Evidemment, le pire devait arriver.
Il avait des envies rares de violences, car il aurait voulu que sa paranoïa ne donne lieu à rien, encore une fois. Il aurait voulu avoir tort, juste pour cette fois. Que de se dire que d’avoir autant de demi-dieux réunis dans un seul endroit en-dehors de l’enceinte de Nausikaa se passerait sans soucis. Mais au fond, il n’y avait jamais cru. C’était une occasion trop belle pour les charognards.

Dès les premiers mouvements de panique, son réflexe est de contacter Demian avec son rainphone via son oreillette, essayant de lutter contre les bousculades pour garder son frère dans son champs de vision. Son visage se crispa en reconnaissant la femme aux cheveux clairs qui se tient devant David.
Elle n’a l’air ni surprise, ni paniquée. Bien au contraire.
Darryn avait toujours dit à son frère de ne pas lui faire confiance.

«  2 monstres repérés devant la scène, déjà un mort, ÉVACUATION IMMÉDIATE ! Les deux peuvent voler, alertes aux attaques aériennes ! »

Parce qu’il était certain que Ange avait comploté. Et son focus fut tellement sur le monstre qu’il ne vit qu’une seconde trop tard la femme poignarder son frère.
Et il vit rouge.

« DAVID !!! »

Sans réfléchir, il bouscule les gens qui le bloquent pour se précipiter vers son adelphe et attrape « Dionne » par le col pour la tirer en arrière et la balancer vers les barricades pour la sonner un instant, le temps de repousser Ange d’un coup à l’épaule.

« ELOIGNE-TOI DE LUI ! C’EST TA FAUTE ! »

Il se tient en chien de garde devant David, prêt à tuer le premier qui s’en prendrait à lui, armé de son pistolet et ses balles en argent.

L’Aigle reprend sa forme monstrueuse dans une bourrasque qu’il fait de son mieux pour braver, un bras derrière lui pour s’assurer que David ne serait pas emporté, lui qui était moins stable avec sa blessure. Du coin de l’oeil, il voit des flammes naître non loin des barricades. Encore une fois, il use de son oreillette en espérant qu’un Sparte soit opérationnel pour maîtriser le feu dans la panique.

Il sent un mouvement derrière lui et constate que son frère semble prêt à se battre.
Mais non.
Plutôt que de tuer celle qui a causé ce massacre de leurs adelphes, il lui parlait calmement.
Plutôt que de tuer l’aitre qui l’avait poignardé, il lui parlait calmement.

Darryn regarda son frère avec un mélange de colère et de désappointement.

« Tu t’es entouré de traîtres, mon frère. »

Si même la vermine avait réussi à intégrer le cercle du représentant du roi, combien encore étaient corrompus ici.

Il épaule son fusil et vise Ange et Dionne.
Il tire une balle.

La balle touche.
Les traîtres méritent d’être abattu, pour avoir osé toucher son frère, avoir osé trahir sa confiance.
David devait devenir le Roi, David devait remplacer Zeus sur le trône, David devait régner pour faire de ce monde pourri un havre de paix.
Et lui, Darryn Cobhthaich, lui était là pour lui ouvrir la voie.
Il s’était convaincu plus jeune que les Norns n’avaient pas prévues pour lui de servir son père, que sa marque n’était pas apparue parce que Zeus l’avait reconnu.
Tout ça, c’était pour David.
C’était lui qui l’avait vu, entraîné, reconnu, élevé.
C’était pour lui qu’il s’était fait un modèle de droiture et de justice.
Il voulait représenter ce que deviendrait quelqu’un de Nausikaa, s’ils avaient un roi comme David pour les diriger.

Et là, dans les flammes de l’Enfer de l’Aigle, il sent tous ses poils se dresser sur son corps. La même sensation que lorsque Echidna était venue à sa rencontre, près de dix ans auparavant. Il a ce même sentiment de fatalité ; il sait qu’il ne survivra pas.
Il a chaud, du mur de flamme qui l’emprisonne et des braises qui lui brûlent les yeux. Il a froid, du vent et de la pluie.
Il a chaud, de la rage qui fait tomber les éclairs sur le monstre qui tourne en rond, vautour grotesque au chant macabre.
Il a froid, du métal du fusil contre sa joue quand il vide ses balles sur la cible mouvante.
Parce qu’il y croit dur comme fer qu’il ne mourra pas inutilement.
S’il faut ça pour que David ouvre les yeux, pour qu’enfin Nausikaa se décide à être pro-actif pour chasser ces atrocités, pour que l’oisiveté n’ait plus sa place parmi ceux qui savent se battre et doivent se battre.

Qu’il en soit ainsi.

Il ne regrettait pas. Il reviendrait, il le savait. Lui au moins avait droit à ça. C’était pour ceux qui ne pouvaient rien contre les monstres qu’il voulait se battre. Il pense à ses collègues mortels, et ceux qui ne le sont pas. Il pense à ses rares amis, à ses filleuls. À sa mère, qu’il pourra peut-être pouvoir serrer dans ses bras un instant aux Enfers.
Il est prêt.

Une fois, deux fois, trois fois.
L’Aigle le lacère d’une force qui lui coupe le souffle.
Incapable de crier, touché à la gorge.
Les vieilles cicatrices du premier passage d’Echidna se rouvrent.
Il lui reste à peine suffisamment de conscience pour contempler la pluie. Chaque goutte comme des aiguilles qui percent sa chair ouverte.
Cette fois-ci, il mourrait.