Sylvia Plath, from a letter to Ruth Tiffanny Beuscher written c. July 1962

la forêt ne me fait pas peur, comme le pourrait-elle ?
je sais que j'ai dit aux docteurs, aux psychologues et aux autres arracheurs : j'ai peur, j'ai peur de tout, mais par là je voulais dire : j'ai peur de tout ce qui est profondément humain, c'est à dire tout, tout autour. je vois des visages d'hommes dans les murs des maisons dans les comportements des machines dans les pixels des mails dans les chemins tracés dans les prairies dans la rigueur avec laquelle certains bosquets se dressent, je vois des mains à dix doigts dans tout mon laboratoire et neuf aussi parfois, et ces rigueurs fabriquées je ne les aime plus ; c'est faux mais c'est vrai aussi -je vois les règles dans la nature (les ovales des chloroplastes les hélices de l'adn les architectures des cellules végétales la beauté des phloèmes) et elles m'apaisent parce qu'elles sont justes. elles m'éloignent de mes échecs, de tout ce que je ne fais pas assez droit. la forêt ne me fait pas peur. le chaos qui s'y trouve n'est celui de personne, et alors il se retrouve normal : aucune âme n'a ici laissé des déchets oubliés.
la forêt ne me fait pas peur, parfois je la regarde depuis mon bureau et elle m'oblige à respirer au rythme des branches qui se balancent. elle me rappelle doucement que le jour tourne, et je le sens dans tout mon être. j'imagine que si je devais remercier un jour ma mère, ce serait pour cela : tout brin d'herbe sent le chez-soi.
la forêt ne me fait pas peur ; mais ce que j'y trouve, oui, parfois. ton visage n'est pas aussi droit que d'habitude. les bleus lui donnent une asymétrie que
je n'aime pas
je savais que j'allais te voir et pourtant encore, je me dis : il ne devrait pas être ici
c'est une anomalie, tu comprends ? et les valeurs aberrantes, en science, on les ignore
et ça, non, enfin, je ne peux pas te faire ça
pas enfin, pas maintenant
alors dans la forêt qui chante, il y a un homme -un homme plus homme que bien des hommes, un homme de vin et de fraises sur paille, un homme de pierre et de mensonges, un homme de théâtre, un homme de traditions, un homme qui offre aux autres hommes, un homme aux lignes droites qui manque de structure intérieure
un homme avec un tronc creux
un homme qui n'a pas de forêt
mais qui vient peut-être trouver racine.
précieux ! une interjection et pas un piaillement d'oiseau ah sacrilège me voilà qui rajoute de l'humanité dans cette sylve tranquille, je vois le livre et je me dis : ce sont des histoires qui avant voyageaient avec le vent
l'expression est inédite mais elle est réelle, brute, et mon visage ne sait pas trop quoi montrer
était-ce la fin ? avais-tu fermé la porte ? celle faite de ces corps abattus, poncés, cirés ? serait-ce du chêne, du pin, du méranti ?
non, jamais c'était la réalité puisque comment pouvais-tu déranger quand c'était moi qui allait à toi depuis toujours ? même avant, même avant viens, je t'en prie, suis-moi -rentrons
je marche et si nous sommes de la même taille j'avance sûrement plus vite ; j'ai le stress en plus de ma vitesse habituelle
la porte, la mienne, est en métal ; il faut savoir quoi faire pour l'ouvrir mais ne t'en inquiètes pas : bientôt il n'y a plus aucune barrière et
dans le reste d'odeur de brûlé de mars, se dévoile un laboratoire, du blanc des papiers et des ordinateurs
je vais ouvrir la fenêtre, fais rouler une chaise, t'invite à t'assoir, regarde rapidement les araignées dans leurs terrarium (elles sont belles) est-ce que tu veux un thé ? c'est en sachet. probablement pas très bon, mais au moins c'est chaud et c'est ce qu'il nous faut, non ? de la véhémence, un peu d'amour tu as ce qu'il te faut, pour tes bleus ? cela ne servait à rien d'essayer de l'ignorer
alors je demande
peut-être parce que je préfère questionner plutôt que de te laisser me parler de ce que tu es venu m'annoncer
la forêt ne me fait pas peur
et pourtant j'en suis parti-e.

Sylvia Plath, from a letter to Ruth Tiffanny Beuscher written c. July 1962

la cuisine n'est pas très grande -il n'y a qu'un frigo, qu'il ne faudra pas ouvrir, un évier, et puis la bouilloire
sous l'évier, il y a des boîtes, de toutes les couleurs, de toutes les dates, et si je ne les ai pas apportées, je sais que mars les a volées, et que rien n'est périmé. oh il y a bien plus que du thé, mais ce sont des histoires pour un autre jour -j'attrape en vitesse un sachet au hasard ; qu'importe le goût, il ne sera pas bon (je n'aime ces eaux chaudes colorées que le matin, à notre table, pendant qu'il cuisine, et que ses cheveux sont encore mouillés, alors que mes yeux peinent à s'ouvrir, et que la journée ne se résume qu'à lui encore -----ces derniers jours, jun ne s'est pas levé
alors j'appuie sur la bouilloire comme si elle m'avait vexée, et j'arrache le papier comme s'il m'avait insulté, et mes épaules s'affaissent maintenant parce que je n'ai pas le droit à la défaite devant lui)
oui, moi aussi je suis stressée, précieux
j'ai besoin d'une tasse à tripoter, d'une tâche à faire, de choses simples qui m'empêchent de penser à tout le travail que je vais devoir rattraper
et à ces pensées, mon bras tressaute, il a ses pulsions comme une jambe qu'on agite, qu'on ne saurait calmer, et soudainement j'ai mal dans ce coude que je n'ai plus j'ai les muscles trop tendus ils cisaillent le métal dans mon imaginaire dépassé par les restes de ce qu'il s'est passé ah, d'accord. je peux te faire pousser de la consoude, s'il le faut mais je ne sais pas si j'aurais la foi parce que je suis devenue infirmière du jour au lendemain et j'ai mal des soins que j'ai donné, je n'en ai pas l'habitude, qui l'aurait cru ?
j'ai besoin d'une pause
alors je demande au bois en moi de me laisser, et le métal tombe dans mon autre bras
on voit le moignon, il n'est pas horrible
il n'est pas beau non plus.
et quand je laisse le bras à côté de l'évier, j'y mets aussi tout ce qui m'empêche de me concentrer sur toi
la tasse est fumante, et je m'assois sur l'autre chaise à roulettes
tu peux m'envoyer un message quand tu veux, ne t'en inquiètes pas, je le verrais quand je le pourrais parce qu'il n'y a que moi qui me dérange et personne d'autre, c'est ainsi que j'ai défini ma relation à ces pavés de métaux qui ne me permettent pas de prendre ma tasse en main (juste ma vie)
à la mention de mars, je revois ses messages
oui, j'imagine, tu ressembles vraiment à un pingouin
même si, évidemment, il y a quelques éléments contre-nature
j'ai vu : les chaussures qui ne sont pas vernies, la saleté sous les semelles, le sac entièrement neuf, à moins que simplement tu y ais pris grand soin ? non : les réglages sont mal faits
tu serai revenu, dis-tu -et alors, combien de fois déjà as-tu toqué à la porte ?
j'aurais été curieux-se de savoir mais qu'importe, qu'importe, écoutons la suite de l'histoire
celle qui dit que c'en est fini de cet état d'entre-deux, de mi-existance dans la faille de nos points de vues, de nos envies, de nos réalités
tu parles et tout ce que je me demande c'est : ne sommes-nous pas déjà passé à ce stade-là ? oh bien sûr, tu me niais à chaque fois mes venues sur le pallier de ta porte, mais au fur et à mesure l'araignée n'a-t-elle pas tissé le long du dormant ? nous avons tant appris l'un-e sur l'autre, alors même que l'on se rencontrait pour se refuser l'un-e à l'autre
tu n'as pas fait exprès, j'imagine
moi, je ne peux pas plaider non-coupable.
alors voilà : les années ont passées, et je ne t'ai pas oublié. je suis venu-e et j'ai cru que nous étions déjà plus que ce que tu me racontes ici ; mais je sais, je sais que tu aimes les choses ordonnées, et que si elles ne sont pas dites ou écrites alors existent-elles vraiment ? tu doutes toujours. je sais que tu crois que tu n'aimes pas parler et que tu n'aimes pas les gens mais moi je pense que c'est faux ; je crois que tu n'aimes pas quand ce n'est pas fait à ta manière.
dans cette vulnérabilité partagée, je ne suis pas étouffé-e. au fur et à mesure que tu parles, je souris, de plus en plus, et bientôt je ne peux pas plus l'agrandir -mon visage a des limites
oui, au fond, ce que tu dis me confirme ce que je pense : on vient voir un-e ami-e quand on a besoin d'ellui. pas quand on le devient. ah ! je ne t'en dirai rien.
ce n'est pas injuste, précieux. c'est juste l'accord que nous avions passé. moi je crois que tu ne m'as rien interdit
je ne sais pas si tu en es capable et alors, je t'en propose un nouveau pour remplacer l'ancien : quand l'un-e a besoin de l'autre, on ne se demande pas s'il faut lae contacter plus tard. on est honnêtes, et on se le dit quand ça vient, sans rien obliger. l'autre verra ce qu'iel peut faire. ça te va ? et par cela j'écartais tous tes soucis déjà, je répondais à toutes les questions qui pouvaient flotter je n'ai laissé aucun doute sur mon accord sans jamais le dire sans jamais le définir parce que
ah
n'as-tu pas dit, précieux, que nous n'avons jamais été ami-es, et que nous ne pourrions plus jamais l'être ? n'avons-nous pas promis, à deux, que nous deviendrons autre chose ? je n'aime pas ce mot pour toi et moi
je trouve qu'il est trop plat
qu'il ne reflète pas ce que j'ai dans le cœur
tiens, tu peux essayer maintenant, si tu veux. pour voir si ça te va. pour que tu racontes tes malheurs pour que tu me dises pourquoi t'as pensé à moi comment on en est arrivé-es ici pourquoi moi en particulier si tu es si bien entouré (ah---- le sentiment d'unicité) ah, avant ça, laisse-moi un instant : merci d'être venu.
je m'assoies en tailleur sur ma chaise
le thé fume encore, il est trop chaud

Sylvia Plath, from a letter to Ruth Tiffanny Beuscher written c. July 1962

de ce bras libéré, il ne tombe rien
c'est décevant, je trouve : on en attend toujours plus de la liberté que l'absence de chaînes d'obligations de règles, alors qu'elle n'est pas vraiment ça, et qu'elle n'est pas plus non plus ; c'est nous, encore, qui plaçons en elle des espoirs trop humains
alors je suis déçu-e mais de moi avant tout
pensais-tu la même chose, précieux ? est-ce trop simple, cette acceptation de toi ? vas-tu la nier la refouler l'exfiltrer parce qu'elle te semble trop étrange ? ou vas-tu la crier la hurler la célébrer comme si elle venait sauver ta vie ? non, ah
bien sûr que non
pas le précieux qui lace ses lacets si sérieusement en sortant de chez lui, qui s'assure que les boucles sont rondes, et probablement centrées, et alors je ne t'imagine pas vraiment te relever, le dos droit les pieds parallèles les bras le long du corps pour soudainement pousser un AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH qui s'arrêterait comme il a commencé : sans prévenir
mais rien n'est prévu ici je pense et quand je te regarde je me demande comment tu gères ces changements ; oui, tu es venu les chercher, mais après alors ? je n'ai qu'à attendre, j'en suis sûr-e
tu me donnera les réponses
face à tes affirmations et tes politesses, je ne dis rien
j'ai l'habitude, je crois, de tes réponses nécessaires mais inutiles, les mots creux qui ne veulent que dire qu'il faut s'accrocher à ce que je considère des artifices des choses sans sol des syllabes pleines de vide mais d'accord oui, mais de rien, oui, et cela me convient au fond, je n'ai besoin de rien de plus
je tends ma main et la tasse est trop chaude
les empreintes dansent sur le rebord
elles pourraient glisser vers l'intérieur
tu savais qu'on pouvait brûler nos dermatoglyphes ? je ne te le conseille pas : ça fait mal, et dans quelques années ils reviendront, et puis, c'est un effort inutile. il faudrait se couper les mains et s'arracher toutes les dents pour être non-identifiables sans adn
ah ! j'ai déjà fait un tiers du chemin, ceci dit
et, tu vois, il y a des sentier à abandonner
mais pas le nôtre
je ne peux rien assurer c'était là ma nature de scientifique : nous savons que rien n'est sûr, mais j'ai envie que ça fonctionne et je vois ton regard fuyant déjà parti ah, alors tu as si peu foi en nous ? alors je ferai tout pour, et je crois que si tu es toi aussi partant, ça marchera faut-il d'autres choses que nos souhaits ? ou seraient-ils des besoins, même ?
je sais les fardeaux que nous avons sur nos épaules
mais n'ont-ils pas évolué en même temps que nous ?
tu disais : nous ne sommes plus les mêmes
et, alors, justement
nous avions des vies très différentes au camp aussi malgré luna malgré les fraisiers malgré les cours et les classes nous aurons toujours au moins en commun les choses dépassées les histoires à ne pas répéter la vérité sur nos réelles identités (celles dont on ne veut plus parler, mais qu'on aperçoit dans les prunelles de l'autre) notre envie de renouer, précieux
un sourire, bref
est-ce que tu le vois ? sur le côté de ta vision
je me reprends pour, encore, ne laisser aucun doute : je les abats un par un, t'empêches d'inventer des excuses pour t'éloigner ; tu es venu ici et ici c'est chez moi, tu es venu ici et ici tu as donné un peu de toi et j'ai envie de toi pas comme avant, différemment, mais il n'y avait rien de pire dans ma vie que quand j'étais enfant
la jalousie est un vilain défaut, dit-on
moi elle me flatte, elle me fait plaisir, parce que je ne la laissais pas planter ses griffes dans mes entrailles -mais maintenant quoi ? précieux est précieux, il est là et loin et je crois qu'en cet instant je comprends ce que tu dis
je comprends
l'avidité
hé bien ! emmène-moi voir une pièce. après ça, tu pourra m'en expliquer toutes les délicates subtilités que je n'ai absolument pas comprises autour d'un dîner. et puis, la semaine d'après, je n'ai qu'à t'amener faire une marche. pas très longue, ne t'inquiète pas. juste de quoi te montrer quelques fleurs sauvages de nausikaa. et, quand tu repartira, je te donnerai un bouquet et à travers lui je serai là
et tu pensera à MOI
et bientôt le monde du dehors sera mon royaume
et regarde : ai-je menti ? ce serait une relation qui fonctionne
mal, mais qui fonctionne
et en sachant cela, je me dis : arrête, solan
il serait temps de mieux vous aimer qu'avant.

Sylvia Plath, from a letter to Ruth Tiffanny Beuscher written c. July 1962

en y réfléchissant, tu devais connaître le cri
mais celui des autres
le cri des frustré-es face au marbre de ton visage le cri des gens dans les séries dans les pièces de théâtre qui ont trop d'émotions et qui ne savent pas bien les ficeler les trimballer les étiqueter le cri de munch bien sûr le cri des gladiateur-ices le cri des amant-es que tu déprécies le cri de celleux qui veulent se faire voir et qui t'horripiles le cri de seraph peut-être, peut-être pas ; tu connais, probablement, le cri des autres, et je crois bien que tout s'arrête ici
que tu n'en comprends pas les racines, qu'elles ne t'intéressent pas forcément
toi tu sais juste que le bruit est dérangeant et désagréable et quand il dure trop longtemps il fait vriller ta tête dans un mouvement désagréable peu gérable incontrôlable les mains qui se crispent les yeux qui se perdent les dents qui se serrent (et alors, n'est-ce pas un cri étouffé ?)
et si
et si un jour je crie
est-ce que tu apprendrais à le comprendre ?
ne t'inquiètes pas je
me doute de l'effort du temps nécessaire des erreurs probables de la patience et peut-être de ton désintérêt si tu ne veux pas on ne le fera pas ce n'est qu'hypothétique mais je me demande, je me demande, et je me dis : cela fait si peu de temps et déjà je me demande jusqu'où tu irais pour moi
je ne trouve pas le verdict
peut-être que c'est une question qu'il vaut mieux garder sans réponse.
alors je ne trouve rien non, rien de bien spécial, maintenant ou avant ce sont deux questions différentes alors je ne trouve rien parce que je n'ai pas cherché bien loin ; je sais juste que
si ta vie avait eu mon nom, elle n'en avait gardé que les belles écritures
tu m'as dressé en héros en idéal en choses que je n'étais pas
tu le sais, non ? j'espère que tu as trouvé, toi, la vérité
j'étais un petit con
et je ne sais pas si j'ai vraiment changé sur ce point-là.
nos vies étaient différentes parce que tu faisais ce que je te disais de faire alors que je faisais ce que je voulais faire je n'ai plus de pitié pour les nous d'avant, je crois qu'il faut définitivement les enterrer, si tu veux on ira récolter des fleurs et les jeter à la mer ça sera symbolique et je crois que tu n'y comprendra rien, ou alors que c'est exactement ce qu'il te faudra ? je te demanderai. c'est tout ce que je te souhaite, d'être devenu quelque chose qui ressemble à toi et pas à ce que je voulais que tu sois.
ce sont des mots durs, peut-être, je ne sais pas
je n'ai pas l'habitude de mâcher mes mots
ce n'est pas du venin (le mien a des goûts d'ambroisie)
c'est, je crois, ma tentative de te montrer de te prouver que nous avons bien avancé
que nous avons tant à apprendre de l'autre encore
et que cette fois-ci, ça sera bien
ça sera mieux
et
quand je
quand je vois ton sourire c'est quelque chose tu sais ça ---
ça réchauffe le cœur ça allonge le mien ça fait miroir ça semble un peu étrange ça a l'air finalement totalement normal ça stoppe le temps ça m'empêche de respirer ça fait fondre des trucs à l'intérieur c'est pas normal les organes ça fond pas ça fonctionne pas comme ça ça libère l'espace ça m'aide à respirer mieux ça ah
ça faisait longtemps.
je ris
moi aussi je suis content-e
je ne pensais pas, tu sais ? que ça me ferait autant de bien
d'entendre que tu m'acceptes, de te parler, d'imaginer ce qu'on pourrait bien faire ensemble à deux à égalité côte-à-côte les deux tout aussi intéressé-es les idées claires et la promesse de ne pas tout laisser dérailler comme on a déjà pu le faire (plus jamais plus jamais la voiture accidentée et nous les deux fantômes qui regardent nos corps depuis la route depuis le trottoir depuis trop loin pour s'entendre et pourtant on s'est vu-es on s'est vu-es et on a rien dit on a rien fait mais plus jamais,
plus jamais
précieux, promets, s'il te plaît)
on peut ramener des fleurs chez toi et faire des bouquets en écoutant de la musique. on peut aller au théâtre et ne rien comprendre et discuter en faisant des hypothèses toutes les plus fausses les unes que les autres. on peut danser à côté du tourne-disque. mais je te préviens : je n'ai aucun sens du rythme. ce n'est pas grave parce que plus rien n'a à être parfait et tu verra mes défauts je les mettrais si bien en évidence que tu ne pourra plus les ignorer tu verra les mauvaises choses les côtés moches et alors tu aimera d'autant plus les côtés de moi qui te rendent heureux
ahhhh. oui,
et alors, alors peut-être oui,
peut-être que tu pourrais que tu pourrais aussi en faire partie
j'ai--- trouvé une famille, je crois bien.
c'est vrai ; une chose un peu étrange, qui l'aurait cru ? des pièces de puzzle qu'on a mis de côté et qu'on a oubliées, qui ne vont plus nulle part et qui se retrouvent enfin quand elles s'assemblent dans une forme étrange non prévue irrégulière
j'y ai trouvé ma place
iels m'ont sauvé-e. c'était vrai. iels ont sauvé ce qui pouvait encore l'être. je ferai ce que je pourrai pour ne pas les emporter quand le temps viendra. et, j'aimerais que ce soit clair : tu ne me devais rien, alors ne t'en veux pas de ne pas avoir été là. de toutes manières, il me semble bien qu'on aura besoin des autres pour les prochains temps. les cernes du manque de sommeil sont éclipsées par mon sourire, mais elles restent là
transforment mon visage, me donnent cinq ans de plus
mais c'est faux
tu verra, dans cinq ans
quand tu sera encore là à côté de moi.
mais toi aussi, non ?! un rire, léger, du fond de la gorge, qui explose vers le plafond
une joie que de te savoir jamais abandonné, toujours accompagné
enfin -j'espère
parce que je sais ------
j'ai lu
d'autres nouvelles moins heureuses.
il n'y a pas de bague à ton doigt
alors je n'en parlerai pas
ça sera ta volonté
je gèrerai les retombées.

"Barcarolle", James Longenbach

on pourra
pouvoir c'est un verbe étrange : aujourd'hui il est libérateur mais hier encore il traînait sur le sol des cadavres qui laissaient derrière eux des traces fraîches, si faciles à suivre à lécher pour s'en régaler
on pourra, que tu dis,
et j'ai l'impression d'être un dimanche matin dans une cuisine, le soleil aussi fatigués que nous
j'ai laissé sur la table le journal pour que tu le lises et j'ai gardé mon pyjama et à peine le temps d'aller chercher le courrier que le thé est chaud et que désormais il ne reste plus rien d'autres à faire toute la liste a été cochée c'est la fin de la semaine, du monde même peut-être, et plus rien ne nous obliges : nous sommes libres
libres de se côtoyer
libres de faire des bouquets
libres de se moquer
libres de danser.
je ne sais pas ce que tu penses mais si tu l'avais dit, j'aurais répondu :
je crois que tu pourrais être tout ça pour moi
plus encore peut-être
on verra. (ça aussi c'est un verbe étrange, voir, alors que l'on parle de l'avenir aveugle)
tu ne t'en veux pas
très bien.
pour michał non plus ?
j'aimerais le dire mais tu changes de sujet et déjà il ne s'agit plus de lui mais de moi, et alors cela me paraît injuste qu'il n'a jamais été question de toi
tu parles oui mais c'est des choses qui gravitent, jamais ce qui résonne
j'aurais aimé que tu me parles de seraph de ces autres, j'aurais aimé que tu me dises comment iels te font sentir, si tu as encore l'impression d'être corvée face aux autres, si tu crois encore que leurs acceptances ne tiennent qu'à un fil, si tu penses encore que tout taire et te contenter d'arracher la peau sur les côtés de tes ongles suffira à te faire survivre les tempêtes.
as-tu arrêter d'essayer de t'abriter ? c'est l'impression que tu me donnes : de te mettre sur le devant des vagues, et de les supplier de te prendre, mais elles ne veulent pas de toi et cela te vexe, tu leurs dis : JE PEUX FAIRE PIRE, et si elles montent trop haut sur tes cuisses, tu en as soudainement peur
et pourtant tu ne fera rien.
ai-je tord ?
j'aime l'attention que tu me donnes mais elle a le goût de cendre (c'est les nous qu'on a brûlé avec notre relation déséquilibrée)
je regarde tes doigts puis toi
je prends mon temps
je bois une gorgée de thé
et toi ? comment tu supportes tout ça ? est-ce que c'est fini, de ne rien dire ?
il n'y a pas de malice, ce sont des vraies questions et je suis curieux-se de leurs réponses
il n'y a pas de malice, ce sont des vraies questions et je m'intéresse aux réponses
il n'y a pas de malice, ce sont des vraies questions et j'essaie de réfréner les mort-vivant-es qui te veulent de nouveau plus sage encore.
est-ce que tu me demandes parce que tu as peur que je ne sois plus là un jour prochain ? je questionne parce que je sais, je crois
on m'a quitté-e trop de fois déjà
ça a commencé par toi
ce n'est pas grave, c'était il y a longtemps (et pourtant)
je n'ai pas l'intention de disparaître, non. ce qu'il s'est passé ... ce n'était pas vraiment de mon ressort. c'est arrivé, et j'ai fait du mieux que j'ai pu. je n'ai pas voulu partir, mais à l'époque je croyais que je n'avais pas d'autres options. je regarde la surface du thé qui tangue
je me rappelle quand amadeo m'en faisait je ne vais pas te mentir, précieux. je ne suis pas certain-e que mes défauts aient tant changés. comprends-tu ? est-ce assez clair ?
j'ai dit : rien que la vérité entre nous. et, les mots sur le bord des lèvres, je me demande si c'est une erreur phénoménale que de te confier cela. je ne sais pas ce qui va nous arriver, mais si un jour je pars sans laisser de trace, c'est uniquement parce que je n'ai pas le choix. le regard remonte et j'ai le ventre qui se tord aux confessions que je te fais, c'est presque le sain esprit qui me dispute de ne pas avoir joint mes mains -il manque entre nous la grille de l'anonymité, mais c'est bien parce que tu tiens mon cœur que je te le dis si cela arrive, voudrais-tu venir avec moi ?
tu pourrais.
il ne resterait alors plus rien d'autre.

"Barcarolle", James Longenbach

moi pendant longtemps je n'ai plus cru à l'amour
toutes les amours ! toutes, oui, parce que j'en étais désespéré-e et parce que quand je voyais les autres il y avait la sympathie mais pas l'amour comme on l'entend, comme on le veut, comme on le voit ailleurs, mais voilà :
je suis ingrat-e parce qu'amadeo ne m'a jamais lâché-e il m'a même remonté-e pièce par pièce et qu'est-ce d'autre si ce n'est de l'amour ? et je suis ingrat-e parce que mars m'a donné ma chance autant que je lui ai donné la sienne et qu'est-ce d'autre si ce n'est de l'amour quand on s'endort côte à côte au milieu des vrombissements des ordinateurs ? et je suis ingrat-e parce qu'oliver m'a ouvert tout de lui m'a confié sa confiance son honneur ses secrets et qu'est-ce d'autre si ce n'est de l'amour ? et je suis ingrat-e parce que justice me prend toujours délicatement la nuque et il se penche et il demande avant de m'embrasser et il me serre fort quand je fais des cauchemars et qu'est-ce d'autre si ce n'est de l'amour ? et je suis ingrat-e parce que luther se love au creux de ma nuque et écoute mon cœur et il ne me l'a jamais dit mais je sais que s'il pouvait aimer amoureusement il m'aimerait moi, et qu'est-ce d'autre si ce n'est de l'amour ?
et je suis ingrat-e parce que
(je crois) quand luna m'a vu-e
elle a arrêté de crier
elle m'a dit de m'en aller
et qu'est-ce d'autre
si ce n'est de l'amour ?
et je suis ingrat-e parce que quand je suis venu-e à ta porte et que tu ne l'as pas refermé de suite, qu'était-ce d'autre si ce n'était de l'amour ?
je n'y croyais pas, pourtant
je m'y refusais ; je ne doutais pas de son existence, mais ce n'était pas pour moi, et la solitude avait un réconfort dans sa sûreté, dans son absence de difficulté liée aux autres dans sa stabilité
mais je suis un menteur-euse
j'espère que tu le sais, depuis le temps
ce qui m'a fait tenir c'est l'amour
toutes les amours ! toutes, oui, et surtout leurs souvenirs, et le sucre de cette phrase me donne envie de vomir ; je ne la dirais jamais mais je sais que c'est vrai et en cela je me sens faible, parce que milo est parti et luther est parti et luna est partie et tu es parti
je vois qu'on a le même problème. la peur de l'abandon, l'hameçon qui crève le cœur à chaque nouvel-le ami-e et qui détache des bouts à chaque fois qu'iels vont trop loin
problème ce n'est pas le mot que je voulais utiliser parce que ce n'est pas vraiment de notre faute, pas tout le temps, parce que c'est notre cerveau qui nous dit : attention, danger ; parce que ça nous a fait mal et alors n'est-ce pas normal de se protéger ? peut-on nous blâmer ? et, aussi soudainement que tu te lèves, j'ai envie de dire : précieux, restons entre nous, nous n'avons besoin de personne d'autre -partons, oublions, laissons les blessures sur les plages de nausikaa et sculptons de nouveaux cœurs, plus petits, juste assez grands pour y mettre l'amour de l'un-e envers l'autre
mais je ne peux pas.
j'aime trop déjà.
alors, tu es peiné, ma nuque se plie pour te regarder
après toutes ces années, c'est pareil : tu ne sais toujours pas ce qu'il se passe au fond de toi
et, alors, il était simple de m'obéir
mais plus maintenant -plus maintenant, non, plus jamais, car nous ne sommes pas ami-es, mais que nous nous aimons tout de même. et, envers toi, je ne serai plus ingrat-e.
c'est une promesse que je me fais en silence alors que tes mains se joignent à travers moi -est-ce une prière ? est-ce une demande ? je serai à tes côtés et même si tu me domines j'ai l'impression de te faire grâce, alors que tes doigts me réchauffent ah tu n'es pas doux tu ne l'as jamais trop été et ce n'est pas grave ça ne laissera pas de marque ça ne laissera que des souvenirs et mes pupilles te regardent te dévisagent et le temps se suspend et je te vois et tu me vois et c'est au-delà des yeux
et puis tu pars
tu fais bien, je crois
parce que si tu avais embrassé mon front, j'aurais relevé ma nuque
et ce n'aurait pas été un problème en soi mais pas maintenant pas là alors que ton ex-fiancé est mort et que mon petit ami a peur de sortir de chez lui et qu'on se retrouve enfin depuis si longtemps
pas maintenant
plus tard, peut-être
quand tu viendra avec moi.
d'accord, les paupières se ferment, et ma tête balance d'un côté
la nuque se relaxe, une main vient recouvrir la tienne
qu'est-ce d'autre si ce n'est de l'amour ?
je te demanderai, et tu me répondra.
j'ai transformé l'insistance en caresse
et, en cela je te dis : je suis prêt-e à comprendre
(je commence la sculpture)

"Barcarolle", James Longenbach

oui, l'amour est vicieux, je crois que le mien vient des viscères, et j'aime beaucoup comme ça parmi tout cela, il y en a bien quelques un-es qui valent le coup, et j'aime beaucoup mais pas longtemps, je donne une nuit et je le reprends, et j'assassine tous les amours qui n'ont pas réussi à le devenir, et ceux aussi qui le sont devenus trop rapidement -c'est que c'est sauvages, ces choses-là, et qu'il vaut mieux être prudent-e
tu ne l'as été alors, et maintenant tu ne l'es plus non plus -entre temps, tu as appris comme moi, et je crois en cet instant que nous avons tord que d'être si frileux-ses face à l'amour : c'est lui qui nous a réuni, à travers nos deux mort-es et nos deux vies
peut-être a-t-il senti qu'il n'y avait que nous qui ne pouvions comprendre ces affections il y a longtemps enterrées, mais vivantes encore, forcées d'être étouffées par le temps, et les choses, qui passent
je me repose contre ta main et le temps est doux
l'été est heureux à nouveau, et la chaleur est bienvenue
je ne t'en veux pas quand tu t'en vas, bien sûr
je ne t'ai jamais connu entreprenant comme cela, et si je suis surpris-e, c'est en bien et en mieux et en bienheureux-se
et quand tu me pousses en une embrassade maladroite, j'y vois l'inhabitude, l'exceptionnalité, la ferveur réelle : tu l'as voulu
moi alors ! moi j'ouvre grand les bras à cet amour-là, je prends ton corps et j'enlace l'âme aussi, et si c'est doux au début, j'agrippe tes vêtements ensuite et, dans cette intimité devenu la nôtre, je libère quelques poids
je te serre peut-être mal, je ne sais pas, mais je laisse loin de nous l'ambiguïté, la peur de refus, les histoires passées (les autres, pas la nôtre), et les malheurs qu'on y associe ; je te serre et je me dis : je ferai ce qu'il faut pour cette fois-ci ne plus jamais lâcher ta main
et si tu l'enlèves
et si tu t'en vas
et si tu disparais
je sais pas ce que-------
non, tu ne le fera pas
parce que là, il y a
ah ! plus que tout cela
je laisse la peur
elle ne m'effraie plus
je crois que notre amour a dit la promesse, et que tu l'as entendue déjà.