Arrache-toi à la peur, substitue-la. Dans le miroir de la salle de bain, l'eau calcaire s'écoule le long de la baignoire. Vêtu de tes habits, tu serres ta cravate avant de t'habiller. L'humidité qui glisse sur ta nuque est un fardeau insaisissable.

Ton reflet te fixe, te transperce de ses yeux gris étrangers, perdus dans les ténèbres. Du sang coule de tes yeux, invisible à tes propres regards. Les desseins de la chair passent inaperçus.

Ta poitrine se gonfle, une parodie délétère de l'humanité. Elle se manifeste tel un mécanisme dévoyé, comme si elle avait été imposée contre ton gré. Ton cœur bat au rythme d'une mécanique singulière, compréhensible par une élite restreinte, que personne ne s'est appropriée.

La tristesse s'est éclipsée, t'abandonnant depuis longtemps. La souffrance qui autrefois t'animait est maintenant une confusion déconcertante. Tu te souviens de la douleur, mais la raison en est désormais oubliée, engloutie dans les abysses de l'oubli. Une mère effacée de ta mémoire, comme si elle n'avait jamais existé.

Ton absence quotidienne se dissout dans l'indifférence générale. Tu es le centre de ta propre réalité, mais un spectre insignifiant dans le monde qui t'entoure. Nul n'a remarqué ton retrait, du moins pas consciemment. La terreur des émotions, cruelle maîtresse, tu t'en es débarrassé avec détermination. Tu as réussi grâce à ce présent maudit, offert par Pandore elle-même. Tu murmures tes remerciements à l'oreille de l'ensorceleuse.

Tu es un homme nouveau, un être de l'ère dorée, libéré des tourments qui te rongeaient, mais non de tes funestes desseins. Une coquille vide qui n'éprouve plus de regrets pour ses choix passés, mais qui vacille toujours dans l'indécision. La souffrance déborde en ce monde, et ainsi, tu te pareras du manteau du marchand de sable.

Le lotus, une fleur aux huit pétales, symbole trompeur de sérénité. Elle sort de ta poitrine, la transperçant de ses racines. Dans tes plans, elle devient l'instrument de ta progression. La peur des monstres que tu soulageras, d'une manière ou d'une autre, ils détiennent la clé.

Lorsque la main de ton reflet se glisse sur ton menton, puis sur ta gorge, avant de t'embrasser, tu sais en ton for intérieur que tu ne peux qu'aimer cette sensation déviante, te bercer de ta propre douceur.

Un bouquet naît de ta poitrine telle une aberration parasitaire, se nourrissant de tes côtes qui se tordent, faisant éclore une végétation morbide dans tes os, s'enchevêtrant dans la chair blafarde que tu exhibes.

Au sein de ce sinistre bouquet, les coquelicots passent inaperçus, cachant leur poison sédatif. Leurs fragiles pétales teignent de rouge ta poitrine, tel un fardeau insoutenable. Ou peut-être est-ce la blessure que tes ongles infligent à ta chair, une souffrance qui émane de ta nuque. Serait-ce un cauchemar qui te consume ?

La notion de réalité se dissipe dans l'insignifiance. Tes cordes vocales, tranchées, te condamnent au silence, t'empêchant d'exprimer tes pensées. Mais ils finiront par t'entendre, les échos de ta folie résonneront en eux.

Tu incarnes la douceur macabre, le sommeil prédateur. Celui qui suscite les désirs ardents de tous. Objet de convoitise, ils te désirent tous sans en connaître les funestes conséquences. Ils ignorent que ta loyauté est réservée à toi seul, que tu es l'architecte de ton propre destin.

David hante tes pensées, tu dois t'en éloigner, t'affranchir de son influence. Lorsque viendra le jour où tu t'assiéras sur son trône, tes yeux devront demeurer secs, ne versant aucune larme.

Les marques profondes de tes phalanges gravées sur ton cou témoignent d'un sommeil tourmenté, de nuits de plus en plus émaillées d'horreurs. Trois mois se sont écoulés depuis que tu t'es volontairement exilé, rompant les liens avec les autres sans jamais les oublier. Une présence insidieuse s'est établie parmi tes confrères, pénétrant leurs rêves ensorcelés, échangeant à travers les messageries silencieuses de leur esprit torturé.

Ta main, ou plutôt celle du miroir, s'insinue perfidement dans ta poitrine, maculant ta chemise blanche d'une teinte écarlate. Un champ blafard s'écoule sur le carrelage tandis que tu ressens tes phalanges s'enfoncer dans ta cage thoracique, traversant impitoyablement tes poumons. L'air te manque.

Ton crâne heurte l'évier, une position qui ravive des souvenirs douloureux. La texture froide te semble pourtant étrangement familière. Les muscles résonnent d'un bruit manipulé, les organes sont saisis, une douleur insensible mais ô combien réelle.

Dame de la boîte, capable d'apaiser ta souffrance, pourquoi ne peut-elle pas te libérer de tes cauchemars ? Le dégoût s'empare de ta gorge, une violence inutile. Pendant un instant fugace, tes mèches semblent prendre une teinte blonde, sans que tu ne comprennes ce qui se trame.

Les paupières se soulèvent, dévoilant ton regard hagard face à ton salon. Le souffle s'échappe en saccades, ta respiration agitée trahissant ton trouble. Ce n'était qu'une vision, une illusion cauchemardesque. Un de tes vases repose à terre, les fleurs délaissées et l'eau éparpillée sur le sol froid de cet espace familier. Alors que tes mains s'activent pour ramasser les éclats de verre, une lame te lacère, laissant une blessure béante sur ta peau.