l'aube est passée sans rien me murmurer les voix aussi ont fait la grasse matinée et de moi il ne reste qu'un corps entouré de lumière
et je me dis :
c'est les led du laboratoire
et je me dis :
j'ai oublié d'éteindre l'ampoule
mais le soleil n'a pas ces couleurs-là et quand le corps redevient le mien je sens l'odeur d'un mystère d'une forêt d'ailleurs celle où je ne vais pas si souvent ah ai-je oublié de jeter mes vêtements de fumer notre cigarette rituelle de me doucher encore une fois après ? les yeux sont fainéants, ils ne s'ouvrent pas, et je me tourne comme si cela pouvait annuler le jour
l'oreiller est trop doux et l'odeur, encore, d'une vanille qu'on croquerait en y devinant un sel inexistant, quelle trahison ! j'aurais voulu
la rondeur d'un rêve
mais maintenant j'en suis certain-e
ce n'est pas mon lit
il est bien trop grand, bien trop confortable, bien trop parfumé
et (j'ouvre les yeux pour m'en assurer) il est surtout
vide
je déglutis et le creux se forme il dit : pourquoi ? pourquoi il n'est pas là ah tu vois, solan ! t'as bien raison de croire qu'il ne t'apprécie pas et c'est tant mieux parce que tu---- il le mérite pas voilà et les bruits plus loin je ne les entends pas parce que les voix font écho à tout ce qui me hante et alors comment penser à autre chose qu'au pire ? qu'à l'erreur ? qu'aux conséquences ?
ça ira
je te dirais : ah, zut, désolé-e, je ne reste pas plus
et ça voudra dire : tu ne me reverra jamais, et crois-moi c'est mieux pour toi
je regarde encore l'autre côté du lit j'imagine ta tête dans le creux des draps, est-ce que tu m'as pris dans tes bras ? est-ce que tu as senti ton odeur dans mes cheveux pour t'endormir est-ce que t'es du genre à rester près ou est-ce que tu dors de ton côté ? est-ce que tu m'as regardé dormir avant de te lever ?
si oui ---
si oui, je crois que j'aimerais que tu recomm--
si oui C'EST DEGOUTANT ECOEURANT POUR QUI TU TE PRENDS
pour qui tu te prends
faut que je te le dise je crois
que t'es rien (((d'autre que tout ce que je veux mais je vais pas le dire))) (parce que sinon je vais te ruiner j'en suis sûr-e faut rester loin moi je prends trop je sais qu'on dit souvent ça mais moi c'est vrai si tu savais, si tu savais tu ne me regarderai même pas)
je me redresse et la terre tourne dans ma tête et j'ai envie de disparaître et je soupire et mes mains sur mes yeux et putain solan putain t'es pas sérieux-se allez du nerf vas-y lève toi et pars et c'est
tout.
non ?
il arrive dans la cuisine
un grand tshirt sur les épaules
hey
les cheveux un désastre caché dans une queue de cheval
désolé-e pour hier soir, c'était pas prévu
par toi non plus hein ? tu voulais pas que je reste hein ?
hum, tu sais où sont mes vêtements ?
après je pars
promis
(les grands yeux les longs cils un peu de peur parsemée sur ces contrées)

le tissu est large le tissu est long et je ne suis pas pudique pourtant mes doigts suivent la ligne le bas le pire et tirent tirent dessus comme si j'avais la force de le déformer sans qu'on ne s'en aperçoive sans qu'on en sache jamais rien sans que jun ne sache sans qu'il ne relève le regard sans qu'il sorte une deuxième tasse sans même qu'il ne soit là regarde je parle de toi à la troisième personne comme si tu n'étais personne, non, juste un personnage là quelque part, qu'il serait si facile de changer en un rien en un tout AH regarde ! comme j'aimerais tout annuler
faire comme si on ne s'était jamais rencontré-es
ce n'est jamais bon signe, tu sais ? le bonheur est d'un ennui
il ne me mérite pas : ça voudrait dire qu'il devrait me dompter, et cela je ne veux pas le lui imposer.
alors ! alors, c'est obligé, tu comprends ? mes yeux qui dérivent, qui s'accroche un instant à la scène avant de se décider pour un pan de mur blanc, ou les rideaux couleur crème, ou peut-être les poids bien rangés dans un coin, qu'en sais-je ! partout mais sur toi et sur nous (c'est à dire : la table, la vaisselle, la nourriture, les chaussures à côté de la porte, le tshirt le tshirt le tshirt). AH réagit trop vite comme une délivrance comme si enfin on plantait les clous dans les mains du solan mais AH ! mes vêtements sont là-bas alors forcément je vais aller vérifier et je ne laisse
la place
à rien
d'autre
parce que sinon je sais je sais que tu aura des mots doux et tranquilles, je les aime déjà de nuit alors je n'imagine pas de jour, tu sais je croyais que c'était moi la sirène, et qu'elle avait plein de dents pointues et une vraie face à en faire peur à toustes mais j'ai tord, je le vois maintenant ; c'est toi, la créature d'eau, parce que tous les syllabes que tu me donnes, j'ai envie de les croire, j'ai encore envie de les entendre oui et c'est effrayant ça m'envahit ça me noit et je me demande : me tire-tu déjà vers le fond ?
les vêtements sont mouillés
ça veut dire que je suis remonté-e.
dans les contes j'imagine que je devrais t'embrasser pour te remercier de m'avoir sauvé-e de tes propres pièges mais je n'aime pas ça je n'aime pas ça c'est moi la sirène ! c'est moi qui ait les cheveux longs, mais les tiens le sont plus encore ; c'est moi qui suis joli-e comme un objet de grande valeur, mais toi t'es idolâtré comme une star ; c'est moi qui arrache les cœurs comme si ça n'était rien, mais toi t'as pas encore osé alors
je le ferai avant
je le ferai avant
je le ferai avant
et quand je reviens il y a ta question en suspend et je ne veux pas y répondre mais bien sûr que si je veux je veux je veux te dire tout ce que je pense et le bonheur d'une nuit longue et la félicité d'un réveil doux et la joie de voir une place juste pour moi mais je le ferai j'ai dit je me suis promis les vêtements sont encore trempés, tu n'as pas un sèche-linge ? je ne peux pas partir ainsi (les ongles grattent les doigts tirent je n'aime plus qu'on voit ma peau j'ai trop l'impression que tu vois à traves) ça serait plus pratique. la justification toujours et la bouche se ferme mais la gorge est sèche et la langue pâteuse et j'ai soif j'ai soif j'ai soif de tes questions de ton attention de tes sollicitudes
alors je tends la main vers la tasse
t'es trop près
(je dis ça après une nuit pareille, ah
je ne vais pas bien)
je porte le récipient à mes lèvres
ça va et je bois
c'est trop chaud
je me brûle sans rien dire
il ne faudrait pas
que je reste.
et toi ?

le liquide est chaud mais il redevient froid aussitôt qu'il rentre en moi -j'en suis certain-e, je souffle sur la surface et la vapeur d'eau s'en va, encore un peu et je glacerai tout avec mes mots distants et mes expirations décevantes, oh je suis
injuste
je le sais je crois mais c'est mieux comme ça
demain tu me remerciera et tu--- arrêtes de dire ça c'est faux je ne peux pas rester pour toujours c'est certain que ça t'embêterait arrête de mentir dis-moi plutôt que tu veux me voir dehors ça sera plus simple de faussement te détester que de me trouver des excuses pour le faire quand même
et quand je te vois, là
je me demande : comment pourrais-je ?
les cheveux sont emmêlés, mal attachés, les yeux encore ensommeillés et le sourire brillant déjà pourtant, les mains sont occupées et je suis sûr-e que n'importe qui aurait salivé mais mon estomac se retourne il n'aime pas les choses comme ça les choses vraies les choses à mastiquer à avaler consciemment celles qui disent : tu dois me mâcher solan pour que je puisse te nourrir et que demain encore tu puisses vivre
c'est d'une violence qui me secoue et que je déteste
c'est un effort qui me coûte et qu'alors j'ai supprimé depuis longtemps
ce n'est pas ta faute jun c'est moi (le problème c'est moi) oui c'est certain, regarde ! comme je me penche m'appuie en réponse alors que tu n'as fait que m'effleurer oh c'est risible pathétique d'avoir si peur alors que tout est déjà fait, alors que
t'as déjà creusé ta place
et que je sais que je veux l'agrandir petit à petit
t'es d'une gentillesse qu'il m'est difficile à accepter, plus facile à refuser
mais je sais
je sais que tu me fais du bien.
et, pendant ton absence, il n'y a que du vide. le temps est long, et les minutes inutiles. je pourrais partir, sûrement ; et probablement l'aurais-je fait il y a trois ans mais maintenant c'est maintenant et solan a changé iel veut mieux désormais alors iel
écoute le rien
et décide qu'iel ne l'aime plus.
la chaise fait du bruit quand je la tire
difficilement, sans même essayer de la lever ça fait
piailler les oiseaux mais je ne les apprécie pas encore ils sont
distrayants ils m'empêchent de me concentrer à bien décider mais
dans le manque qui existe en cet instant tout est évident
alors je m'assois
et je bois mon thé à moi
en regardant ta tasse à toi
et j'ose me dire : ce n'est pas si mal
(et ça veut dire :
ah, ça veut dire plein de choses
que je n'arrive pas encore à dire
pardon -cela viendra, s'il-te-plaît, crois en moi)
et quand tu reviens mon dos se raidit j'entends la chanson je ne l'aime pas parce que je ne la connais pas et que tout ce qui m'est inconnu est une arme une faille une attaque ah non enfin oui mais ---aaaaaaah
solan
respire
le choix est fait
j'essaie de me détendre
tout ira bien
tout ira bien
tu me surprends par la proximité et elle me déçoit ensuite de l'absence de contact -oh bien sûr, si tu m'avait touché-e je l'aurais détesté en surface mais dedans j'ai envie d'une autre chaleur que celle du soleil ; elle est là et je ne parle pas de flammes comme celles de nos soirs non je veux dire les âtres tranquilles qui brûlent jusqu'aux matins heureux et, oserai-je ? imaginer cela avec toi ?
d'accord !
non
restons prudent-e
a-ah, non, c'est bon ! tu as bien fait !
on dirait un-e adolescent-e inconscient-e trop surpris-e de la réalité alors même qu'elle était évidente ; je me suis exclamé-e trop vite, trop fort, trop bien, et je m'en fuis en reportant mon attention sur ce pantalon enfilé sous la table
il est trop grand, bien sûr, et j'ai l'impression que quand je me lèverai il glissera sans aucune difficulté -qu'importe ! qu'importe
me voilà tout-e entouré-e de tes vêtements de ton odeur de ton appartement
et je crois que
j'en rougis
les yeux rivés sur la tasse
où était passé mon assurance ?
je repose le récipient, souffle
remonte les pupilles
il faut oser, dit-on
désolé-e, je n'ai pas l'habitude de manger le matin
une pause
et une décision
ni de dormir chez mes plan cul
ou de les continuer aussi longtemps
et je déteste les œufs
et j'aimerais prendre une douche
et je suis content-e si tu as bien réussi à dormir
moi aussi je crois.

je n'ai pas encore réalisé les mots que j'ai lâché c'est qu'ils sont partis sans mon accord et que je ne sais plus quelle direction ils ont pris, ce sont des mots sauvages, de ceux qui cabrent quand on les emprisonnent au fond de la gorge, et qui sont un jour ou l'autre destinés à retourner dans cette liberté de l'air du rien de la vérité
alors j'entends ce que je dis mais pas vraiment c'est un écho désagréable ça se mélange et donc je ne sais plus ce que j'ai lâché là, entre nous, au-dessus cette table de matin à peu près commune mais ce n'est pas grave, c'est pas grave parce qu'au fond je crois que je connais l'essence de ce que j'ai pu te confier, c'est
ce qui se déplace tout partout là
ce n'est pas désagréable mais c'est inhabituel
ou plutôt, je n'en ai plus l'habitude
encore moins de me dire : ah, peut-être ? et de ne pas tout encore rejeter une fois oh jun si jamais ça t'arrive ne t'inquiètes pas c'est juste que
tout ça
cette patience face à ma défiance
c'est encore des preuves de ma décadence
des ruines qui n'ont pas bougées depuis des années
des chantiers que j'ai engagé sans jamais réussir à les boucler
et j'aurais aimé
être en meilleur état
je crois que tu mérites ça.
oui, c'est certain, même.
moi aussi, un peu. j'y crois là, maintenant, mais sûrement que je changerai d'avis -oh ça sera terrible, mais s'il-te-plaît. ait foi en moi. laisse-moi le temps. laisse-moi le temps.
laisse-moi le temps comme tu le fais déjà -demande, demande encore avant de m'embrasser, et laisse-moi toujours la porte de sortie grande ouverte, j'aurais même plus besoin de regarder pour celle de secours parce que tu me donnes toujours le choix parce que tu forces jamais rien parce que maintenant que ça me paraît normal tous les autres gars sont des loosers, laisse-moi le temps parce qu'à trente cinq ans les choses sont plus lentes peut-être moins intenses je ne sais pas, on verra
laisse-moi le temps de me décider, de savoir ce que je veux
et, évidemment, tu le fais.
quand tu souris je souris aussi c'est un ping pong comme ça, chacun-e de son côté de la table
et quand le contact s'établit là où on ne le voit pas, je sursaute ah je crois que ça continue le rouge sur mes joues je ne m'y attendais pas mais ce n'est pas désagréable alors
continuons.
d'accord, j'irai après le thé me doucher, et peut-être que je t'inviterai mais ça n'a pas l'air très malin ah, nous verrons, nous verrons, une chose après l'autre
pour le moment
j'accroche l'élastique
libère mes cheveux
ils s'éparpillent, et je les contrains derrière mes oreilles
et quand
t'enlèves l'assiette je --- je ne m'en rendais même pas compte mais ça libère l'espace je peux respirer ça ne me regarde plus en disant : ah ! t'es pas normal, solan, t'as un problème
j'inspire
je bois, un peu
le thé n'a pas de goût dans ma bouche
ah, euh, c'est-- c'est un peu plus compliqué que ça. généralement, non. pas de petit déjeuner. le dégoût revient, le haut-le-coeur n'est pas loin mais je lui interdis de venir là, entre nous, ici et toi, qu'est-ce que tu aimes ? en nourriture. la précision est nécessaire parce que le reste on verra plus tard, on a tant à découvrir qu'il faut commencer en un point précis
je fais comme toi, c'est des questions qui n'ont pas grand intérêt ; ça ne changera pas la face du monde mais peut-être du nôtre et j'essaie, à moi, de ne pas trop me poser de questions
de laisser
les portes ouvertes
(le genoux n'a pas bougé
sur les joues le rouge s'est installé
la tasse entre mes mains n'est plus seule à me réchauffer)

je n'ai pas remarqué le chant des oiseaux
je veux dire : je les ai vu déjà, tous entassés alors que dans la nuit je m'enfuyais
je sais qu'ils sont là, j'en ai conscience ; je les oublies souvent, parfois, et quand tu fermais la porte je me demandais toujours si c'était aussi un peu pour eux
je sais que c'était un peu pour nous
pour nous couper du monde pour que rien ne puisse nous déranger pour ne laisser à personne d'autre cette vulnérabilité ; oui il y a les gémissements la peau nue et les bruits brusques des corps qui se désirent, mais je crois que l'on cachait autre chose
quelque chose de plus difficile à expliquer
quelque chose qu'on a mis sur la table ce matin, et qu'on est en train de doucement déplier
ah ! pas trop vite
il ne faudrait pas faire s'envoler les oiseaux.
ça tombe bien parce que la délicatesse est tienne et tes mots qui acceptent mon rien d'explication font fleurir en moi d'autres espoirs et peut-être que ta plante verte se redresse sans même que je ne le fasse exprès
et peut-être que ma jambe est maintenant relaxée sans même que je ne m'en rende compte
et peut-être que j'aime te voir réfléchir à mes questions -y réfléchir vraiment, donner du poids aux réponses, et penser autant avec le cerveau qu'avec le cœur
et j'aime ton sourire
il a quelque chose de
simple
(et je dis cela comme compliment, en tant qu'admirateur-ice de la complexité)
et j'aime tes yeux qui brillent
il y a quelque chose de
libre
(et je dis cela comme qualité, en tant que rescapé-e trop obligé-e à tout ordonner)
mmh, non, je ne mangeais jamais épicé le passé comme si c'était une autre vie celle où je mangeais, enfin ! j'imagine qu'on peut dire que je mange, parfois, oui, des frites au mcdonald's avec oliver ou les sushis (saumon, rien d'autre) d'amadeo ; avant, avant je ne sais même plus comment je faisais mais maintenant ah
je ne dirais rien sur les aubergines et les oeufs et leurs textures dégoutantes horripilantes le jaune qui coule ou le blanc qui colle et la chaire qui fond qui n'a aucune mâche non non non ce ne sont pas des choses pour moi et ce n'est
pas
grave
je n'ai pas
à manger maintenant
et pour faire passer cette
mauvaise idée je prends ma
tasse et elle vient montrer qu'il
n'y a rien dans ce gosier brûlant
il m'a enlevé mon assiette, rien ne
m'y oblige.
une deuxième gorgée.
t'es plutôt new york toi, non ? je veux dire -la grande ville, beaucoup de monde, tout à portée de main ..? changeons de sujet
c'était une mauvaise idée
parlons d'un autre cauchemar à la place.

tu aurais préféré quelque chose d'autre
je n'en saurais jamais rien, ou alors seulement bien plus tard -ce n'est pas juste, et moi je veux savoir, tu aurais préféré y vivre ? y rester ? ne pas être ici, là, maintenant, de suite ? parce qu'on peut partir ah ça oui je peux sortir sans pantalon la vérité c'est que je m'en fiche t'aura qu'à accrocher le mien quelque part en souvenir du bon temps et peut-être que ça te fera une raison de vouloir rester à nausikaa plutôt que là-bas et solan solan solan arrête, ARRÊTE de vouloir tout décortiquer il faut laisser l'espace au rien aux secrets au fait qu'on ne se connaît pas vraiment et qu'on en est au moment des questions répondues avec des blancs, des mensonges parfois
j'ai pas le droit d'exiger la fin de sa phrase
c'est une injustice horrible, que de me mettre dans la balance comme la pire des exigences
ça se voit : il y a une seconde de fantômes sur ton visage
le sourire ne me convainc plus
j'ai senti comment tu t'agrippes à moi quand il est temps de partir.
alors je ne demanderais rien de plus que tu me confies ce que tu souhaites me donner ; c'est comme ça que tu m'as montré et je crois que je devrais recopier ta douceur tes patiences peut-être ton indifférence, qu'en sais-je ! de mes années de plus, je n'ai pas appris à laisser filer
seulement à choisir ce qui est digne d'intérêt -et là alors, je me fais dévorer
mais ne t'inquiètes pas
ce n'est qu'au début
et si tu passes l'épreuve du feu, il ne restera plus que nous deux.
alors je souris aussi, ah oui, tu es connu, bien sûr, et new york c'est bruyant, c'est vrai, et c'est tout ce qu'il y a dire -il y fait froid, je rajouterai, en hiver et au printemps aussi, et il manque de verdure quand on s'éloigne de central park
ça et plein d'autres détails dont on s'en fiche
ça et plein d'autres choses dont on parlera plus tard
quand moi aussi j'aurais terminé mon assiette.
le regard glisse quand tu te lèves, évidemment, ne se dérange pas pour détailler ce qui lui a plus chez toi en tout premier
il remonte pour te répondre
Non, du tout, j’ai bien dorm— le réflexe voudrait que je corrige que je dise ah ! j'étais fatigué-e je n'ai rien entendu et c'est vrai mais ce n'est pas ce que mon cerveau veut dire lui il souligne la sécurité la paix le repos l'absence de questions et alors
je le dis comme c'est j'ai bien dormi. un sourire peut-être un peu maigre, un peu naïf
plus vrai que nature.

d'habitude j'aurais paniqué
à vrai dire, je panique un peu
je sens le coeur qui bat et se referme en même temps c'est les écho qui se réverbèrent entre eux dans une cacophonie inquiétante c'est le souffle qui veut aller plus vite et mon corps qui dit NON NE MONTRE RIEN et la brume m'enveloppe comme elle le fait toujours et on s'apprête à tricher mais c'est pas juste c'est pas juste pour toi et alors je lui dis de partir de devant moi de juste me prendre entre ses bras et sa présence fantomatique me rassure, me dit : même s'il ne te dit rien, nous on te racontera des merveilles qui sortent tout droit de tout le monde, du monde entier même ! et d'au-delà, d'ailleurs, jusqu'au royaume des déités, jusqu'au néant s'il le faut ---
mais tu souris.
et peut-être que la brique sur ma poitrine a été découpée en deux et peut-être que je peux encore arrêter la spirale et peut-être que tu me dira des jolis mots, que tu peindra des jolies choses, que tu racontera des jolies histoires (la nôtre)
j'ai peur je tremble c'est étrange j'aime pas ce qu'il se passe et j'adore en même temps entendre ton écho, c'est le seul qui en vaut la peine, celui de dedans il dit des choses méchantes et j'ai les larmes aux yeux elles sont montées toutes seules je les ai pas invitées mais j'ai peur et
oui,
j'ai peur c'est le mot
alors quand tu reviens je détourne la tête, je regarde ailleurs et j'ai peur là-bas, comme toujours je préfère avoir peur seul-e, c'est moins effrayant, ça au moins je connais, j'ai pas à te laisser serpenter partout à te donner des bouts fragiles et je, pourtant, ah, moi, je veux
mais c'est si difficile
ça l'était pas ! juste avant, là, si on pouvait remonter, juste quelques secondes tout au plus, qu'est-ce qu'il s'est passé ? qu'est-ce qui a changé ? moi je sais faire lae froid-e c'est comme ça que je casse des cœurs avant que le mien ne s'amarre mais toi j'ai déjà lancé l'ancre et elle vient de toucher le fond
elle gratte la surface, fait voler les poussières et toute les saletés moche qui viennent avec solan, oh ce n'est que le début et je t'écoute et j'aimerais tellement
juste rester
accepter de ne pas bouger pour une journée, de ne pas m'occuper, mais mon cerveau il n'arrive plus à faire ça c'est trop étrange que de ne rien planifier que de ne rien prévoir que de perdre du temps comme ça (c'est pas du temps perdu je le sais mais en première pensée je ne le crois pas)
le silence se fait lourd
c'est que je sais que si j'ouvre la bouche, tu entendra les trémolo de ma voix
c'est que je sais que si je tourne mon visage, tu verra les deux larmes qui ont coulé
et j'essaie de regarder la fenêtre les bâtiments derrière, de me fixer sur le réel de revenir sur terre, parce que je sais que ce n'est pas grave de rester un matin de plus d'apprécier quelqu'un de vouloir te revoir
il est temps.
il est temps d'ouvrir le cœur de l'empêcher de faire boîte de résonnance de te demander d'y glisser tes mots, les vrais, et pas tout ce que j'en déduis tout ce que j'en imagine d'horrible, il est temps d'accepter de ne pas savoir il est temps il est temps il est temps
je me retourne et j'hoquette
à moitié un rire à moitié la peur
j'essaie de l'éloigner mais elle est forte, peut-être plus que moi
pourtant je t'ai entendu et ça m'a fait sourire, vraiment, mais tu sais c'est juste trop pour le moment
je lève pas les yeux tout de suite parce que j'ai l'impression d'être humilié-e et soudainement je regrette l'absence de pantalon ah j'aimerais me mettre sous une tonne de vêtements ah. pardon.
une main qui vient essuyer le visage, un reniflement qui occupe l'espace, les pupilles qui remontent mais pour regarder le plafond -pas toi, toi c'est trop dur
j'ai, ah. c'est pas trop habituel pour moi. je l'ai déjà dit. mais là, je, enfin, c'est revenu. je sais pas pourquoi j'explique. c'est ridicule, non ? j'ai six ans de plus que toi. je ne flanche pas devant plein de monstres. je veux changer le monde. et, pourtant, en cet instant, je suis ridicule. mes émotions sont ridicules, et elles sont trop sérieuses pour ce qu'il y a entre toi et moi.
mais je revois -je sens presque, même, ta main contre ma joue, hier soir. la demande au bout des lèvres, toujours, avant toute chose. l'invitation d'avant, celle de maintenant. prendre mon temps.
le perdre, me crient les voix.
ça va aller, t'inquiètes pas, t'es parfait, mais c'est beaucoup d'efforts déjà pour moi et même là juste te dire ça c'est difficile et tellement stupide putain solan ferme ta gueule t'es con t'es si débile ce gars c'est qui déjà ? une rockstar ouais, des comme toi il en a à la pelle et il les baise toustes comme il a fait hier soir. t'es gentil.
comme précieux. comme milo. ils sont partis.
comme owl. comme charity. je suis parti-e.
c'est, euh, la voix tremblante c'est pas un soucis pour mon travail, mais je vais quand même y aller, parce que, enfin, ça fait beaucoup. la nuque se penche à nouveau. je regarde la table, ou plutôt à travers elle. j'ai envie de m'y effondrer. le rien m'écrase, et je suis exténué-e à peine réveillé-e. attends, je reviens.
je me lève et je vais là-bas, là d'où le bruit est venu, j'ouvre le hublot et mon pantalon est sec, oui, alors je l'enfile en silence et je m'appuie contre le mur, j'y reste un instant, j'oublie de changer mon t-shirt aussi
je reviens doucement, les pieds nus et l'air toujours coupable d'un crime contre moi-même : oser la vulnérabilité.
je m'arrête, à quelques pas. et puis, j'avance. j'échoue un peu contre ta chaise, et je prends ta nuque, et je regarde ton visage. pas les yeux. tout autour. le début de repousse de tes cheveux. la peau sans défaut. les trous vides dans les oreilles. le grain de beauté sous l'œil. mon pouce y passe, comme pour se prouver que c'était vrai, cette anomalie dans ta perfection. t'es beau. je te raconterai la prochaine fois. mon travail. si tu veux. la voix encore enrouée, le cœur au bord des lèvres
je n'ose pas demander : moi je suis pas assez brave, j'ai trop peur des refus
je plonge, t'embrasse, juste un peu, pour que tu le vois, celui qui bat un peu trop déjà
les lèvres, pour moi, sont bien moins intimes que le reste ; on se connaît déjà, sur ce bout de peau-là
si ça te dit.
front contre front, le dos penché, j'attends
je gaspille du temps.

quand j'étais petit-e, on m'a dit qu'on a des grains de beauté là où on s'est souvent fait-e embrasser dans notre vie précédente
je n'y ai pas cru, bien sûr -ah ! il n'y avait aucune preuve, après tout, et ce n'était pas le genre de poésie qui me parlait ; en grandissant, je n'ai pas plus aimé cette histoire-là, parce que même si l'après existait, nos corps ne changent pas entre ici et là-bas
mais je te regarde et je commence à y croire
parce que ça voudrait dire que, dans une autre vie, ailleurs, on t'a aimé comme il le fallait
je crois que ça me rassure.
je sais que c'est faux, mais j'ai aussi compris que ce n'était pas là le but de l'histoire
je perpétue la tradition en posant un baiser de plus sur cette tâche sous l'œil. que celleux de ta prochaine vie le sachent elleux aussi.
ah, c'est idiot, non ? moi je ne crois pas que c'est de l'amour comme ça
je ne suis pas assez tendre, encore, et je ne sais pas si je pourrais l'être un jour ; il y a, dans mes demandes, quelque chose d'injuste pour toi
le destin est impossible à deviner, et mon cœur je l'ai si bien enterré, qui sait si je saurais le retrouver.
sous tes doigts, je me fonds soudainement contre ton cou
un câlin, moi dans tes bras, toi dans les miens
c'est étrange, que rien ne soit lié au sexe
c'est fragile, inhabituel, sensible, réel, et si soudainement je disais que c'était pour rire, personne n'y croirait
ça me fait peur
je ne crois pas que c’est trop normal, non, d'avoir tant de barrières tant de refus tant de peine à assumer l'évident, à s'ouvrir à quelqu'un qui n'a fait que me mettre en premier-e, sans jamais pour autant s'oublier, mais maintenant tu sais. et par cela je veux dire : plus tard, je te raconterai, si je suis encore là pour te le dire. et j'essayerais de te dire, de pas te repousser, mais je risque de ne pas y arriver quelques fois. désolé-e. j'aimerais te dire : j'ai confiance en nous
mais la réalité c'est que ce n'est pas le cas
ce n'est pas grave
je t'emmènerai regarder les étoiles, et on tissera entre elles nos constellations
je t'emmènerai au lac, et je te pousserai dans l'eau
je t'emmènerai à travers l'île, et tu me fera un bouquet pour lequel je reviendrai à mon appartement.
et, après tout ça, peut-être que je croirais en nous. c'est tout ce que je peux t'offrir. c'est déjà beaucoup.
je me défais de ton corps, laisse glisser ma main le long de ton cou. il est temps. quelques pas en arrière, les yeux dans les yeux. je souris. et, bientôt, je disparais.
mais j'existe. il restera pour toi mon t-shirt dans ton sèche-linge.