tu t’étonnes toujours, du dénouement des choses, même si ces changements tu les sentaient venir. chaque jour qui mourrait tu voyais un lendemain nouveau naître, si différents de tous les précédents — et encore. le monde n’a pas fini d’évoluer.

mais tu n’avoues pas tout cela ; pas maintenant, pas déjà. les demi-dieux comme les hommes doivent constater eux-mêmes que rien n’est éternel.

tu t’étais rendu à l’éclesia, curieux ; il y a soixante douze heures que vous aviez annoncé ses nouveaux droits et devoirs au presque condamné.e. était-iel assidu.e ? pointait-iel toujours à la même heure ? préférait-iel le matin, le soir, l’après-midi ? comment s’organisait-iel, à présent ? comment était-iel, en arrivant ici, soumis.e à la surveillance d’individus comme elui mais dont les choix se sont autoproclamés meilleurs et bienveillants ? tu as attendu. aussi longtemps qu’il fallut, pour poser tes yeux perçants sur qui voilà.

solan vaugh… ou quelque chose comme ça. c’est drôle cette sensation, tu as l’impression d’appeler la mauvaise personne. je suis benedict. oracle, membre des grands. j’ai voté pour te voir ici tous les jours. je me demandais ce que tu en pensais — de toute cette histoire. on impose ce que l’on pense être bon mais on ne demande jamais à cellui ce qu’iel en pense… et je sais que tu penses énormément.

c’est comme cela que l’oracle démontre ce qu’il est — il n’a pas à toujours annoncer ce qui veut être su,
il quémande aussi ce qu’il sait que l’on veut dire.

les jours s'enchaînent et ne se ressemblent pas parce qu'à chaque chiffre qui passent d'autres chutent et je vois entre mes doigts tous ces gens qui ne me regarderont plus ; qu'iels fuient ! je connais ce qui m'a guidé,
je n'en ai pas honte,
je m'accroche à ce qu'il restera,
les racines ont toujours fait partie de moi.
les jours s'enchaînent et avec eux l'obligation de passer ici dans ce cachot-là, ah je ne m'en plains pas j'imagine qu'il y en a des biens pires (je ne demanderais jamais à précieux), alors j'embarque sur ce chemin de croix sans moucheter sans rien dire, sans chaîne entre mes pieds, sans poids sur mon cou, sans plus d'idées pour tout faire exploser
je ne suis pas révolutionnaire, simplement utopiste
mais toi -toi t'es même pas ta propre personne, alors comment pourrais-tu comprendre ? il n'y a que le fardeau des destins et de ces choses qu'on croit immuables ; est-ce que tu arrives à dormir, en comprenant l'oxymore de ton existence ? à dire le dessin des dieux, pour de toutes manières ne pas le changer -moi je fais l'hypothèse que tout est faux
et je crois qu'en un sens, j'en suis la preuve.
c'est dommage pour un devin de se rappeler si mal des choses. et je t'insulte ainsi, je dis : n'est-ce pas idiot que de te croire sur parole ? ne dis pas que tu n'as pas retenu parce qu'il n'y avait aucun intérêt à faire cet effort, parce que l'on sait que les détails sont importants. hé bien, demande toi bien, alors. je n'ai plus de guerre à mon actif et j'aimerais tout garder ainsi.
je te passe devant, lâche un regard unique (les pupilles en feu elles veulent t'écraser te faire sentir que tu n'as pas ta place ici, face à moi, que tu ferais mieux de partir, que le temps est encore calme mais l'orage arrive -le vois-tu, ô devin ? mets-toi à l'abris), rentre dans l'ecclésia, s'avance et fais la queue -comme on me l'a dit
comme tu me l'as imposé
comme je l'ai appris.

voilà bien beaucoup de colère déguisée pour un homme qui ne parvient à tenir qu’une poignée de vérités. mais silence. tu observes. solan a encore des choses à cracher, tu dois accepter sa rancœur. elle t’appartient.

iel passe, affirme qu’iel n’a guère d’intérêt pour ton arrogance. tu voudrais en rire mais ce genre de débordement ne fait pas honneur à ta réputation ; tu suis le pas de cellui que tu traques aujourd’hui.

solan, vraiment ? tu fronce les sourcils, stop ta marche quand la sienne cesse. l’avantage d’avoir su trouver ta place parmi les grands c’est qu’un si beau titre écrase aisément tous les précédents et le harcèlement devient contrôle.

je me souviens de qui nous avons appelé à se présenter pour témoigner de ses actes. je me demande seulement si toi, tu te souviens encore de qui tu es ?

tes yeux balayent la pièce, tes lèvres miment la courtoisie d’un sourire quand ton regard est happé par un autre. tu en reviens à solan, après une longue expiration qui trahissait ton mécontentement à fouler ces lieux lumineux.

je peux me demander ou te faire attacher dans une cellule pour puiser en toi toutes les prophéties, peindre tous les tableaux que je fouillerai dans ton sang, et écouter chaque battement de ton coeur jusqu’à en devenir sourd ; et oui, je saurai, ce que tu en penses, solan. mais ça ne m’intéresse pas. j’aimerai l’apprendre par tes mots. je ne veux pas tes secrets, je veux tes émotions. n’as tu jamais vécu sans faire de toi le plus ardent mystère ? veux tu crever en étouffant ta voix ? n’es tu pas, fatigué.e, de singer les muets ?