent enfoncé là à en faire mal, à en brûler l’épiderme.

Bellamy…

Et soudainement le rire reprend son règne, mais l’apaisement est tel qu’il ne fait qu’adoucir le silence ;
Elle aurait crié - aurait hurlé - si ce n’était pas toute la tendresse de Sasha qui l’embaumait.
Elle aurait aimé se bercer une vie entière de son aura.

C’est l’Hydre. Mais vous le saviez déjà. Pourquoi demander ? Joli beau mais idiot beau, toi aussi. Vous ne savez plus où donner de la tête. Enfants des rois mais jamais rois de rien.

Elle avance ses doigts jusqu’aux barreaux et tire son corps lamentable pour coller son front contre le métal froid. Elle veut sentir l’odeur ; elle veut sentir la chaleur ; elle passe une main au travers de deux tiges et les doigts lentement avancent vers l’enfant d’Hestia.

Donnerais-tu ta main à un monstre, Beau ? Il fait très froid, ici.

Les paupières tombent sur un regard qui déjà s’échappe - révulsé.

Promis je ne griffe pas.

pendant la captivité ※ cage de angeAux doigts, reste accrochée, Ange hypnotisée le regard grand ouvert ; les paupières ne sauraient se fermer sur les pupilles dilatées qui dévoraient les lumières lasses du visage du petit roi.
Lasses, en effet, elle les voit se déplacer mollement aux traits fatigués, le petit roi est triste elle le sent pulser dans sa cage thoracique.
Triste ou fatigué ou elle ne sait pas quels mots les petits rois utilisent pour ce sentiment là, mais ça déchire en silence le palpitant malmené, l’air de rien, tout contenu, tout cloisonné dans la poitrine.

L’apaisement instigué à l’épiderme elle le sent comme une compresse froide qu’on aurait fait embrasser ses bleus ses ecchymoses par milliers.
Le soulagement - finalement - de douleurs millénaires jamais rassurées complètement.
Elle serre ses doigts entre les siens ne veut jamais laisser partir ce sentiment.

Il m’a laissée…

Lorsque même les pensées qui s’égarent à l’hydre ne lui lacèrent plus le coeur, Ange est prise d’un vertige ; était-ce une vie qui existait, à portée de ses mains, une vie où les sentiments n’étaient pas si douloureux qu’elle n’avait pas toujours envie de mourir ?

Des larmes roulent sur les joues silencieusement, aucun sanglot ne fait trembler la gorge ou la poitrine.
Un sourire sereinement étire les lèvres.
La peau, doucement, devient plumes ; elle s’y abandonne un peu entre ses doigts et a peur que ses serres ne remplacent tout à fait les siens.

Comme j’ai l’air majestueuse dans tes mots, Beau ; majestueux aigle, mythique, a-t-il dit ! Mais tu te trompes. Je suis un monstre. Je le suis.

Comme l’aveu au bout de lèvres amères qui se refusent éternellement aux mensonges ;
Car Ange ne saurait mentir ;
Le coeur est ouvert disséqué là devant ses yeux ;
Elle lui offrirait tout entier.

J’ai dévoré des petits rois comme toi. J’en ai mangé les yeux, mangé les viscères. Et le foie… le foie… je déteste le foie.

Une mine de dégoût s’articule à son faciès.

J’ai peut-être déjà mangé un de tes ancêtres, un de tes amis. Tu ne devrais pas m’aimer. M’aimes-tu ? J’aimerais que tu m’aimes, si tu savais. Reste, reste, reste.

Sauf que les doigts bientôt étaient remplacés par des serres et Ange serrait des mâchoires.
Luttait pour rester humaine.

Je ne te grifferai pas. Je ne te grifferai pas.

Même si je suis monstre, pitié, ne pars pas.

pendant la captivité ※ cage de angeLe regard hypnotisé ;
Les lueurs au-dedans des pupilles noires sont parcourues de souvenirs à faire vomir une bile acide ;
Elle les sent ressurgir avec appréhension, Ange ressent l’apaisement mais l’imminence des naufrages du passé - peut-on être apaisé et souffrir en même temps ?

Le coeur aurait paniqué mais le coeur est calme ;
Elle aurait hurlé ; aurait perdu son souffle mais la respiration à son rythme se cale.

Ange ne dit rien d’abord, puis le sourire qui s’étire à ses lèvres est un peu amer, un peu sournois ; ricane.

Non, Beau, tu es petit roi ; à croire que c’est pour toi que je reste humaine.

Elle pousse de son front contre son doigt - Ange était pure de tout ressentiment, Ange était pure de tout jugement, cela glissait d’elle sans une once de malveillance.

D’aucune majesté lorsque je suis monstre, je vomirais à rester trop longtemps aigle, pas assez Ange.

Elle ferme les yeux alors.
Se laisse bercer un peu.

Je déteste Nausikaa - je déteste - déteste - je veux retrouver mon nid - mon doux doux tout doux doux…

Elle ne faisait sens qu’à moitié ;
Les serres se fermèrent sur les barreaux ; il n’y avait plus ongles ou doigts.
Les cheveux devenaient plumes dorées, le regard s’affinait.

Les plumes toutes entières se dévoilèrent et bientôt Ange n’était plus qu’aigle.
La voix demeurait.

Regarde-moi ; quelle majesté dans le presque cadavre ? Ange est laide - Ange est pathétique - Ange veut retrouver le ciel et que les rois lui pardonnent.

Les yeux, petit à petit, se fermèrent.
Perdait pieds, Ange ; perdait doucement le fil d'elle-même.

pendant la captivité ※ cage de angeHah

Les monstres vrombissent tout autour.
Bien sûr - Sasha est un monstre - Ange est un monstre - sont-ils moins monstres que ceux qui les ont enfanté, conscients d’abandonner un enfant dans un monde qui ne veut pas d’eux ?

Sauf que Sasha articule l’abandon dans des mots que Ange ne veut pas entendre ;
Elle écarquille ses yeux d’une torpeur malade.
Les mots se figent, ne sortent pas ; ça reste coincé là, quelque part entre les poumons et le bec ;
”Il va m’abandonner là.”

La liberté ça lui est égal, Ange veut voler mais elle veut encore plus aimer ;
Et aimer elle ne pourra plus lorsqu’il sera parti, elle n’oubliera pas son visage, elle n’oubliera pas son odeur, elle n’oubliera pas son nom, mais les sentiments eux se faneront aussi vite qu’ils sont nés ; les sentiments elle les aura oubliés.

Les paupières se plissent lorsqu’il parle de l’Hydre.

Duke - mort - mort - Duke - tuons l’hydre ! Tuons l’hydre ! Frère ingrat. Hah - tue-le ce n’est pas grave il reviendra avec encore plus de colère - de rage. Moi je l’aime comme ça, comme ça, comme ça, lorsqu’il m’étrangle de ses quarante-huit doigts.

Elle tord son cou, le regard se révulse, elle ne sait plus, Ange, où elle est ; les sentiments d’un autre temps la gagnent.
Elle croit reconnaître le goût du foi sur son palais - sa langue - elle déteste, déteste ça.

Pathétique - HAH - c’est vrai Beau - Sasha - petit roi - tu es pathétique. Pathétique, pathétique, pathétique.

Des sanglots attrapent la voix - des rires l’attrapent aussi - ça se mêle tout en même temps dans une cacophonie assourdissante.
Le coeur n’a pas cessé son apaisement - ou a-t-il arrêté ?
Ange ne sait plus.
Elle n’est pas tant nerveuse qu’elle est hantée.

Tu devrais partir maintenant.

Abandonne-moi.

Car maintenant je t’aime mais bientôt je te détesterai. Et je préfère me rappeler que je t’ai aimé plutôt que d’être en colère.

Le regard luit d’une lueur dorée dans l’obscurité.
La voix gronde comme celle qu’on imagine aux monstres des contes.

Sasha - Sasha - Beau, Sasha - je sortirai de cette cage, sais-tu ? Je sortirai majestueuse, comme tu m’as appris. Et lorsque je viendrai faire s’abattre la foudre cruelle sur vos terres pour vous punir je t’épargnerai - au-dessus de ta tête je ne volerai, et la foudre du Roi aveuglé par la colère s'abattra sur ses enfants mais pas sur toi. Tu verras tes pairs calcinés, hurler de douleur à tes côtés, mais tu demeureras. Ce sera mon cadeau - empoisonné présent car tu seras en vie mais tes yeux boiront la souffrance de tes frères et tu ne pourras rien faire pour les sauver.

Un rire glapit de l’aigle.

HAH - CE SERA UN FESTIVAL !

Un sanglot à nouveau dans la voix.

Non - non - pardon - pardon. Ange ne fera pas - ça. Ah. Sasha - Sasha - Beau, Sasha.

pendant la captivité ※ cage de angeTu ne sais pas…

Les paupières se plissent.

Ce que tu dis.

Le cœur est las, la voix gronde, les émotions tempêtent à l’intérieur et provoquent des hécatombes. Ange était déjà morte ; tant de fois, à vrai dire ; Ange avait vu des gens mourir ; tant de fois, à vrai dire.
Sasha était comme les adolescents qui croyaient savoir ; qui croyaient donner des leçons.
Ange avait des millénaires d’existence ; elle aurait aimé voir les gens partir et que ça la blesse comme ça la blessait les premières fois ; elle aurait aimé pouvoir s’enorgueillir de sentiments qu’elle ne connaissait pas déjà.

Des proches j’en ai vu mourir, Sasha. Des centaines - qui ont crié - leur sang empeste encore sur mes plumes ; je porte leurs fantômes, leurs souvenirs, leur odeur parcourt toujours mes narines. Et combien de mes amants l’Hydre a-t-elle dévorés ? Hah. Tu ne sais pas ce que tu dis. Je ne sais même pas depuis combien de temps je vis - et la vie n’a jamais été facile.

Elle balance la tête, de gauche à droite.

Moi aussi, j’ai peur des monstres, petit roi.

Ricane.

J’ai peur de mon reflet dans le miroir. J’ai peur de ce que mes serres pourraient déchirer. J’ai peur de ce qu’elles ne pourraient pas.

Le regard transperce l’enfant d’Hestia.
Doré et brillant.

Nous sommes tous des monstres, Sasha. Vous avez la prétention d’être les héros d’une histoire, mais c’est seulement parce que c’est vous qui avez toujours gagné ; les rois et les enfants des rois. Vous êtes les mêmes… Vous mangez de la chair et vous festoyez sur des cadavres. La seule différence, c’est que moi, à la fin du récit, je perds. A la fin du récit, c’est moi le cadavre sur lequel on festoie.

pendant la captivité ※ cage de angeLe regard s’écarquille.
Des lumières y plongent, dans ses pupilles, ça brille de mille étoiles et il semble qu’un sourire s’écorche à son bec droit. Elle pourrait tendre ses mains humaines et dessiner la colère de ses doigts ; elle pourrait la goûter, l’humer ; Ange fantasme de dévorer sa colère toute entière et de la faire sienne.

Aimerait savoir ce que la rage fait à ceux pour qui elle existe encore.
Des pulsions de vie plutôt que des pulsions de mort.

Là…

Le bec s’ouvre en grand.
L’aigle glapit.
Ange se lève, grande, s’envole ;
Mais les ailes cognent contre les barreaux, le dos fracasse contre le plafond, elle retombe.
Un instant à peine, il put apercevoir l’Aigle ;
Majestueuse Ange.

HAH - SASHA - que tu es BEAU lorsque tu es ROI

Il se vrombit des grondements au-dedans d’une gorge maussade ;
Ange redevient humaine un instant à peine.
Elle est debout, là ; le visage contre les barreaux, une main en tient un entre ses doigts, l’autre bras avance et semble tendre sa main au visage de Sasha - il est trop loin cependant et elle ne le mime qu’à travers son regard - dans un jeu de perspectives à peine.

La robe blanche tombe sur ses jambes nues, les épaules se découvrent, le tissu est lâche.
Les cheveux d’ivoire cascadent autour de son visage.

Tu as compris, n’est-ce pas ?

Les murmures contre la cage.

Ce ne sont pas les monstres - ce ne sont pas les demi-dieux. Les coupables, ce sont les rois.

Le bras tendu se lève et désigne d’un doigt levé le ciel qui se cache derrière les murs de pierre.

Je ne sais pas pourquoi ; Zeus m’a voulue comme ça ; d’une faim insatiable. Ma mère lui a un jour donné son enfant et il m’a ordonné de dévorer - dévorer encore - et aujourd’hui alors je dévore car Votre Seigneur a jugé que c’était ainsi que j’étais meilleure. A vous dévorer, petits rois.

Le bras retombe, la main retourne à un barreau s’accrocher fébrilement.

Regardez le ciel et vous saurez qui abattre. Nous nous sommes déjà mis en marche. Et vous ?

Ricane.

Non, vous, vous préférez vous battre contre ceux qui viennent vous libérer des Rois. Vous vous trompez d’adversaires. Nous viendrons bientôt détrôner les coupables. Et qui sait ? Un jour, peut-être, vous nous remercierez.

pendant la captivité ※ cage de angeNon, non - pas pour me venger, petit roi.

Et Ange se dit que manger elle n'aime pas ça ;
Que l'excitation attrape ses tripes parfois et qu'elle dévore presque boulimique pour pleurer ensuite ;
Pleurer de se voir dans le miroir ; pleurer de détruire la vie qu'elle chérit avec tendresse.
Ange s'aime et se déteste en même temps ; Ange se sait prédateur et aimerait pouvoir déployer fièrement son bec ses ailes ses plumes dorées à en faire pâlir le soleil ;
Pourtant Ange se vomit elle-même.

Reine de quoi alors ;
Reine de rien, Ange, dévore sans appétit les viscères que le Roi a choisi pour elle.
Reine de rien ; de rien du tout ; toujours y a-t-il quelqu’un dont les doigts tirent les ficelles à ses bras à sa tête à sa nuque qui se tord pour dire “merci” et “pardon”.

Je n’ai pas peur de mourir - tu l’as dit - moi je reviens, je reviens toujours.

Elle était morte - combien de fois, déjà, Ange ?
Si Ange ne voulait pas retourner sous terre c’était seulement car elle avait peur de se perdre.
A mourir elle revenait différente ; à mourir elle revenait plus écorchée encore qu’à la précédente.

Tu as raison - vous n’êtes rien.

Le front cogné contre les barreaux ;
La voix est lasse.

Vous n’êtes rien. Pas même nos pions. J’aimerais le prétendre - mais nous ne sommes pas grand chose de plus que vous.

Le regard est sombre et se perd quelque part au vide entre elle et lui.
Lui et elle ; un silence gronde au fond de la poitrine.
Déserte et vide - elle croit associer ça à une forme de tristesse qui l’habite - elle s’y noie.

J’ai fini de parler, Sasha - il n’y a plus rien à dire que tu ne saches déjà. Et ta tristesse dégouline - je n’ai pas envie de pleurer pour toi. Et mon cœur est trop ouvert - je pleurerais si tu restes. Alors pars. Je pleurerai dans le noir quand tu auras éteint les lumières mais je ne pleurerai pas devant toi.