" Vas-y " avait-il dit, avec le visage de ceux qui n’y croient pas.
Toi qui n’es qu’un chien, élevé au chenil avec les porcs, essaie ! de voler le coeur d’un roi.
D’autres que toi abandonneraient déjà.
Mais, habitué.e par des siècles à frôler les talons de ce genre d’empereurs dont tu as vu s’évanouir les royaumes, tu sais, tu restes intimement convaincu.e que tu y parviendras. Après tout, ce n’est pas ton coeur que tu amènes à la table d’échange mais ton être tout entier.
Et ils ne résisteront pas à l’appât du gain, ils ne peuvent pas ! Les hommes aiment trop posséder ; ceux auxquels leur naissance a promis le ciel en font une seconde nature. Tu n’attribues le refus de Don – la seule qui t’ait jamais repoussé.e ! – qu’à sa jeunesse, qu’à sa colère contre le père qui t’envoyait alors.
Aujourd’hui, elle t’emmènerait. Cela se voyait à la suffisance dans ses yeux que d’autres nommeraient sagesse ! Mais ce n’est pas Don que tu viens chercher aujourd’hui ; elle te connait trop maintenant pour ne pas voir clair dans ton jeu, elle connait toute l’étendue de ta haine des maîtres et les trésors de rage cristallisée sous la délicatesse immortelle de tes traits.
Lui, tout enflé d’orgueil et de la certitude de
savoir , ne verra qu’une créature tendre, jeune comme l’aube du monde, il se perdra dans la douceur des vertes pousses ! sans se rendre compte que tu n’es pas l’arbre tranquille qui accueillera ses rêveries mais une forêt en flammes.
Un incendie causé par le tonnerre, dans ton coeur, comme celui qui foudroya ce tronc en haut de la colline lors d’une nuit d’orage des décennies plus tôt.
Immobile devant l’arbre calciné, tu laisses tes doigts te promener sur l’écorce : l’éclair qui l’abattit quand Zeus revendiqua un nouveau fils ! tu l’avais senti sous ta peau et dans tes os, dans un frisson de terreur et de colère mêlés. Un autre maître est né !
C’est le même homme que tu viens aujourd’hui chercher.
Non comme un maître ; cette fois, David n’est qu’une proie. Tu le tétaniseras comme son sang tétanise le sien !
L'herbe susurre son nom ; les fleurs sauvages aux pieds des portes t’annoncent son arrivée et le chemin qu’il s’apprête à emprunter, au bord duquel tu l’attendras.
Bientôt, il n’aura d’autre choix que de te voir ici dressé.e, les jambes étendues en travers d’une branche de l’arbre foudroyé, dont tes longs cheveux verts remplacent le feuillage.
Il verra un cadeau de son père, empoisonné par la rancoeur, ravagé par des hommes qui lui ressemblent. Tous les maîtres ont ces yeux couleur de ciel trop clair ; à défaut de les arracher, tu les lui voleras.
Quitte à devoir essayer de le tuer, tu le forceras à ne plus voir que toi.