ici c’est l’Enfer de New York - ou du moins l’un de ses nombreux.
dedans, les gens y sont tous jolis, et très écœurants en même temps. à leur bouche les femmes arborent comme un sang rouge à lèvre, dégoulinant aux mentons à mesure qu’elles vident leurs verres, et les hommes sentent la cologne au point qu’inspirer auprès d’eux fait l’effet d’un air chloroforme. autour d’elleux, les décors assortis : rappellent vaguement une arène, comme un amphithéâtre obscur. la salle monstre est un cube, haut de plafond, bordée de coursives en métal surplombant son centre où ça danse. en son sein, les corps s’entrechoquent inlassables, sur des sons presque des salves fusillant le moindre recoin.

pour se rendre à ce bel Enfer, il s’était apprêté dans des apparats de disgrâce - ses plus beaux - faisait qu’il macule cet endroit depuis bien trois heures maintenant. sa veste toute tisserée d’or scintille des motifs Arts Nouveaux - chacune des coutures ocres accrochant la lueur des spots - sous elle sa chemise est en satin noir, de ce genre de matière jamais chiffonnée par la nuit. il fait trop chaud, minuit ressenti midi pile. il a trop soif, et trop envie de fumer ; quand même Lazare s’obstine pire qu’emmêlé à la foule.
il y a perdu ses ami.es - ne s’en inquiète pas du tout.
le monde grouille à ses environs
c’est une compagnie qui lui va.

l’encerclant à la nuque, une fille dit des choses à sa tempe - des choses indiscernables, liquéfiées par l’alcool et noyées dessous la fiesta - des choses qui le font rire tant la scène lui parait vulgaire, tout l’inverse de sacrée.
elle tient à peine debout et en quelque sorte ça le touche.
cette fille, dont il ne sait ni le nom ni les maux, elle s’était montrée sans personne et puis vite arrimée à lui, et malgré qu’il est assoiffé, Lazare n’ose pas lâcher encore. entre deux chansons il lui semble l’avoir vu pleurer - se plaindre d’une autre fille dont elle est amoureuse en vain - tu devrais l’appeler. la fille le regarde. lui dit de quoi ? tu dois l’appeler ! il répète. à leur gauche et leur droite des danseurs les cognent sans arrêt. enfin, pas maintenant tu te doutes - une fois que t’auras désaoulé - tu l’appelleras. mais si ! fais-moi confiance. tu lui passeras un coup de fil, et ça ira je te jure. à son cou elle est une liane difficile à réconforter. comment tu peux savoir ? je le sais, tu peux me croire. et la musique couvre tout alors il s’autorise l’aveu. Aphrodite je l’ai en speed-dial, sur ma vie que je ne te mens pas. alors crois-moi. je lui ferai un vœux pour toi et tu seras heureuse en amour ! la fille le fixe - pouffe léger - vacille. ah- il faut rester debout mon cœur ! Lazare l’y aide en ricanant. bon, tu sais ce qu’on va faire ? je vais t’accompagner dehors et te commander un Uber - d’accord ? tu vas rentrer, boire beaucoup d’eau si possible et demain tout ira bien mieux. non ! non ! allez rien qu’encore une valse ! si tu veux. et ils restent un peu dans l'abîme.

vingt minutes écoulées lorsqu’elle et lui sont en-dehors.
dessus le trottoir qui bordait le nightclub, les fêtards débordent sur l’asphalte. parmi elleux, Lazare guide la fille comme il faut - l’entraîne jusqu’à l’angle de l’avenue tout en réclamant un taxi, son rainphone à la main - une heure du matin sonne au loin. à une heure dix, la voiture se gare devant eux. soigneux il lui ouvre la portière en grand, l’assiste pour l’asseoir à l’arrière. je le verrai sur mon portable quand tu seras bien rentrée chez toi, ok ? s’il y a un souci je saurai. elle lui dit oh merci Oscar ! il se marre. non moi c’est Lazare… enfin, oui, Oscar si ça te chante. ils se font signe et c’est fini, la bagnole partie il est seul.

ah.
c’est vrai qu’il a des ami.es qui l’attendent encore en Enfer.
avant de retourner dedans Lazare fait tout de même un détour : direction la petite ruelle, adjacente juste derrière la boîte, là que donne la porte de service et donc il y sera tranquille. là, c’est plein d’ombres typiques des coupe-gorges ;
parfait pour encontrer les monstres
mais aussi pour une cigarette.

il ne se sent pas son odeur - de sa peau d’après lui n’émane que du parfum coûteux - aussi ne ressent-il jamais le danger de la nuit. à ce jour, les entrailles de Lazare s’étaient seulement tordues banales, d’inquiétudes légères anodines. ah- peut-être qu’il s’était fait quelques nœuds anormaux, oui, lorsqu’il était encore sur l’île et qu’on lui vendait une guerre, à lui comme à tous les enfants, une guerre inhumaine et sordide où des striges et puis des chimères arrachent leurs viscères à des dieux. peut-être qu’à douze, treize voire à quatorze ans puérils, il avait tremblé deux trois monstres. à la quinzaine, il a vu sa moitié de frère revenir quasi-en charpie, rescapé d’une gueule qui avait tenté de le mordre. depuis, il craignait pour la vie d'autrui ; mais pour la sienne, au fond, l’indolence dictait pas besoin.

la ruelle, alors, ne sent ni la peur ni la mort
rien que l’éthanol et la crasse - cette senteur de la ville comme si c’en était une vivante, toutes ses tripes en béton découlant des sucs monoxydes - il fume, et cela recouvre la fragrance.

il fume, et c’est pour cela l’étincelle ;

dans un fracas de squelette qui frappe contre le mortier, tout son corps déporté, lâche ce qu’il tient et la cigarette pleut des braises, infimes, un micro-feu d’artifice - s’éteint - il ne voit rien. rien que des étoiles une seconde.

à la suivante rouvre les yeux et ce sont tes yeux dans les siens, tes doigts cerclant sa trachée, toute ton image qui le cerne et maintient fermement ses souffles - ils sont coupés, et sa main par instinct t’agriffe aussitôt ton poignet - trois secondes à présent et il n’est pas Bellamy, tu dis, lui intime de se taire et il se ravale tous ses mots.

silence.

non loin ça grondait sur l’avenue, la City ronronnant toujours elle s’indifférait de vous deux. de toi, qui touchais à Lazare comme on fait les appétissants, les petites proies, les choses fragiles et fébriles dont une paume empoigne tout le cœur. les battements de son cœur, saccadés et pudiques, il les discerne malgré lui-même s’échouer là au creux de la tienne. il aimerait dire, redonne-les moi.

inspire - et l’air éployant ses poumons lui calme vaguement son vertige - fait que lorsqu’il t’expire enfin sa voix ne tressaille pas vraiment, toi, tu n’es pas d’ici, oh peut-être viens-tu de l’Enfer ! reviens du nightclub tout comme lui - non, tu comprends - ce qu’il veut dire précisément, c’est que tu crains trop peu les hommes. tandis qu’à New York il faudrait, comme à peu près partout.

il ne défait pas ton emprise. s’y installe au contraire, docile, plaquant ses omoplates mieux que ça contre la façade. tu connais Bellamy ? il te parle comme on peut se parler mondain mais comment veux-tu sinon ? qu’il te parle - tu le tiens, tu sonnais généreuse à lui accorder la vie sauve - forcément qu’il te parle à sa façon de garçon. la frayeur est une bête et sur les bêtes on ne crie pas. alors frivole encore, tu connais Bellamy et tu me confonds avec lui. il te fixe, et sa figure tilte aussi. pourtant, on ne se ressemble pas lui et moi… d’apparence pas du tout. ainsi Lazare en conclut : tu lui as senti son odeur - et s’il te sourit, c’est qu’il t’imaginait plus laide, quoi que tu sois - d’ailleurs, qu’est-ce que tu es ? en lieu d’un qui es-tu ?
se planque son prénom dans son ventre.
tu lui fais très froid dans le dos ; malgré ça
tu ne lui mangeras pas.

Ange. il voulait te dire ne mens pas, à moi c’est inutile.
sans avoir visité l’Église je sais comment sont ses soldats : cruels et terribles, indifférents surtout, iels ne s’occupent bien que des très mauvais ou très bons. moi, je ne suis ni l’un ni l’autre entier, les deux moyennement mélangés. pour moi, si tu es un vrai séraphin, tu ne te déplacerais pas.

alors il s’obstine impassible, Lazare, même après que tu l’habilles de tes deux mains carrément, tes dix doigts portés à son cou manière d’une parure en opale. glaçante, mais tu les avais tièdes. c’est que tu renfermes du sang quelque part en-dedans tes veines et d’ailleurs il le voit un peu lorsque tu révèles tes canines, ton gosier derrière elles, tout serti de rubis.
me protéger de quoi ? de toi ?
la réponse à peine quémandée qu’il te sent plonger en ses ombres. là, juste dessous sa mâchoire tes souffles s’y écrasent infernaux - à des degrés de schéol lui réduisent son sourire en cendres - louvoyante à sa peau, tu lui fais penser aux serpents. ça le dérange, tu sais, de t’avoir aussi près de lui, si proche de ce qui bat de ce qui respire en son sein, à trois fois rien de tes crocs sa carotide et son air ; il y songe et ses yeux se ferment, fort, un temps sans un seul mot.

... Lazare. il finit par te dire, plus sifflé que confié - comme on jette de la carne aux chiens - moi c’est Lazare. et toi, tu as beau le tenir en joug, moins grande mais l’aura grandiose, il agrippe tout de même tes épaules dans un geste vif presqu’aigu - sans te pousser encore se contente de rendre l’emprise - il faut que tu me lâches. sous l’ivresse tu le tracasses mal. si tu ne me tues pas, lâche-moi.

ça lui faisait étrange de s’entendre son propre baptême
à même ta bouche - dedans des crocs - c’était comme lui signer son nom à l’aide du coupant d’une lame. chaque fois que tu le prononçais, tes dents renvoyaient la lumière. à deux reprises alors il semblait toiser un couteau.

tant qu’il te sent à sa peau façon d’une arme vague et blanche, Lazare reste immobile. pense à d’autres en silence. des fiévreux et des obsessifs il en a croisé quelques uns - sans s’être fait braquer pour autant s’est déjà senti pris au piège - jamais longtemps, juste ça et là. quand même il se souvient leur œil, effaré de rapaces, ce regard des hommes aliénés lorsqu’ils songent une seconde au meurtre ;
le tien, de regard, différait léger en folie.
ta névrose à ses yeux n’enviait rien à celles des humains.

finalement, je ne pars pas. droit dans l’âme sans mentir.

et comme ça tu le crois ? ses allures persistent en attente, un instant tout son corps tendu - deux, trois battements de cils - et puisque c’est une promesse, puisqu’il t’avait juré, quatre temps écoulés au cinquième il s’écarte lentement. fait un pas, un seul, tout en te présentant ses mains. regarde, elles sont vides comme des innocentes, et tu vois ? ses pieds ne l’emmènent pas plus loin. un seul pas de côté et voilà qu’il s’arrête déjà.
regarde comme je ne pars pas. il te dit
comme on parle aux mômes.

d’où il est désormais Lazare peut enfin se pencher - ramasse sa cigarette - j’ai pas pu finir : c’est ta faute.

lorsqu’il se redresse et l’allume, il remarque - ses doigts grippant le zippo tressaillent de sursauts minuscules - tu l’as troublé, ce soir il s’est vu crever bêtement. conscientisé là tout de suite ça lui fait vaciller son souffle, gris pâle, comme un nuage malade.
la nicotine l’aide à se retrouver son calme - un calme bâclé, fabriqué de toute pièce et doublé d’un essor brouillon - à tel point qu’il te parle, encore, mais plus comme on cause aux gamins.
il te parle comme à personne, et sinon,
comme certains le font aux lieux saints

tu sais j’ai du mal à comprendre, le filtre avoisinant ses lèvres,
depuis mes onze ans l’on me dit qu’il va m’arriver des histoires, on c’est les Dieux, plus précisément l’on me dit qu’à force de trop traîner dehors, comme ici - dehors c’est le monde - quelque part dans le monde, donc, quelque chose viendra m’étriper. il s’apprête à fumer - s’interrompt son mouvement -
quelque chose comme toi ? la question scindée d’un sourire.
je ne sais pas. je suppose.

paisible, à ce moment l’on n’entend plus qu’un grésillement de poison. il inspire. et sa mauvaise brume Lazare se la garde aux poumons - l’expire petit à petit à mesure qu’il lance des pensées - je devrais flipper j’imagine, son soupir dégénère en rire, je flippe un peu ! maintenant tu sais, qu’est-ce que tu es ?
tu es Ange mais tu es quoi ? tu ne m’as pas dit.
sous l’aplomb il est si nerveux, tellement que le mésentiment lui rappelle des joies dérangées - ce genre d’euphorie détraquée qu’on ressent devant le morbide, obligé, auquel cas l’esprit s’affolerait - tu dis ne pars pas, pas tout de suite
tu vas me laisser repartir alors.

il s’envenime à nouveau - l’impatience en non-dit - tu vas le laisser repartir, dans moins d’une heure ? et il a manqué ricaner, s’empêche et se feint d’une risette. dans moins d’une heure ce serait bien.

des gens m’attendent. est le seul écho qu’il te fait, sans clarifier qui sont-ils. des gens de l’ordinaire, des gens tout ce qu’il y a de plus bateau - des gens qu’il appelle des ami.es et cela n’est pas un mensonge - des gens qui dansent, sûrement, le cherchent parmi l’essaim sans se faire trop de mauvais sang parce qu’ils sont des gens de la terre, ignorant tout des monstres. à ces gens telluriques s’ajoutent quelques gens plus célestes, au loin dedans la brume, ses semi-frères et sœurs qui le pensent cause perdue peut-être mais qui sangloteraient à sa mort, ou seraient au moins un peu tristes, il croit, le sachant crevé dans une ombre.
quoi qu’il en soit, quelque part, des gens se languissent de Lazare et c’est juste ça qui importe. il pourrait se permettre la disparition d’égoïste - celle qui ne résonne pas bien fort et donc qui n’atteint pas grand monde - qu’il t’aurait déjà laissé faire, accordé sa gorge à trancher.

au lieu de ça tu vois il n’a que son mal à t’offrir : sa cigarette entamée, cédée très volontiers. d’une certaine manière elle le tue mais c’est une agonie flemmarde - à petit feu comme on dit - facilement pardonnable. a contrario, si tu l’achèves, toi, tu peux oublier l’amnistie ; personne ne t’acquittera.

enfin. garde son venin, reprends-en, va.
puisqu’il a ses mains libres Lazare les remise à ses poches, ses yeux toujours rivés sur toi et son corps alentit léger, une épaule contre un mur. tu t’éludes, encore, ta nature passée sous silence - pour l’instant tu ne restes qu’Ange - mais à ces secondes en suspens tu es sa réminiscence propre, une sorte de réverbe à l’enfance : comment tu sais ? qu’il a lu tout du Petit Prince - qu’en pensée il raye le renard pour te remplacer l’air de rien - et tu n’as pas besoin de moi. et je n’ai pas besoin de toi non plus. tu n’es pour moi qu'un ange semblable à cent mille anges. mais, si je t'apprivoise, nous aurons besoin l'un de l'autre. je serai pour toi unique au monde. tu seras pour moi unique au monde. là qu’il récupère la cibiche afin d’en inspirer le filtre. et sans cesse il t’observe.

... et pour les gens que j’aime, aussi ? tu joueras l’Ange Gardien. ça qui déterminera l’ensuite, malgré que tu l’agites et qu’il ne te fait pas confiance, malgré tout ce dégoût natif presqu’instinctif à ta vue - il ne le contrôle pas, c’est sa moitié de chair sacrée qui refuse la greffe que tu es - quand même, il demeure un homme à demi. alors, tu veilleras sur les gens que j’aime ? et il sourit. ou alors c’est une chasse gardée, et tous ceux qui m’approchent tu les massacreras direct. en-dedans ses viscères frissonnent, et il doit se faire des violences pour te dire avec une voix flegme. si c’est ça, tu n’as qu’à me manger maintenant. je préfère. le regard bas il ne l’a même pas courageux, seulement résolu voire amer. vivre à l’abri mais seul moi je n’y vois pas l’intérêt.

il avait incliné sa tête comme pour se revoir son cœur propre. là, dessous le coupant de ton doigt, sa peau dévoilée de chemise elle était d’un blanc léger fauve, agriffable d’un coup de plume ; comme le ci-dessous des contrats. au-delà lui se sentait battre des rythmes discrets mais coupables. il savait que c’était mal, Lazare, que de te laisser le frôler, que d’en tressaillir en réponse, surtout de ne pas s’en révulser tant qu’il se devrait à l’instant.

de par ses racines célicoles, il est indécent de sa part de considérer votre accord. ce serait mélanger vos sangs - le tien de monstre au sien sacro-saint dilué - donnerait un mix contre-nature, une honte si ce n’est un beau crime. ses demi-frères et sœurs, et même les parents de l’Olympe, ils verraient Lazare là tout de suite qu’ils le condamneraient illico. il t’hésite en silence ; rien qu’en ça c’est un traître.

terrible comme il en a conscience, lorsqu’il t’admire, sans vaciller, lorsqu’il t’écoute toi et tes clauses et que vous lui semblez crédibles, tout au fond de lui-même la conviction que tu mens mais il se l’étouffe consentant. avec tes cheveux blond des blés et tes traits parfaitement diaphanes, c’est vrai : tu fais très angélique.

alors peut-être qu’il regrettera - voire sûr et certain - mais Maria.
le premier prénom prononcé tout en te dévisageant droit. c’est ma mère. elle est mortelle, dans le genre excentrique et dépensière au possible. un peu comme une ado’ dans un corps quasi-cinquantenaire. elle a mis Lazare en ce monde, seulement, elle est orpheline si je meurs. c’est moi qui m’en occupe ;
toi aussi désormais.

et ensuite mes clients - mais ils changent régulièrement. j’en rencontre sans arrêt. je ne peux pas te lister les noms. ce serait trop long tu vois. juste que ça m’arrange s’ils vivent vu tous les virements qu’ils me font - si tu les saignes dès que je leur parle je suis au chômage, tu comprends ? tu peux les veiller deux par deux, si tu veux, jamais plus de trois à la fois. comme tu le sens.

et sinon… songeur il inspire à son filtre,
s’y brûle presque le bout des lèvres, sinon c’est tout je crois.
il expire, et son œil va traîner son vert au creux des poussières à vos pieds - il y fait tomber son poison, l’achève d’une pression du talon - les autres sont à moitié divins, comme lui, alors, je m’inquiète moins pour eux. la cigarette crevée, il redresse le nez pour te voir. c’est mal, il sait. se dit qu'au pire des cas, il lui restera le suicide si tu vises sa famille des cieux ; ne sera pas briser votre pacte puisqu'il n'y a pas marqué Lazare.

ton rire t’avait rouvert la bouche grande et rien qu’une seconde, il y voit la géhenne - ton palais d’un rouge sang, comme l’arcade d’une crypte où l’on vient célébrer l’Ibris, le moindre nom jeté là-dedans servant de pâture à la bête - il se ressent alors son rôle de maître des hautes œuvres, un terme joli pour dire laid : pour se dire bourreau quelque part.
quelque part, il est un complice à présent.
à l’hécatombe, ton acolyte.

inconscient, tu le crois. tu lui surestimes sa bonté.
ce n’est pas tant la légèreté qui l’avait poussé à parler, ce soir, mais plutôt de ces pensées sans gênes alourdies par une humeur sale. ses entrailles sont crasseuses ; en leur sein ses Amours portées, toutes les Amours, celles pour les Cieux comprises.
Lazare aime mal les Dieux. il les aime à coup de cœur d’homme. il les aime comme tous ces fidèles qui les prient et puis les maudissent, remercient les miracles dont ils se bâffrent jusqu’à plus faim, vomissant les malheurs. sinon les aime-t-il façon d’un enfant, qui veut voir son parent mourir parfois tant l’adoration reste injuste ; leur offrirait tout de même des pleurs et des fleurs à la tombe.

ou comme un inconscient, oui, si tu l’affirmes lui te croit.

il préfère.
c’est cela qui lui facilite la vision d’enfer à l’instant : ton image déformée, tordue des allures rapaces, un Ange mais un Ange conforme à la Bible qui se penche, parachève. la signature lui donne l’impression d’être en glaise - taillée de tes ongles sa peau s’en trouve ciselée, à trois reprises, très droites, comme de l’argile imbibée qu’un fin tranchet détaille bien - il avait plaqué ses épaules au mur d’ailleurs comme on fait la viande au billot. immobile tout du long. les premiers temps indolores tellement la césure était propre. après ça ton regard est fou, et ton sourire aussi, tous tes gestes malades lorsque tu saisis son visage, le lui presse ;

là qu’il se sent malade, à son tour tout autant, les nerfs pulsant au poitrail éveillés par un ruissellement. poisseux. il sent le devant de sa chemise tremper comme s’il y pleuvait chaud, au dessus une odeur de fer presqu’un petrichor de charogne. il se sent l’inverse de serein, paisiblement coupable. tu le lâches. il inspire, te souffle un Ange, va-t’en, dès lors ne se sent rien.

à toi, juste ça.