(suite directe de ce rp : www) Ezra flottait encore dans cette ambiguïté symptomatique de la violence exacerbée. Il existait sans en être certain, le regard noyé de larmes, à fixer un point flou dans l'obscurité. Il n'aurait jamais cru être capable d'endurer une telle souffrance, ni réussir à se convaincre qu'il en était le seul responsable et qu'il le méritait - et pourtant c'était bien ce qu'il pensait, prostré sur le sol ; l'esprit endigué dans les souvenirs morbides de sa mère.

Tout est de ta faute ! Si seulement tu n'étais pas né... S'il m'avait laissé mourir...
Ezra ferma les paupières avec force, faisant s'écouler les restes de sel sur le lino dégueulasse sur lequel il reposait tristement.

Il avait des allures de viande saucissonnée, prête à se faire découper par un boucher. Malheureusement, habituellement elle était déjà morte et reposait dans des zones réfrigérées. La métaphore était cruelle, car Ezra était encore conscient lorsque la porte s'ouvrit brusquement. La respiration saturée par l'angoisse, il se tortilla faiblement.

Cerbère était revenu.
Pour une créature dénuée de patience, il faisait inlassablement durer l'agonie ; c'en était insupportable.

Tue...

Ezra rouvrit doucement les yeux, frangés de longs cils noirs, englués de résidus de larmes. Il articula péniblement.

Tue-moi...

Il n'était pas prêt à souffrir davantage et préférait qu'on mette fin à son calvaire le plus vite possible. Il se haïssait d'être aussi faible - bien que peu de héros sur cette terre ait pu se vanter d'apprécier les supplices que les Dieux leur avaient imposé.

Midas et Simca étaient peut-être en quête de cette révélation, de cette apothéose glorieuse que de trouver un peu de vie dans la mort, un peu de sens. Ezra n'était pas assez fort pour l'envisager.

Je t'en supplie, achève-moi ! C'est ce que tu veux... alors vas-y...

Ou peut-être qu'il savait qu'il allait renaitre.

La promesse de mort fit serrer les dents d'Ezra, si bien qu'il eut l'impression d'émacier les reflets de leur émail. Avec tristesse et lenteur, il porta à nouveau son regard embué de larmes vers le sol. Il fixa d'un oeil vide la marre de sang qui s'écoulait sous son bras mutilé, pourpre et silencieuse. Le peu de conscience qui lui restait avait été consumé par la cruauté et la violence de la créature qui s'amusait à le tourmenter. Créature qui ne tarda pas à l'empoigner comme s'il n'était qu'une vulgaire poupée de chiffon, malléable et malheureusement jetable, à la fin de la journée.

Ezra savait qu'il ne passerait pas la nuit.
Malgré ses supplications, le temps qui le rapprochait inexorablement de sa fin semblait s'éterniser. Il comprit que ce Cerbère n'aurait aucune compassion à son égard et qu'il ne servait à rien de chouiner, quand bien même il ne contrôlait pas ses émois.

Non....

Hoqueta-t-il ; sentant la langue rouler sous la phalange d'un doigt encore vierge, impuissant.
La torsion et le déchirement net arrachèrent un hurlement qui résonna jusqu'aux enfers ; et au sang se mêla la sueur froide. Pitié !

Gnhhh...

La frustration avait remplacé la résignation, et la colère bientôt, pâteuse et râpeuse, avait pris la place du désespoir. Ezra se convainquit qu'il n'avait plus rien à perdre.

MON PÈRE TE FERA... PAYER !

Il le scruta d'un regard nébuleux et brillant. Ezra comprit l'essence de son erreur. Alors il la corrigea, dans un ultime effort - un ultime affront.

Non... Je reviendrai... et c'est moi qui te ferai payer...

Ezra ne parlait jamais de son père habituellement - il demeurait une ombre flottante ; absente du tableau, lui même déchiré par les griffes d'une mère qui n'aurait jamais dû survivre. Thanatos était à la fois celui qui l'avait créé et sa malédiction. La crainte qu'il inspirait était moindre face au rejet qu'il essuyait. Nausikaa n'était pas tendre avec les enfants de la mort et Ezra considérait avoir déjà assez payé.

Alors pourquoi ?
Pourquoi est-ce qu'on lui faisait aussi mal ?

La ferme...

Jura t-il, les dents serrées. Il appuyait tellement qu'il sentit une de ses couronnes se briser, et les résidus de céramique envahirent sa bouche, rapèrent son palais.

Cerbère se vantait d'avoit tué moultes de ses congénères. Ezra ne comprenait pas en quoi cela était un exploit - et par extension, il eut du mal à se sentir pleinement en empathie avec les victimes du passé. Il ne s'était jamais senti demi-dieu, ni dieu ni demi. Il s'était toujours senti vide, comme si son identité avait été volé au moment où sa mère avait exprimé son regret de l'avoir enfanté.

Il s'était perdu avec elle, dans les limbes.

Non... NON NON NON !

Cette fois, il comprit trop vite. Il ne pouvait s'échapper, et supplia jusqu'à sentir une douleur vive paralyser son visage. Une partie de sa vision venait de lui être soustraite. Ezra hurla à s'en irriter les cordes vocales.

Peut-être même qu'il s'était évanoui.
Et sa conscience, toujours battante, l'avait encouragé à prier : faites que je ne me réveille jamais !

Ezra fut tiré trop rapidement de son état d'inconscience. Il abandonna les limbes qui drappaient les ténèbres et rouvrit les yeux sur un cauchemar plus réel, plus tangible - quand bien même on ne fera pas croire au fils de la Mort que les purgatoires n'existent pas, tapis au fin fond des Enfers. C'était de là-bas qu'il revenait, et il se souvenait encore de la voix caverneuse du maitre des lieux : Coupable !

S'il était coupable, c'était de lâcheté. Terrorisé et mutilé au fond de lui par la douleur, il n'opposa aucune résistance lorsque son corps, qui l'avait déjà abandonné depuis un moment, fut projeté et roula contre le mur. Il heurta le coin et demeura, figé. Mort.

Aaah...

Le Chien voulait s'amusait. Il réclamait un spectacle et Ezra gémit pour seule prestation. Il remua faiblement, les poignets ligotés lui empêchant de prendre appui pour se relever. Il ne le désirait pas, de toute manière.

Son seul réflexe était de se battre avec ses armes. Il entendait la voix de Midas raisonner contre les parois de son crâne : souviens toi qui est ton réel ennemi...

Il pouvait utiliser son pouvoir, celui que lui avait accordé son père pour forcer les orgueilleux à ployer le genou face à la peur. Ainsi, celle de Cerbère se matérialisa devant lui, se dressant en illusion presque parfaite pour faire barrage entre lui et ... son futur repas.

Crève... Laisse-moi...

Murmura-t-il. Ezra débutait tout juste dans la rébellion - c'était encore une supplication.

Les ombres se modelèrent dans des formes obscures et imprécises. Ezra avait pourtant concentré toute son énergie, le peu qu'il lui restait, pour l'offrir à Phobos et créer l'illusion la plus parfaite possible - ainsi laisser un souvenir à Kerberos avant de s'en aller rejoindre les limbes de son ancien maitre. Car Ezra savait qu'il allait mourir. Il n'était plus question de minutes. Il avait tellement mal qu'il ne ressentait plus rien ; tout son intérieur brûlait et se nécrosait. La vision partielle de sa dernière offrande suffisait à le consoler.

Cerbère, tremblant, enchainé, à hurler à Hadès de le libérer. Ezra esquissa un sourire à peine perceptible, alors que le sang se mélangeant à l'humeur aqueuse de son oeil coulait le long d'une joue, toujours écrasée sur le sol.

Quand l'énergie tomba à sec, Ezra laissa échapper un soupire d'aise. Il était vide, vidé, à bout. Il fixait un point flou au bout de la pièce ; ne discernait plus les tapisseries ou le pied d'un fauteuil, près d'une cheminée. Il n'avait plus vraiment conscience de là où il était et d'à quel point l'agencement de la pièce était curieux - notamment ce grand miroir, au fond, qui ressemblait à ceux des salles d'interrogatoires dans les séries policières qu'il matait à longueur de temps.

Aaah...

Il ferma son seul oeil valide en sentant la petite tape contre sa pomette saillante. Il était habitué à ce genre d'humiliation dans la vie courante - aussi, il avait d'autres préoccupations, d'autres priorités. Celle de se sentir partir.

Une bonne fois pour toutes.
L'inquiétude le prit à la gorge ; allait-il croiser Thanatos ? Allait-il revenir, et si oui, ici même, dans une toile d'araignée tissée par les monstres, prêts à le cueillir comme une mouche pour le dévorer une deuxième fois ?

Il n'eut pas le temps d'achever sa pensée, car la toile se mua en lumière étincelante, puis en obscurité. Les griffes avaient transpercé son estomac et on aurait pu le prendre avec ses propres intestins.

Il était mort.
Enfin.