On aurait probablement pu croire à une scène de crime, une expérience cauchemardesque ; des sous-tons de chirurgies morbides et de tentatives cruelles. C'est que Leta avait frayé son chemin jusqu'à l'Olympus District et avait toisé ceux qui gardaient l'Ange — avait réussi à pénétrer le donjon. Elle s'était armée de ses instruments pour opérer la bête : dans son indifférence glacée et ses volontés de prouesses médicales (malades) elle avait imposée un tête-à-tête brutal entre elle, la sorcière, nouvellement tueuse de Chimère et l'animal éternel. Sans un bruit, sans un sourire, sans un moindre signe de dégoût, Leta s'était attelée à sa science folle et dérangée.

(...)

Elle s'essuya la tempe dont perlaient quelques gouttes d'efforts, et, attendant que l'Ange sorte de son coma magique, s'alluma une cigarette, à la fenêtre de la salle. C'était d'une nonchalance glauque qu'elle avait traité ses actions : la bête avait été, de quelques façons, rapiécée — mais elle avait mal rafistolé l'animal : elle devait et aller succomber de ses blessures. Leta n'avait jamais eu l'intention et la prétention de la sauver. Puis, elle regarda sur la table le résultat de ses expériences : un tube à essais rempli d'hémoglobine monstrueuse, des seringues salies et un panel de lames rendues insalubres, qui avaient servies à commettre les atrocités sur la peau, les chairs, les plumes (sans doute l'âme, aussi)
Hm ? De nouveau, la bête s'agita doucement Tu sais, tout aurait été plus simple tu t'étais changée en humaine, pour une fois. Clope au bec et les bras croisés, elle la regarda en échangeant ses regards : d'abord celui de Faust puis celui d'une infirmière. Ange ? Elle camouflait son intérêt morbide par une curiosité incommode.
Ange, il faudrait que tu me répondes, maintenant. Je n'ai pas toute la journée et il ne faudrait pas que tu me meurs entre les mains.
Je veux que tu me racontes tout ce que tu sais sur la réincarnation. À quoi ressemble la mort ? Elle avait transformée le produit du Paradis en une poupée de chiffon déchirée — le pire résidant dans l'indifférence indécente de Leta.

@Ange Caucasus

Leta s'était persuadée avoir fait la paix avec sa mortalité mais c'était autour de la destruction et des flammes qu'elle s'était rendue compte qu'elle ne voulait partir jamais. Elle côtoyait les blessés et les mourants souvent mais se pensait presque immortelle, infinie : sublime. Il lui restait sur son ardoise encore une mort et de quoi tromper la mort, inspire encore après le dernier souffle.
Mais Leta en voulait plus.

Alors qu'elle embaumait encore l'air de ses miasmes gris et toxiques, elle se perdit un instant en elle-même. Leta était persuadée de détenir toujours le bon raisonnement et la bonne pratique. Elle plaçait sa déontologie comme seule règle de sa vie mais, pour la première fois depuis ce qu'il lui semblait être une éternité — une vie entière, sans doute, elle douta.... Tu peux m'appeler Hansa. Mais tu l'oublieras et tu m'oublieras. Car je l'ai décidé comme ça. Elle agita de son sac une fiole d'oubli qu'elle avait confectionné quelques temps auparavant. Si les hautes instances de Nausikaa savaient ce qu'ils se passaient dans cette salle, sans doute ils ne l'auraient jamais toléré. Cependant, encore une fois, Leta ne jouait qu'à son jeu à elle et elle s'inventait ses règles. Je vais mourir, moi. Deux fois. Mais je ne veux pas mourir. Réfléchis, Ange, Aigle, réfléchis. Dis moi ce que je dois faire pour ne pas m'éteindre, moi. Leta pensait à toute allure et ses pensées s'entrechoquaient entre elles — son intellect surmené n'arrivait plus à faire sens tandis qu'elle sentait le secret de l'éternité glisser entre ses doigts : à la mesure que la folie de l'Aigle rattrapait les sens de la bête.
Dis-le-moi. Je veux- je dois le savoir. Est-ce dans ton sang ? Dans ton essence ? Pourquoi tu trompes la mort à chaque fois ? Comment trompes-tu la mort à chaque fois ?! Elle s'agaçait tandis qu'autour d'elles deux les instruments de vie (et de mort) tremblaient, agités par la magie de la sorcière angoissée.

@Ange Caucasus

Il y avait une certaine humiliation dans la voix de l’Aigle qui tira chez Leta un rictus amer : c’est qu’être renvoyée à cette condition d’humaine était complexant pour celle qui voulait transcender sa réalité. Leta avait pour ambition secrète d’exploser le toit de verre et écorcher tous ses détracteurs en les tailladant des tessons de ce même toit — et de son dédain l’Aigle parvint à la renfermer sous ce toit transparent, vaincue et démunie. Tu te crois meilleure parce qu’immortelle ? J’ai au moins la décence de ne pas tapiner devant de misérables demi-dieux pour réclamer compassion et prostíte. Tu ne connais rien de mes douleurs, comment peux-tu la comparer à la tienne ? Plus que s’angoisser Leta commençait à s’énerver et elle pourtant si froide et glaciale sentait un rouge étranger lui monter aux joues. Devant le monstre Leta en devenait un à nouveau, mais la source de son humiliation résidait dans leur condition commune. Et Leta retrouvait en Ange (et non pas dans l’Aigle) ces musellements qu’elle avait refoulé si violemment. Ils te répudient et te chassent car tu es un montre. Tu ressembles à un monstre, tu sens le monstre, tu parles et tu bouges comme un monstre. Cette fois-ci c’est le scalpel qui s’agita pour se retrouver entre les doigts malveillants de celle qui irradiait d’une colère dépoussiérée et dangereuse ; Leta devant Ange n’était plus ce visage inexpressif et manufacturé qu’elle gardait toujours : elle redevenait la ved’ma de la cour des écoles russes. Je ne suis pas un monstre, moi. Mais c’est tout ce qu’ils voient quand ils me regardent. Puisqu’ils ont choisi pour moi autant en gagner l’immortalité. Avec ou sans ton aide, je compte bien la tromper, moi.
Et Leta s’isolerait après ça, puisqu’on ne veut d’elle nulle part alors Leta créera son atoll et son paradis, son Eden à elle où plus rien ne la prédatera : reine de son monde elle gouvernera par la peur et la magie, rejoindra les légendes de Circé et Médée. On fera d’elle un personnage dangereux à l’essence déformée mais elle sera quelqu’un, elle, au moins.
Enfin, je ne sais même pas pourquoi je te raconte ça. Et soudain son pragmatisme désintéressé reprit l’ascendant. Tu sembles avoir retrouvé quelques de tes sens. C’est bien. Mais tu n’as rien à m’apporter, je le crains. Enfin, vivant.e, je veux dire. quant à tes viscères, je les prendrais de ton corps mort, si ça ne te dérange pas. Parce que Leta n’était que chaos à l’état pur, devant l’affolement et la détresse de la mort : elle était excellente pour prendre des décisions mais le carrefour de la mort était toujours le pire — tous les chemins mènent à la fin.
Je peux t’offrir un dernier service, si tu y tiens. Demande moi n’importe quoi et je pourrais peut-être t’en soulager. Alors que de son sac elle sortait une fiole au liquide blanc trouble : c’était dans cette potion que résiderait le souvenir de l’Aigle de leur rencontre.

@Ange Caucasus

Leta bêtement obéit à la bête en face d'elle et s'approche. Elle la regarde un moment, avec des yeux intrigués : et elle ne put s'empêcher de se questionner, d'abord pour Ange puis pour elle sur les volontés d'un être immortel — par conséquent un être tout puissant. Hm ? Elle laisse s'échapper un cri de surprise quand l'Aigle l'heurte de ses serres et elle se mord la lèvre pour en retenir un juron de s'y échapper. Leta, sous la surprise, appose sa main à son sang qui coule et se précipite pour converser ce fragment de son propre ADN ; prise d'une folie pragmatique elle dissocie tout corps de tout sentiment. Elle n'a, sur cet infime moment, plus aucun sens humain. Une fois ces préoccupations obsessionnelles assouvies elle s'empare du liquide blanc fièrement posé sur une table proche et se saisit secrètement (pourtant personne n'était là, il n'y avait pas de pudeur à avoir) du scalpel qu'elle camoufle adroitement dans sa poche. Quand elle revient vers Ange, c'est pour lui accoler la fiole de force à la gorge.
Je te l'avais dit, tu m'oublieras, Angel. Mais Leta ne sait pas encore que sa drogue ne fonctionne que maladroitement sur un organisme qui n'a plus rien d'humain qu'une apparence détruite.

Elle patiente alors, lasse, que son élixir d'oubli fasse effet, qu'elle puisse être seule détentrice d'une vérité d'Ange et de se repaître de cette connaissance — qu'elle se croit encore seule à partager. Un instant après, elle récite une prière russe, probablement ce qu'on raconte quand quelqu'un s'en va, et fait glisser sur ses doigts la lame froide, qu'elle appose d'un geste chirurgical sur Ange, créant une coupure nette et une abondance sanguine létale. Leta devait avouer qu'après avoir amoché la bête, c'était de la pitié qu'elle lui accordait pour mettre fin à ses tourments (peut-être sans fin mais sûrement que la Mort avait en soi d'apaisant qu'il lui existait un instant de vide.
Un instant de paix car un instant de rien.)

Tu peux en rêver, Oryol. De toi j'espère trouver la réponse à mes terreurs mais de moi tu n'en n'auras même pas le souvenir. Elle récupère encore quelques bouts dépecés d'une fière bête, achevée dans une cage dont elle n'était pas digne, et Leta, si elle se décidait à nommer ses émotions, aurait probablement été attristée.
Je te souhaite que ta courte mort te soit vide. Que le froid te gèle les pensées parce que les miennes sont bouillantes. Elle range nonchalamment ses nouveaux bocaux de Formol dans son sac et sans un regard derrière elle, Leta fuit la scène de crime.

Elle avait de ce fait détruit toutes les preuves et évidences qui pouvaient la relier à son crime — du moins c'est ce qu'elle croit.

@Ange Caucasus