After you looked at me
I've been lovely

22 juillet. Central New York.
La nuit bat son plein et le soleil ne s'est jamais couché. Il lui a dansé au bout des doigts depuis le crépuscule, l'a enlacé comme on enlace ceux qu'on aime, a accroché des rayons à ses yeux et ses bracelets.
Les fidèles du club ou il passe ses soirées l'appellent affectueusement leur soleil nocturne et ils ne se trompent que de peu ; car l'éclat de Malik est moins brut, moins aveuglant, plus coloré également. Il scintille plus qu'il ne brille, il n'éclaire que parce qu'il brûle.
Il brûle, oui, à toutes les flammes qu'on lui présente ! Il brûle d'aimer plus fort, de vivre plus fort, d'exister plus intensément que la veille, il réclame au monde d'exaucer ses promesses, de ressembler à celui des livres d'image, avec leurs hautes tours et leurs dragons. Car cet enfant-là, muré dans le silence, ne semble n'avoir jamais eu peur de rien d'autre que de l'ennui, et de la solitude.
Le danger ne l'effraie guère, l'excite au contraire !
Il l'appelle comme d'autres appeleraient le sommeil ou un instant de tranquilité ; Malik ne veut pas être tranquille, il ne veut que brûler.

Voilà pourquoi, alors même que la fatigue d'une nuit de travail tire encore sur ses muscles, qu'il ne refuse pas l'invitation quand des habitués du bar lui proposent de finir la nuit ailleurs, sur une autre scène, sous d'autres stromboscopes, entourés d'autres basses qui feront trembler la terre.
Il se laisse même emporter en riant dans un quartier qu'il n'avait jusque là, que rarement fréquenté. La boîte de nuit en question porte un nom qui l'amuse, sans qu'il n'en partage rien avec les mortels qui l'entourent. Ce doit être le destin ! Et qui est-il pour le refuser ?
Alors, les ailes toutes déployées, il se laisse chuter dans la gueule du loup et passe, avec toute l'insouciance que lui offrent ses plumes de cire, la rive de l'Achéron.

" Vous me prenez un verre ? Je veux aller voir le dancefloor et les poles ! " signe-t-il avec empressement avant de quitter ses compagnons d'un soir, les abandonnant au comptoir du bar pour s'enfoncer dans l'obscurité.
Il peut déjà sentir la musique vibrer sous ses pieds, lui remonter le dos dans un frisson d'alégresse. Il rit ! Et laisse la bénédiction de sa mère courir sur sa peau qu'elle éclaire de l'intérieur.
La nuit bat son plein et le soleil vient de se lever.

Un homme l'aborde, quand il s'aventure le long du comptoir.
Rien d'étonnant ! Malik semble habitué à attirer à lui les papillons avides d'une lumière suffisamment facile à étouffer de leurs ailes.
Mais celui-ci n'a rien d'un insecte ! Il a les yeux du reptile qui en dévaste les toiles, et la vue seule de ces pupilles étranges suffit à répandre un frisson le long de son échine. Pas de peur, non ! D'une curiosité délicieuse, de la même excitation qui lui fourmille sous la peau quand il se tient debout tout au bord de l'abime.
Qui est-il ? Quelque grand ponte habitué du crime ? Il signe ! Et cela le réjouit suffisamment pour que tous les cadavres accrochés aux talons du nouvea venu n'aient à ses yeux qu'une importance toute relative.

Tu sais signer ! qu'il forme précipitamment, un grand sourire éclairant son visage. J'étais venu me prendre à boire et regarder les pistes de pole mais puisque tu es là... Je peux t'acheter à boire aussi !

Inconscient du signe que Luther échange avec le barman, il se tourne vers ce dernier et lui pointe sur la carte une marque de whisky avec insistance pour signifier qu'il aimerait en commander pour son invité et lui-même.
Quelle importance que celui-ci ait l'air de posséder en termes de richesse plus qu'il n'en gagnerait en toute sa vie ! Malik ne se préoccupe pas de choses pareilles.
Il sursaute juste en entendant une voix se glisser dans sa tête.
Cet homme n'en est pas un. Un demi-dieu lui aussi ? Autre chose ?
Peut-être son allure et l'endroit ou ils se trouvent devraient lui mettre la puce à l'oreille. Mais Malik ne s'en inquiète pas. Au contraire, le mystère rajoute au charme de cet inconnu contre les épaules duquel il glisse nonchalamment sa main.

" Je te l'ai dit, non ? répond-il alors télépathiquement sans se démonter. Je suis là pour boire et danser. Avec toi, si tu veux bien ! "

Voilà que l'alcool leur est servi à point nommé, dans deux verres dont un lui est tendu.

" Comment tu as deviné que j'étais un enfant de Dieu ? Je devrais savoir ton nom, maintenant, puisque tu sembles en savoir tant de moi. "

- Leur frère ?

Malik ne prétend pas comprendre et ne se le donne pas pour objectif. Si cet homme-là n’est pas un enfant divin au même titre que lui, peut-être est-il un dieu ? Un de ceux dont on ignore le nom et qui change de visage !
Cela expliquerait l’allure étrange de ses pupilles et l’odeur acidulée qui lui colle à la peau.
Un dieu !
Le jeune homme s’est toujours demandé ce que cela pouvait faire d’en aimer un. Il aime déjà les mortels d’une passion surhumaine ! peut-être qu’aimer un dieu finirait par le tuer. Après tout, les histoires comme celles-ci n’ont guère la réputation de se finir bien.

- Tu peux être aussi divin que tu veux, ça ne te donne pas le droit d’ignorer mes questions.

Mais Malik est trop humain pour ça. Trop humain pour ne pas avoir la certitude absolue que le monde le suivra ! qu’il réécrira l’histoire autant de fois qu’il le faudra.
Alors, une petite moue au coin des lèvres, il admoneste l’immortel comme un simple gamin, repoussant les mains qui lui tiennent les hanches.
Le fils d’Iris n’est pas fait pour le silence ! Si les mots versés directement dans la tête ne suffisent pas, il se tiendra à aller déterrer ses réponses tout seul. Les sourcils froncés, le voilà qui se concentre…

- Ah ! finit-il par s’exclamer tout haut, le son s’échappant de ses lèvres comme la lumière sur ses traits. Luther ! C’est comme ça que les gens ici t’appellent, non ?

Satisfait de sa trouvaille, il se détend à nouveau dans l’étreinte du monstre.
S’il doit mourir, ce sera au rythme de ses propres pas ; après tout, il doit bien être des deux celui qui danse le mieux !

- Tu peux m’appeler Malik. Ou “Prince”, si tu veux le signer.