il s’était montré par ici comme s’il avait une faim banale d’un peu de monde joli et que c’était nourrissant de se baigner dans la foule. par ici c’en est une au summum pluriel - au summum du mondain, de la classe exhibée, de cette arrogance presque courtoise tant elle avait des manières - composée de ces gens amusants comme il aime. il aime comment ces gens-là s’habillent, se parlent, et même comment ils se portent et se déplacent dans une pièce, en tenant le champagne avec trois doigts maximum. il aime aussi la façon dont ces gens sentent bon, et comment se mêler à eux refile la sensation grisante de prendre un bain luxueux, parfumé d’opulence, où l’odeur entêtante des peintures acryliques rencontre le Numéro Cinq Grand Extrait par Chanel.
il aime tellement cela - et comme cela ne choque pas - que ce soir à ces gens il fait la bise volontiers. il laisse les femmes reconnues laisser du rouge à ses joues, se ravir à sa vue, et s’adresser à lui comme elles savaient le faire c’est-à-dire avec un espèce de mépris, distingué, une sorte de dédain aimable qu’il trouvait délicieux. quant aux hommes invités, idem, il leur accorde sa main chaque fois qu’ils veulent la serrer, embrasse certains aux pommettes parce que certains le préfèrent, et parfois leur permet de briller une petite minute en les écoutant se targuer : lui dire, magnifiques ces œuvres ! et encore, c’est quand ils restent modestes ; sinon ils causent de l'Art à coup de mots périlleux, comme, subversives ces œuvres ! galvanisant ce tableau ! oh et cette toile j’adore son sensualisme ; d’après lui, ces mots dans la bouche des hommes avaient une allure très drôle.

d’ailleurs, il se plait à les ressortir lorsqu’on lui demande son avis.
à présent au pied d’un des cadres - le favori des voyeurs, visiblement, car ils sont nombreux au-devant - Lazare égaye deux trois convives en leur servant les répliques, réchauffées mais charmantes, ah mais ce tableau il me galvanise franchement. ça ne le fait qu’à moi ? je ne sais pas, comment dire, coupe à la main il médite - ou plutôt joue le type qui médite en fixant - il y a du sensualisme là-dedans, c’est flagrant, et subversif à un point… à tel point qu’il n’a pas besoin de se la compléter sa phrase ; les deux trois convives la dévorent en l’état ; à croire que le vide se mange.
il leur sourit agréable - malgré qu’il pense c’est dommage, quelque part - quelque part j’aime ces gens mais pas vraiment leurs fringales, du moins, pas tout le temps. c’est dommage qu’à ces gens dire c’est beau, moi j’aime, c’est passer pour un rustre et leur frustrer la fierté. alors que c’est idiot. c’est beau ce que tu fais. et moi j’aime simplement.

enfin, ce n’est pas grave - il n’en veut pas à ces gens - les aurait rassasiés si tu n’étais pas apparu ; soudain, tu viens, et lui se détourne d’eux. sous ses yeux c’est bien toi, à l’inverse sous les tiens c’est bien lui mais il ment : les toutes premières secondes il se feint d’un air indécis, fait semblant de devoir se rappeler qui tu es. il le sait, qui tu es. l’artiste exposé mais pas que - un souvenir à l’écran - s’il se simule un oubli, au fond, c’est pour ne pas te gêner. considère que c’est inutile de t’apprendre que ta tristesse marque.

après ça il s’éclaire - sincèrement désormais - t’offre une risette mesurée qui ne sous-entend rien si ce n’est, c’est toi ! en photo sur le fascicule distribué à l’entrée, également c’est bien toi qui lui reviens en mémoire, il me semblait à moi aussi que tu me disais quelque chose. sans te préciser quoi au cas où le monde vous entend. alors c’est toi qui fais ça… constaté nonchalant, te désigne les murs. il se tait un instant histoire de ne pas te dire, c’est beau, moi j’aime, car peut-être il te troublerait avec son avis d’indécent. et puis parce que c’est bien lui, et qu’il ignore toujours si lui te parait obscène.
ah, quitte à se demander, pourquoi pas à voix haute ?
l’attention reportée sur toi il t’admire léger désinvolte. ça ne te dérange pas qu’on nous voie discuter ensemble ? lui s’en fiche de tout cœur, tu vois, il porte son verre à ses lèvres comme le roi des vauriens. te précise juste avant de boire, il y a des gens qui savent ce que je fais dans la vie, ici.
c’est pour toi et ton image surtout ;
sait-on jamais qu’il vous salisse.