La route jusqu'à l'Archeron avait été périlleuse mais surtout douloureuse. Tu avais accueilli sans broncher la souffrance du monde, et avait ricané des heures durant pour t'en moquer, sur le bateau qui vous avait ramené jusqu'à la baie de New York. Dionne était avec toi (à sa juste place) ; Meryem avait perdu une aile et sa disgrâce ; les autres monstres s'étaient débrouillé pour venir vous retrouver.

Tu n'as pratiquement plus aucun souvenir du trajet ;
seulement de tes chaussures trouées et maculées de sang, des cheveux sales de Dionne et de l'odeur lancinante de chair humaine, dont les restes macéraient déjà au fond de vos estomacs.

Une fois rentré, tu t'étais écroulé dans les bras de Dionne et avais sommé à être conduit dans une chambre.

J'ai besoin de me régénérer..., avais-tu soufflé à ta protégée, jusqu'à t'effondrer sur un matelas dans une pièce au hasard.

Fermes les volets, je veux être dans le noir.

Et même sans dormir, tu avais pris ces quelques jours pour méditer. Le repos éternel ... à portée ;

d'un sommeil sans rêves.

(...)

Dans l'obscurité, l'oeil accroche la fente de lumière qui grandit sur la moquette. Tu ne réponds pas, concentré. Tu as presque retrouvé toutes tes forces, mais tu sais qu'à l'instant même où tu passeras le pas de la porte, la vie reprendra son cours - et la faim reviendra te hanter.

Dionne le rejoint pieds nus et son parfum est une agression envers tes sens. Tu inspires bruyamment et te tournes légèrement pour que ton visage puisse trouver le sien.

J'ai faim...

La voix est presque aussi basse qu'un susurrement ; l'on pourrait croire à un geignement d'enfant.

Ça va. Je ne sens plus rien.

Tu roules pour te mettre sur le dos.

Ah. Ça change.

Tu accroches aux détails de son outfit, interloqué de la voir aussi différente que d'habitude.

Tu as fait le tour du propriétaire ?

Tu as eu le temps d'y réfléchir. Tu avais pisté son odeur se déplaçant dans tout l'Archéron ces derniers jours.

Tu as fouillé, un peu. Les autres monstres ne t'ont rien fait.

Tu attends qu'elle en vienne aux faits. Les reproches, tu les entends même dans le silence - tu t'en nourris abondamment.

Tu grognes. Tu n'aimes pas ses questions trop pointilleuses ou trop précises - tu les sais pourtant nécessaires et rarement dénuées de pertinence. Tu hausses les épaules et ça sera la seule réponse que tu lui accorderas. Tu cherches à te redresser mais Dionne a posé sa main sur ton torse. Tu souffles du nez, avec un manque de pudeur et bien séance flagrant. Tes yeux cherchent à accrocher les siens dans l'obscurité, comme si tu menaçais subtilement de la dévorer, à chaque fois qu'elle fait preuve d'insolence - toi tu fais preuve d'indulgence.

Ah oui... c'est vrai ça...

Tu cales ta respiration sur la sienne. Tu t'étires sans te redresser pour autant - lui laisse croire qu'elle a le pouvoir sur toi. Ça t'amuse.

Tu peux faire confiance à personne. Méfie toi de tout le monde ! Ta seule garantie, c'est qu'ils savent tous à peu près ce que je leur ferai s'ils s'en prennent à toi... mais ils peuvent ignorer mes menaces. De quoi devraient-ils avoir peur ? Ils sont immortels, comme moi !

Tu ricanes. Mais le rictus se meurt à l'orée de tes lèvres lorsqu'elle mentionne votre amitié. Tu fronces les sourcils.

Amis... hm... oui, amis. Tu es mon amie ?

Tu forces pour te relever. Sa main est toujours sur ton torse mais te voilà en position assise. Tu caresses la fragilité de son poignet.

C'est vrai. Tu m'en veux ? Mais j'y suis pour rien cette fois pourtant...

Tu te penches à son oreille.

Moi j'ai obéis aux ordres de Maman... Mais tu sais qui lui a soufflé l'idée ? Hein ?

Ça te plait de lui rappeler que celle qu'elle aime éperdument est loin d'être l'Ange que son doux nom suggère.

Ouai, elle. Je suis désolé, Dionne. Je crois que j'avais tapé un message mais j'ai oublié de l'envoyer.

Tu n'oublies rien, même les absurdités balancées comme ça, lors des soirées de défonce ou même pendant le sexe - c'est ça ton problème, tu retiens tout mais tu n'emploies jamais les informations à ton avantage. Tu dégoulines juste et débordes de tout ce dont tu te nourris.
Alors, non, tu n'as pas vraiment oublié - tu viens juste à en douter, car un monstre et un humain ; même toi tu es légitime de douter de la sincérité de cette amitié.

Non, bien sûr que non ! Je voulais voir si tu suivais.

Mais vient vite la vraie confrontation ; une bataille de regards et de faux semblants. Sûrement que c'est normal entre amis ! Tu forces sur son poignet pour te pencher vers elle, instaure une intimité qu'elle jugera sûrement déplacée avant que tu ne le devines de toi-même.

Je m'en fiche que ça soit Ange !
Ça n'a pas de sens ;
elle qui est toujours à réprimander l'horreur, à détester se salir les mains. Tu grognes.

Il y a pas ta fratrie pour prouver quoi que ce soit Dionne. Avec moi tu peux être -

Mais pas le temps de sceller à nouveau votre pacte de sincérité. Dionne affirme qu'une fille d'Hébé est morte pendant l'attaque. Tu te figes, le regard écarquillé de surprise. Pour la première fois, l'Hydre semble exprimer autre chose que de la raillerie ; tu prends au sérieux cette déclaration, comme si ça avait eu le mérite de faire trembler les fondations même de votre relation.

Qui...?

L'esprit se
diss/ocie

Et des délires naissent des illusions punitives ; créatures d'ombres qui grimpent et grignotent les murs, enferment et étouffent la faible lumière. Tu ne laisses échapper qu'un grondement guttural de colère. Si tu le pouvais tu serais prêt à te transformer ici et maintenant pour laisser l'animal prendre le dessus sur l'homme - l'homme qui n'en est pas vraiment un, au final, et qui ne comprend rien. COMMENT CELA A T-IL PU ARRIVER ?

Tu emmagasines les informations comme si tu les engloutissais. Georges, petite soeur, copain, amis, Georges, disparue, mais qui ? Les ombres voraces continuent de grimper et d'avaler la lumière, pour vous plonger dans une obscurité damnée où l'appétit n'a plus sa place parmi les émotions primaires. Et le pardon non plus visiblement. Le regard sombre la toise. Tu dissocies, tu n'es plus vraiment là. Ne reste que la carcasse vide qui gronde et qui gronde ; avide de la voir s'abandonner sans résister.

Peu à peu, le contrôle revient prendre possession du corps. Tu pousses une expiration bruyante et l'illusion disparait aussi vite qu'elle est apparu. Les rideaux s'agitent sous le courant d'air et laisse dévoiler une fente de lumière qui vient éclairer une partie de ton visage. Rappelle à Dionne que tu es à moitié humain.

((à moitié divin))

Et merde...

Tu étais sûr d'avoir assuré en protégeant son frère - mais voilà que la soeur avait clamsé. Ce pacte commençait à t'encombrer.

Non, Dionne, Non ! Pas maintenant, tu ne peux plus.

Tu l'attrapes par le cou et la renverse sur le lit, grimpes au-dessus d'elle. Tu ne serres pas, tu la maintiens juste.

Je ne te laisserai plus partir. Si tu crois que le Lotus est un hotel - on rentre, on sort, on est libre. Tu as fait ton choix, tu l'assumeras jusqu'au bout.

Avances la tête pour murmurer au creux de ses lèvres.

Je m'occupe de tes adelphes, et je m'occupe de retrouver celui qui n'a pas retenu la leçon. Mais... tu ne m'abandonnes pas.

Il y a dans cette possessivité intense un besoin de contrôle après avoir laissé au destin toutes ses chances. La présence de Dionne à tes côtés apporte en quelque sorte une direction dans cette vie qui a finit par se perdre sur son propre chemin. Peut-elle seulement comprendre que Lotus existe pour y donner du sens ? Pour vous donner une raison d'exister pour vous et pas seulement pour eux - les héros et leurs quêtes - leurs prestiges dans les têtes qu'ils ramènent à la maison, pour honorer des Dieux que plus personne ne vénèrent.

Alors que Dionne échappe à tes lèvres, elle ressert son étreinte. Ça te bouleverse un peu, ça provoque une émotion qui gronde dans le bas du ventre - ou qui te réchauffe dans le creux du coeur. Il t'a semblé vivre mille éternités depuis qu'une femme a exprimé son besoin de te savoir près d'elle. Était-ce Héra, au commencement de ton malheur ?

Alors m'abandonne pas.

Tu souffles dans son cou, étires un sourire dans l'obscurité de ses cheveux raides.

Je veux être celui qui rongera tes os quand tu te seras éteinte.

Câlines ses épaules, effleures la rondeur de sa mâchoire. Tu ne t'autorises que de l'affection chaste - car Dionne n'a jamais eu faim de toi comme tu aurais pu la désirer, quelques fois.

On aura bien rigolé, quand même.

Pas sûr qu'elle le vive de la même manière. Mais si ça peut prolonger un peu votre aventure, avant que tu ne te lasses pour de bon - car depuis ta naissance, la rencontre avec Dionne ne constitue qu'une poignée de secondes.

Je t'aiderai.

Je te peignerai à mon image.

Jamais Dionne n'avait eu de tendresse envers toi - si bien que tu ne sais pas comment la recevoir. D'un coup, sa mélancolie te semble insultante - pour elle pour toi et pour vous, pour tout ce que vous représentez à deux. Il n'empêche que tu t'imprègnes de sa douceur, tu te nourris de sa vulnérabilité et tu grignotes ses élans d'affection (de faiblesse) pour t'imposer un peu plus à son intégrité.

Elle existe ;
e x i s t e (c'est étrange)
car tu le permets.

Et si elle meurt ;
m e u r t (comme les anges)
c'est parce que tu le permets.

Je peux te le jurer si ça te rassure.

Il y avait une vie avant Dionne, il y en aura une autre après. Non ! C'est toujours la même, lancinante et ennuyante. Refuser son passé c'est nier son futur - et le futur est d'or.
Comment accepter la vie lorsqu'on refuse la mort.

J'ai bien fait de te laisser vivre. Tu m'auras amusé pendant des décennies.

Tu déposes un baiser dans le creux de son cou. Tu as envie d'elle, mais pas de cette manière. Juste de son essence, et de toute l'intensité qui se dégage de votre lutte. Dionne et Duke!

J'attendais que tu demandes ! Est-ce que tu t'es déjà imaginé, les cheveux roses ? Il me reste de la teinture quelque part, ça va être énorme.

Duke et Dionne.