ft Pascal
les mots bleus

C'est comme si elle était encore pétrifiée, et que son corps de pierre s'enfonçait dans des ténèbres aussi denses que des sables mouvants. Qu'elle ne pouvait pas se débattre, et que l'obscurité s'enfonçait dans sa bouche, ses yeux et son nez, et qu'elle essayait de crier désespérément, qu'on l'entende et qu'on l'extirpe.
Elle n'avait qu'à peine senti les bras se glissant contre sa peau pour l'emporter jusqu'au bateau. C'était vaguement chaud, de loin, et ses paupières tremblaient ; il fallait qu'elle s'éveille. Mais peut-être que les monstres l'emportaient.

Maman lui avait dit que Dionne est partie, que Pascal est mort. Elle pense que son univers est brutalement dépeuplé de tout ceux qu'elle aime ; peut-être qu'il ne vaut mieux pas qu'elle se réveille, qu'elle se confronte à la solitude dans laquelle on l'abandonne.
Elle sent son coeur se tordre dans sa poitrine ; elle voudrait avoir la force de l'arracher, mais son corps est lourd, si lourd.

Tout tangue tout à coup ; elle sent le parfum entêtant de la mer et du sel. La fraîcheur de l'air frais venant du large la gifle mollement ; alors elle ouvre les yeux, doucement. Il fait sombre, sa tête est lourde de pensées qui s'agitent dans tout les sens, qui grésillent comme un milliard d'insectes grattant contre les parois de son crâne.
Ses yeux s'habituent à la pénombre, et elle distingue soudain un visage familier ; et ça lui fait comme un électrochoc, comme un éclair dans la nuit qui pourfend la noirceur dans sa tête. Elle ne sursaute pas non, mais son corps lui semble de nouveau plus léger.

Pascal ! Murmure-t-elle comme un cri mêlant espoir et désespoir. Elle se redresse et tombe à genou, hagarde, se précipite tant bien que mal.

Pascal ! Elle sent que ses larmes montent à nouveau quand elle attrape ses mains ; tièdes. Elle pose sa tête contre son torse, perçoit un battement ; puis le souffle, régulier, qui fait monter et descendre sa poitrine.

Pascal... comme un gémissement de soulagement, tandis qu'un nouveau flot de larmes monte comme une tempête qui éclate sans prévenir.


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ft Pascal
les mots bleus

Il s’agite et elle serre un peu plus fort ses mains dans les siennes. Que c’est bon de sentir la chaleur de la vie contre sa peau, cette vie si folle et insouciante. Pourquoi tu pleures, Georges..?
Elle redresse la tête ; d’ordinaire, elle aurait plutôt fait attention de ne pas lui montrer son visage rougit et ses yeux gonflés de larmes. Mais là, elle s’en fiche, elle pleure et ne voit pas bien entre les sanglots, et elle sent que son nez coule, que ses cheveux sont en bataille et qu’elle fait peur à voir.
C’était pas bien avec ta mère ? La seule évocation de la défaillante figure maternelle arrache quelques pleurs bruyants et hideux à l’ensemble déjà désastreux. Elle sent soudain le poids de la responsabilité que sa mère a largué sur ses épaules sans prévenir.

Je.. C’était… Bouuuhouhou ; sa voix s’étrangle et elle pleure, encore. Elle n’a même pas la force de se trouver ridicule, alors elle enfonce son visage contre le torse de Pascal, reprend son souffle en laissant les larmes couler.

Elle m’a dit que… que tu étais mort !  elle renifle doucement, sans conviction ; Et je sais pas j’ai eu peur,… j’ai eu peur que tu sois mort pour toujours..!  Elle tourne légèrement la tête, essuie son nez dans sa manche, qu’elle frotte ensuite machinalement contre le bas de sa robe.

Et puis les autres,… je sais pas où sont les autres ! Ma mère ne m’a rien dit, ma mère s’en fout de moi Pascal, elle m’a juste dit que tu étais mort et moi j’ai eu peur !  Elle se redresse pour s’assoir à côté de lui, les larmes se sont taries pour le moment. Elle chasse de son esprit le regard de Méduse, comme gravé contre ses paupières ; et frottes vigoureusement ses yeux déjà rouges et embués du noir de son fard à paupières dégoulinant. Mais t'es là alors ça va un peu mieux elle renifle encore et essaie de sourire un peu, crispée par les émotions en vrac.

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ft Pascal
les mots bleus

Pascal est léger, si léger, et elle se sent si lourde, elle sent sur ses épaules tout le poids de sa peine et de son chagrin et de ses peurs. Elle a les yeux grands ouverts mais dans sa tête elle s'enfonce encore dans l'obscurité, figée paralysée.
Pascal est si léger, mais ne l'apaise pas ; elle se dit qu'elle a un problème, qu'elle ne comprend pas bien ce qu'il se passe autour d'elle. Il lui dit qu'elle doit s'en foutre de sa mère, alors elle acquiesce.

Oui t'as raison ; non t'as tord Pascal, mais Georges ne sait pas dire non, Georges ne sait pas dire le contraire de ce qu'on lui affirme avec tant de détermination.
Il la serre, et elle sent la chaleur de l'étreinte se diffuser sur sa peau. Elle renifle, frotte son nez, ses yeux dans sa manche, encore ; Pascal a dit que ce n'était pas si grave tout ça.

Et puis il rit ; comment ça se fait ?
Elle prend son visage entre ses mains ; elle a les yeux rouges et les plonge dans les siens, éberluée. Pascal rit, et ça réchauffe son coeur. Il rit et pas elle, et un instant elle se demande s'ils ne sont pas morts pour de bon ; que si le bateau tangue c'est parce que le Styx est agité aux portes des Enfers.

Oh... elle pleure et rit à la fois sans pouvoir s'arrêter ; ça semble exploser dans tout les sens dans son coeur et dans sa tête. Elle pose sa main sur son coeur et puis sur le sien, et puis elle prend ses mains à lui et les pose contre son coeur à elle.

Je ne comprends plus rien Pascal ; elle rit avec lui et enfonce son visage dans le creux de son épaule, près de son cou. Elle pleure encore et rit nerveusement.

Je suis fatiguée Pascal, et puis Maman m'a demandé de remplacer Dionne, parce que Dionne est partie, mais moi j'ai pas ses épaules Pascal tu sais, moi je fais que chialer et je suis complètement à côté de la plaque. Elle a tout lâché, nettement, comme si elle avait vomi tout ce qui lui pesait sur le coeur.

Je crois que si on est mort pour de vrai, ça me soulagerait un peu ; tu crois qu'on peut rester ainsi pour l'éternité ? Elle s'est accrochée à son tee-shirt ; elle ne pleure plus - elle délire de fatigue et d'angoisse, elle délire dans le déni de cette réalité cruelle.

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