Des enfers, il était revenu une énième fois. l'Hydre s'était lassé de sa dernière apparence - s'était lassé du rose et de son costume à rayures violettes. Les traits de son visage s'étaient figés mais Duke s'employait à les masquer sous des couches de couleurs vives et de maquillage bon marché. Il n'était pas devenu fou, Duke l'était déjà ; mais plus en colère. Et en cela, il était revenu - une énième fois plus dangereux.

Dans les couloirs de l'Acheron, Duke trottine. Ses grosses chaussures couinent sur le sol en lino. Passé voir sa mère pour lui souhaiter le bonjour ; le bras-droit du Lotus s'est abstenu de dire qu'il avait croisé Typhon dans le Tartare, à maudire sa descendance impure et sa chère et tendre absente de leur sépulture. Duke n'avait fait que glousser comme il en avait l'habitude.

Mais une fois la porte du bureau d'Echidna claquée, Duke a perdu son rictus. Clown triste qui déambule, il se met à la recherche d'un peu de chair fraiche. L'odeur le conduit à la chambre de Dionne, au troisième étage. Il pousse la porte et passe la tête, de sorte à la coincer dans l'encadrement. Le clair obscur de la pièce, rideaux tirés, marque une fente de lumière qui s'écrase pile au centre de son visage. Duke ne ressemble plus à Duke - il ressemble à un de ces tueurs malades qu'adorent imaginer les humains dans leurs fictions pour se faire peur.

Parce qu'il avait envie de sourire ;
il s'en est étiré un.
Parce qu'il avait envie d'en pleurer ;
il a laissé des larmes de colle couler.

D'une voix rauque et caverneuse, il brise le silence.

Je vois un petit oiseau... au sage dans son nid. Mais méfiez vous des petits oiseaux ! Ce sont des menteurs et des traitres. Une contrariété et ils vous plantent un couteau dans le coeur !

Il fait grincer le bois de la porte afin qu'elle le dévoile complètement. Ouvres ses bras pour accueillir son étreinte, si elle le voulait - ou pour ponctuer le début de son show.

Le cri ne l'avait fait pas trembler une seconde. Il était resté figé, le regard fixe et brillant, le visage faiblement éclairé par la veilleuse à son chevet. Dionne s'était redressée dans l'horreur dont elle était témoin, face à elle. Avait-elle vu un monstre ? Ça aurait été cocasse qu'il lui fasse encore peur, après toutes ces années à se fréquenter. Et ça aurait été dommage, que ça le vexe, après toutes ces années à la tolérer. Non. Duke était impulsif, mais suffisamment mauvais pour appréhender un réalisme cru et identitaire. Ils appartenaient à deux espèces différentes. Comment ça aurait pu marcher ?

Duke attend patiemment que Dionne s'extrait de son nid pour le rejoindre - petit oiseau en cage qui ne va pas tarder à le trahir, lui aussi. Il perçoit les tremblements de son corps de martyr, mais fait comme si de rien n'était. Il la sert fort contre lui pour lui rappeler les barreaux de la cage dans laquelle elle s'est volontairement et consciemment enfermé.

Il tapote son dos pendant qu'elle l'enserre.

Oui, oui ! Moi aussi je t'aime Dionne ! Tu m'étouffes de ton amour !

Mais la question le surprend trop pour qu'il continue à faire semblant.

Je ne le pense pas.

Il se penche à sa hauteur. Son masque de clown rend ses propos plus glaçants - alors qu'il s'efforce d'articuler sur un ton léger. Son ton est doucereux, presque menaçant.

Tu as trop peur pour faire quoi que ce soit. Tu sais que je t'arracherai la tête et que je m'emploierai à planter toutes celles de tes adelphes sur des piques, à un mètre de distance en partant de la grande porte, sur votre joli isthme.

Il réprime un gloussement et hausses les épaules, nonchalant.

On s'est promis. Je te dévorerai à la fin, mais pas maintenant. Me tuer me met très en colère. Très très... très en colère.

Il la saisit brusquement par les hanches et la balance sur son épaule.

Allons faire une petite balade, veux-tu ?

Sans attendre, il traverse déjà le couloir, la démarche grossière et caricaturale d'un comédien exagérant tout ses mouvements.

Malgré l'horreur de ses propos, Duke y met les formes. Il continue de sourire, dodeline la tête doucement au rythme d'une musique que personne n'entend, à par lui - dans sa tête. Si tout le monde voit en Dionne la personnification sacrificielle de la traitresse originelle, la Eve de leur mythologie ; Duke ne fait face qu'à sa super copine, celle qui mourra à la fin des temps quand Eve, elle, est morte au commencement.

Moi non plus je n'aime pas. Alors ne m'y force pas ?

Sans prévenir il l'attrape à la taille et la met sur son épaule. Il veut s'éloigner de cette chambre ou résonnent encore la chaleur de leur étreinte et la lourdeur de leurs serments. Duke n'a pas toujours tenu ses promesses ; pour Dionne il s'est pourtant efforcé de s'y appliquer vraiment.

L'endroit où il m'a tué ou l'endroit où je suis revenu ? Ne t'inquiète pas, rien à voir avec Cassie-chéri. Je lui ai déjà pardonné.

Il éclate d'un rire hystérique et se met à danser, trottine cette fois au rythme de la musique qui bat son plein, dans la boite juste en dessous d'eux - et qu'on perçoit vaguement dans le couloir du premier étage.

Je suis tellement ... en pleine forme ! OUI JE PÈTE LA FORME DIONNE !

Il ouvre une porte coupe-feu au hasard et grimpe les escaliers de secours jusqu'au toit de l'achéron. Au sommet de sa grandeur, Duke ne réalise pas à quel point il est petit, prisonnier de ce corps d'humain. C'est la première fois depuis son énième réincarnation qu'il regrette son apparence d'Hydre. Il ressent le besoin d'être craint.

Enfin, il la pose, mais la garde à proximité. Pointe du doigt l'océan qu'on aperçoit au loin, entre le cimetière de buildings qui s'élèvent sous le soleil.

Est-ce que tu savais que les monstres ont été bénis d'une capacité ? Mère me l'a raconté il y a de cela plus de vingt ans, ou trente, je ne sais plus. Mais vos pouvoirs, on peut vous les voler. Je pourrais avoir un des tiens si je te dévorais. Mais je n'ai jamais réussi pour le moment, j'en veux un en particulier.

Il passe ses mains derrière son dos.

Cela fait maintenant plus d'une décennie que je le veux. Encore et toujours lui, ce fils de Dionysos - je lui donne trop d'importance.

Mais Duke n'en a que faire. Il finira bien par avoir ce qu'il veut - et une fois que ce sera accompli, il ne lui restera plus rien auquel s'accrocher.

Je veux Bellamy. Après ça sera fini, tu comprends ?

Il s'abstient de préciser : après je pourrais mourir, après vous avoir tous tué.

Il y a eu un temps ou Duke cultivait des explosifs dans la penderie de son appartement pour tout faire péter. Il n'aurait pas détruit grand chose, sûrement un bâtiment - une banque pour contrer le capitalisme - ou la boite de nuit d'Echidna pour contrer le totalitarisme de sa mère ; pour la punir d'en être une mauvaise ou pour se réjouir d'être une punaise. Mais Ange s'est moqué de lui et l'a trouvé fade, alors son machiavélisme a pris une autre teinte, s'est délavé dans une couleur feinte.

Sa folie. Je veux la folie. Je veux comprendre ce qu'il m'a fait il y a dix ans. Encore. J'en veux encore, Dionne.

Il la presse contre lui sans la regarder. Hypnotisé par les lumières vacillantes de la ville, il admire ce siècle hyper connecté.

Vous avez tellement évolué en deux millénaires. J'adore cette époque, mais ... elle me fait peur, je te l'avoue. C'est devenu si différent de ce qui a été pendant si longtemps.

Il se penche vers elle et, tout en la maintenant contre lui, embrasse le haut de son crâne.

J'en ai assez d'être confus. C'est tout. Tu vas mourir, Cassiopée aussi, moi aussi. Je reviendrai encore et encore ; c'est comme ça. Toi tu ne seras plus là. J'en trouverai une autre, je te remplacerai. Il y aura une nouvelle proie prise dans mes filets, qui fera semblant de me sourire pour ne pas que je l'éviscère. Ça ne te rend pas nostalgique ?

Il étire un sourire cruel.

Moi, si. Tu es la première à me suivre.

Quand les autres n'ont cherché qu'à l'anéantir, par tous les moyens.

Mais je ne suis pas fou au point de croire que tu le fais par plaisir.

Il fait tourner son doigt près de sa tempe pour mimer la démence. Il n'est pas fou, pas totalement - assez lucide pour tromper son monde et le faire plier à sa volonté.

Mais tu le fais, et c'est déjà plus que ce qui m'a été accordé depuis que je suis né.

Dionne est comme ça. Elle est toujours à intellectualiser. C'est difficile pour Duke d'appréhender la réflexion qu'elle pose à voix haute - parce que dans sa tête c'est le bordel et qu'il a déjà donné son meilleur. Pas sûr qu'il puisse mieux verbaliser. C'est déjà un gros effort de sa part. Il communique alors qu'il a été éduqué à aboyer. Dionne dépeint ce petit quelque chose de tragique et Duke hausse les épaules, las de s'apitoyer sur son sort.

Je pense que tu as raison. Tu as toujours raison Dionne !

D'apparence calme, le ton est agressif. Duke se retourne brusquement de trois quart pour lui cracher avec hargne :

Tu n'es pas fatiguée d'avoir toujours raison ?!

Le fiel évacué, Duke laisse échapper un soupire exagéré. Il capitule face à l'immensité de la ville - les buildings illuminés tendent à l'écraser. Il s'assied par terre et lève le menton vers sa comparse. Duke a l'air d'un petit animal brisé, biaisé par des injonctions qui ne sont pas les siennes.

Je les choisis passionnés. À mon image. Je ne veux plus jamais m'ennuyer. Plus jamais attendre comme attendre Heraclès m'a tourmenté.

Dionne ironise et Duke se surprend à rire sincèrement.

Prend-moi dans tes bras s'il te plait. Fais semblant de ne pas avoir peur de moi. Je veux sentir ce que ça fait, juste un instant.