menteur, il a péché. pour un amour passé, il existe toujours la racine des sentiments, quand bien même ont fané les fleurs de leur union brisée. benedict avait, il le sait, encore tant d’amour à donner. qui pourrait le lui reprocher ? c’est pour cela, que dans l’ombre des autres, après des heures à marcher loin mais près d’elle, il avait du se faufiler plus sournoisement, quitte à en avoir le coeur retourné, pour la voir finalement

disparaître
loin de lui
à tout jamais.

le souffle coupé, la tête retournée ; il assistait dans le silence le plus brisant à la fin des battements de son cœur. et la voilà morte. sans qu’il ne soit celui qui, réellement, l’avait étouffé.

ses pas le guident alors, moins discret, à la rencontre du monstre. la peur s’était réfugiée dans sa gorge et ses pieds pouvaient s’oser vaillant, quand son regard de noirceur lui, venait accuser la bête de tous les maux de son monde.

abruti par le calme de sa folie qui le ronge, sa voix ne porte pas, ses pleurs se font même, timides.

elle était ma femme.

par ses crocs de monstre il a fait oublier l’abandon, les cris, la haine, la rancune, les remords, les pleurs, les insultes, les peines. ne reste, bouillonnant dans le sang de benedict, que les souvenirs d’un amour qu’il ne pourra plus jamais voir à la lumière du jour. au sol il cherche un souvenir de son être, une poussière de son corps ; mais il n’approche pas la bête, se contente d’un regard mort dont la visibilité se trouble dans les larmes amères.

dans votre gosier, là, reposent les entrailles de celle qui avait droit de vie ou de mort sur moi…

alors la colère gronde dans sa voix, plus forte que la peine, plus forte que la peur. une fumée dont il est maître émane de sa silhouette, et tout autour de lui on devine alors la brume qu’il s’apprête à faire grandir pour disparaître des yeux du chasseur, prêt à récupérer les souvenirs ensanglantés qui lui appartenaient désormais.

tête à tête avec le diable. l’imprévisible. s’il s’était trop attardé à penser son avenir dans les bras d’une femme qui ne voulait pas de lui, il n’avait pourtant pas prévu son destin. l’amour qu’il espérait inlassablement pouvoir cultiver même si les racines avaient pourris ; laisse alors traîner au sol la carcasse d’un corps qui n’est que le miroir de lui-même.

pas de bague...

un chuchotement, il répète la vérité, effleure par un bout de conscience que cette femme n’était plus la sienne. lui, quand il savait que ses pas allaient suivre les siens, s’habillait toujours de la sienne. son pouce, nerveusement alors, se met à faire rouler l’anneau qui ne le liait à personne, quand son regard, lui, fixait le bras branlant de son défunt espoir.

le choc lutte pour l’emporter sur la frustration, le mensonge, quant à lui, peine à couver la vérité. benedict se tenait droit face à un monstre mais il ne pouvait ignorer le danger que lui-même était, pour le monde. et s’il l’avait gardée en cage ? s’il l’avait étouffé, le premier ? si de ses mains il avait protégé son dernier souffle pour qu’il soit doux…

toute sa concentration dirigée sur son âme et conscience, la Brume qui naissait à ses pieds finit par s’évaporer, le laissant comme nu face à la mort qui s’approche, visiblement bien gourmande.

je peux
récupérer
ce qu’il reste ?

regard vitreux cherche derrière l’affamé le peu qu’il reste de la première femme qu’il a aimé. si elle ne voulait plus de lui il s’efforcerait contre vent et marée à toujours vouloir d’elle ; et pour honorer ce qu’elle fut il devait se contenter de se qu’il restait d’elle. si certains pensent que l’audace était le défaut majeur de l’oracle de malheur, il était certain qu’ils n’avaient jamais vu que la graine de toute cette folie, c’est l’attachement sans frontière.

il aurait pu mourir aujourd’hui, benedict n’aurait pas prié qu’hébé lui offre un nouveau souffle. sans elle à ses côtés, sans elle pour cultiver ses souvenirs tuméfiés, sans elle pour se garantir protecteur… sans son premier amour pour se rassurer et se dire ; qu’il n’est pas mauvais. benedict se voyait déjà tordu dans la douleur, dévoré par le mal, car il n’imaginait plus de lendemain.

proche pourtant d’une distance que jamais ils ne sauraient se débarrasser, le monstre l’attire, se joue de lui, danserait ô volontiers autour des restes de tout ce qui lui était un jour précieux. et muet, benedict devait observer, admettre la petitesse de son existence, se ployer à la fatalité qu’il prône mais dont il ne se souciait jamais. il brise alors son silence, déglutit pour mieux avouer ses mots, quand bien même toute la peine du monde avait trouvé réconfort dans sa gorge.

était.

son visage se crispe. sa pensée le dépasse mais il ne parvient pas à laisser le monde entendre l’étendue de son obsession. mais ne pouvait-il pas oser ? un monstre comme celui qui lui faisait face, n’était pas, finalement, le meilleur interlocuteur ? il prend le temps, sélectionne avec soin les termes qui seront les garants de son amour.

était-elle aussi délicieuse que j’en étais convaincu ?

sucrée, amère, un brin trop tendre, un brin trop ferme. d’une complexité infinie, car la douceur qui était drapée sur elle pouvait se fondre en une rage intense ; et c’est pour tout ces détails qu’il l’aimait pour l’éternité.

ses yeux s’attelaient à garder des souvenirs de ce qu’il restait d’elle, observant au sol les quelques morceaux de ce corps qui, jadis, il aimait prendre contre lui pour s’y blottir. à ses pieds désormais elle repose, sûrement froide, probablement raide, sans un souffle de vie. il aurait aimé la tenir contre lui ainsi aussi. pour se vanter de l’avoir connue sous toutes ses formes. mais si son bourreau le lui refuse, benedict ne se rebellera pas. ce soir surement la douleur prendra le contrôle ; et les pleurs feront office de pageot. mais pour le moment, le deuil inspire à la tristesse, au manque, au désir, à nier ce qui est pourtant à ses pieds.

il renifle, contient ses sanglots, n’ose pas un mouvement. si ses émotions jamais ne le trahissaient, aujourd’hui benedict laissait le marbre se briser. des larmes silencieuses à ses joues, des lèvres mordues, retroussées, tremblantes de peur et de peine, sa peau lisse se couvraient de rides, son corps tout entier se tordait sans un bruit.

quel monstre êtes-vous ? que je puisse prier.

ses yeux s’élèvent pour affronter ceux du criminel. une prière pour qu’il crève, une prière pour qu’elle repose en paix. un nom, un titre. un seul détail de lui et l’oracle deviendra chasseur.

était. ça résonne encore tant c’est douloureux, qu’il soit désormais victime du passé, lui le pauvre grand oracle du futur. et par ce titre alors, il n’était pas goûteur, ni même juge ; de ce qui restait d’elle. quand bien même, l’appétit le rebute, le désir le supplie ; une bouchée, même infime, qu’il sache quelle était sa saveur toute entière…

il mord sa lèvre inférieure, fait taire des mots qui signeraient la fin de son humanité. rejeton de dieu, avait-il dit, sans savoir qu’hécate, d’où qu’elle soit, devait observer le ventre noué de remords ce pauvre homme à la tignasse blonde qui ne cherchait qu’à exister dans les entrailles des autres.

benedict souffle comme un crachat de rire, tant repenser à sa revendication le débecte. mais il se crispe à nouveau quand le souffle du monstre se glisse à son épaule ; ah, et, honteux, il pense

y’a-t-il dans son haleine un peu de son ex ?

je veux l’honorer… cerbère.

bâtir un autel à sa gloire, prétendre qu’elle n’est pas partie loin de lui mais que la mort s’est chargée de les séparer sans pudeur. il déglutit, ose un pas, pour s’éloigner de la bête et se rapprocher des miettes d’elle.

l’avoir toute ma vie à mes côtés. sans rejet. je la veux. elle était à moi, maintenant elle est à vous. je vous laisse tout le reste, je garde le souvenir. puis-je m’en aller, cerbère ? mes jambes flagellent, mon coeur explose, mon souffle est court. je suis mort de peur, mais je dois vivre pour me souvenir d’elle.

le visage se tournant doucement vers le bourreau, il n’ose toutefois pas lever les yeux pour lui faire face.

l’incertitude l’enlace, l’étouffant. il sait qu’il doit partir, entend qu’il peut garder pour lui ce bout de main. mais quand il s’avance, l’autre prévient ; qu’un bout d’elle sur lui et c’est la fin.

doit-il seulement jouer à comprendre les menaces d’un monstre, ou bien abandonner l’audace et s’enfuir sans butin ?

un souvenir. il en avait déjà des tas. mais un morceau de ce qu’elle était.

j’honorerai, puis-ce que vous me laissez juste la main.

il se retourne, pour faire face à la mort. son approche est timide, d’une lenteur qui trahi toute l’étendue de sa peur ; puis il saisit, du bout des doigts, ceux du cadavre. elle lui avait manqué. la tenir ainsi ; benedict se remémore la chaleur de sa paume, quand il fait toucher la sienne contre l’autre. par tous les dieux ; qu’elle était merveilleuse. et avec lui alors il se prépare à partir sans remord car, aujourd’hui, il avait gagné ce qu’il n'espérait plus ;

l’avoir pour lui.

merci cerbère.

et puisse le destin ne plus jamais le guider à sa rencontre. il aurait trop peur que quelqu’un d’autre que lui ne goûte à mielikki.