été 2020 ※ entrée de Nausikaa (côté New York)Il se suivait des nuits d’été caniculaires à ne plus où donner de la tête - les nuits se confondaient entre elles, les mêmes étoiles parsemaient le ciel, et le même étouffement qui empêchait de dormir quelle que soit l’heure oppressait les poumons.
C’est ainsi que même alors que Morphée avait fait son labeur, à la frontière de l’île et de New York, les livraisons se poursuivaient à la lumière de la lune ; les robes légères et des sandales lacées ; les cheveux attachés et la chaleur affligeante.

Mais le poids sur sa poitrine, à Simca, ne semblait être ni celui de la température, ni celui d’un hypothétique stress - l’illégalité la rendait vigilante mais certainement pas paralysée, et ce qui grimpait le long de sa colonne vertébrale avait les couleurs - les saveurs de l’anxiété.

Elle avait tourné la tête vers son associé -
Flagrante indifférence dans le regard de celui-ci, benêt et sot ;
Simca savait - sentait - que le danger rôdait.

Une ombre tapissait les murs - les conteneurs - faisait trembler au-dedans.
Simca leva les yeux vers un embranchement désert - n’y trouva rien.

Elle salua le conducteur du camion de livraison, le laissa partir ;
Regardait dans son sillon s’il n’abandonnait pas un fantôme ou deux ;
Mais même les fantômes s’étaient mis à murmurer - et lorsqu’ils murmuraient, c’était qu’ils se cachaient, eux aussi.

L’associé, à côté d’elle, voulu parler ;
”Tu te fais des idées, je te connaissais pas si nerveuse, Si-”

Ne le laissa pas terminer.
La voix, claire, déclara dans l’air.

Qui est là ?

Un frisson le long de l’échine.

été 2020 ※ entrée de Nausikaa (côté New York)Par les ombres mordu, le corps trébuche à côté d’elle, et le sursaut de son collaborateur ne dure qu’une seconde ; le cri transperce une nuit macabre pour s’éteindre presque aussitôt ; Simca reste figée, une sensation glaciale gagnant jusqu’à l’échine.
La lune se montre cruelle, immobile, éclaire avec tendresse le tombeau qu’elle comprend être le sien, et en entendant le nom de son père s’articuler entre les lèvres de l’abomination qui se déclare hors des ténèbres, l’enfant de la mort sent son héritage grimper le long de ses jambes et chatouiller ses côtes.
Le regard reste hypnotisé, les lèvres entrouvertes ; les sueurs froides qui la gagnent font glisser un frisson le long de sa colonne vertébrale.
Et de chaque sensation, Simca se délecte.
Le coeur qui pulse au-dedans est brûlant ; d’une vie qu’elle croyait lui avoir été refusée depuis la naissance.

Aah…

Un sourire gagne le faciès tendre ; le visage se penche sur le côté.
Le regard brille de lueurs malices, de lueurs amoureuses, Simca dévoile un sourire comme ceux des prédateurs sauf qu’elle était proie pour l’heure.

Quelle agréable… agréable surprise.

Des couleurs roses montent à ses joues, et elle lève des doigts près de ses lèvres ;
Les terreurs qui la gagnent l’excitent, d’une certaine manière.

Autour d’elle, les fantômes se rassemblent ;
Ils murmurent à ses oreilles, et elle s’y berce un instant.
Un froid glacial mord la peau de Simca - et si le monstre flairait la mort, il pouvait la sentir tout autour d’elle.

J’imagine que le garçon n’était pas à votre goût, pas vrai ? Ils disent que c’est moi que vous voulez…

Un rire plein de clochettes gloussa au fond de sa gorge avant qu’elle ne soulève sa poitrine dans un souffle extatique.

Ah - je ne sais pas si j’ai très envie de mourir aujourd’hui. Il y a des discussions père-fille qu’on est pas prête à affronter tous les jours, pas vrai ?

Elle leva une main fébrile à sa poitrine et y décelait le tambourinement incessant de son propre palpitant avec une forme d’incrédulité - elle vivait, elle vivait vraiment, se sentait vivre, se sentait exulter.
Le souffle était court à ses lèvres. Murmurait à l'attention de ses fantômes.

Taisez-vous, taisez-vous…

Avant d’écarter les bras, hausser les épaules.

Je ne suis pas si appétissante que j’en ai l’air. Je ne mange pas assez sucré pour être juteuse ; vos crocs n’aimeraient pas tant ce qu’ils déchireraient. En revanche…

Elle passa un pouce sur sa lèvre.

Un camion traverse cette frontière pour moi chaque nuit, et je suis certaine que je pourrais trouver quelque chose à votre goût, de quoi assouvir votre faim provenant de l’île, si vous daigniez m’accorder quelques lunes de plus. Je vous aurais bien proposé la chair de mon associé en gage de ma bonne foi, mais vous vous êtes servi avant de m’autoriser toute politesse.

été 2020 ※ entrée de Nausikaa (côté New York)Entendu.

Il n’y eut aucune hésitation ; aucun temps de réflexion, aucune attente longue ou pesante.
Le regard était ferme, les lèvres pincées dans une mine sombre quand bien-même le rictus empestait encore au creux de ses joues.

Un long frisson avait parcouru l’échine lorsque l’ombre avait grandi pour l’engloutir complètement ; avalée par la présence grondante du monstre qui dévorait toutes les lumières.
Face à lui, les jambes n’auraient jamais été assez grandes pour se sentir fortes ; le coeur n’aurait jamais été assez fort pour se sentir grand.

Mais vous serez déçu d’apprendre que vous feriez sans doute un plus beau cadeau à notre père en nous éliminant qu’en nous laissant en vie. M’est avis qu’il aurait préféré que nous ne soyons jamais nés…

Cligne des yeux pour la première fois depuis trop de secondes ;
Deux battements délicats comme ceux des ailes d’un papillon.
Le premier souffle qui inspire comme sorti d’une apnée.

Voulez-vous défier - pardon - tuer La Mort ?

Dévorer un Dieu ?
Elle leva une main, les doigts en avant tendus dans sa direction, la paume vers le ciel.
Le regard ne s’était pas détourné une seule seconde ;

Et si celui que je vous livrais, c’était mon père ?

été 2020 ※ entrée de Nausikaa (côté New York)Les fantômes rient autour d’elle ;
Inquiets ou nerveux, amusés, curieux ;
Un cirque se joue et Simca se sent funambule au-dessus du vide, les gueules de Cerbère grandes ouvertes pour accueillir sa chair tendre (sa chère et tendre - aurait-elle préféré, peut-être se serait-elle donnée).

Un rire illumine doucement le faciès livide.

Eh bien, “on” ne tue pas un Dieu, à vrai dire.

Les yeux sont grands ouverts lorsqu’elle approche d’un pas défiant l’urgence - la fuite qui s’impatiente au palpitant. Simca sent l’acide couler dans ses veines, brûler sous la peau et pulser des ordres qu’elle ignore ; elle veut se sentir vivre ; se sentir vivante.
Le regard baigne tout entier dans celui brillant de Cerbère.
Elle se sent minuscule au-devant de sa silhouette immense.

On le fait se noyer dans le Styx pour une éternité ou deux - ce sont des chaînes et des bracelets, qu’il vous faudrait.

Les paupières tombent sur un regard mi-clos lorsque le sourire s’accentue.

Et même si cela me déçoit de l’admettre, ce n’est pas une proposition pour un jeu entre vous et moi…

La gorge se tord, les mots sont imbuvables.

Mais ce sont des sentiments, qu’il vous faut, pour enchaîner les Dieux ; les monter entre eux pour que la guerre éclate dans les Cieux et sous Terre ; ils iront se noyer d’eux-mêmes, enchaînés par les ressentiments et la colère.

été 2020 ※ entrée de Nausikaa (côté New York)Le dos cogne contre le mur derrière elle ;
Et Simca reste silencieuse. Le sourire pudique qu’elle arque à ses lèvres est mécanique, porteur d’aucun sentiment. Elle papillonne des paupières.

Un concept purement humain, dit-il ;
Et Simca se demande ;
Est-elle humaine ?

Il lui sembla alors que de sentiments, Héra dans sa jalousie ou Déméter dans sa colère, les divinités en étaient davantage pourvus qu’elle.
Qui avait vendu son frère et qui le vendrait encore ;
Qui avait emprisonné des âmes pour une vie entière pour son seul confort ;
Qu’avait-elle fait pour mériter d’être appelée humaine ?

Elle ne le contredirait pas.
Il avait un millénaire derrière lui et peut-être voyait-il en elle quelque chose qu’elle ne voyait pas.

Simca.

Froidement, poliment.
Un frisson parcourt l’échine.

Et vous ?

Le regard se plante dans le sien.
Aucun tremblement ;
Ce n’est pas tant que la peur ne l’enserre pas.
Mais elle ne lui déplaît pas.

Si vous me permettez de vous appeler, quel nom puis-je offrir aux cauchemars insomniaques que vous me promettez ?

Elle aimait encore mieux de savoir que ses nuits sans sommeil seraient peut-être moins solitaires.