edith rumine, fourbue par les morsures d’abel, à qui elle n’avait pas su fermer sa porte ; échaudée par l’inaction du conseil, qui n’avait cure du bien-être de l’île, de l’atè, de qui que ce soit, tant que leurs petits arrangements marchaient droit, et que l’ordre de parole était respecté ; meurtrie, enfin, au plus profond de sa chair, par ce simulacre de procès où elle avait rendu justice, et où la foudre d’un homme qui se croyait dieu avait tonné pour la faire taire.
sasha était libre, l’île ouverte aux quatre vents, les égarés, toujours seuls. seul emon devait bien s’en sortir, depuis son triumvirat immérité : enfant de dieu sombre, bien sûr ; la plante des pieds noircie par la terre noire de l’atè, sans doute ; mais le fils d’un des trois frères, des trois grands (qu’elle était insupportable, cette appellation !), avant tout.

edith rumine, et tu apparais.

elle te toise un instant, sans tendresse, comme le font ces vieilles femmes, ces veuves que l’on braque à la banque, et qui demeurent stoïques alors qu’on leur prend tout. tu déballes ton attirail, enfin, non, à peine rien ; ton corps parle plus encore que tes mots, qui ne veulent rien dire d’autre que je suis là, et toi aussi. j’ai à te parler, ou du moins, il faut que je parle à quelqu’un.

« c’est drôle. tout le monde vient en affaires, en ce moment, mais personne ne fait rien. »

elle ne te chasse pas pour autant : tu as l’avantage d’être moins laid que cecil, moins sombre qu’emon, moins rageur qu’abel. là où d’autres t’appelleraient beau, lumineux et tempéré, elle ne voit toi que le reflet convexe d’hommes plus marquants : tu as pour toi cette habileté à la dissimulation, la beauté en paravent. elle n’avait pas cela. elle en aurait été jalouse, autrefois. elle s’était munie d’autres paravents, depuis, et elle se cachait derrière pour pleurer de rage.

d’un geste las, mais ouvert, comme l’ébauche d’une étreinte faite trop vite à un enfant qu’on a tant aimé, elle désigne la place en face d’elle, te l’offre. elle n’a plus assez d’orgueil, ce soir, pour s’éclipser devant un ennemi héréditaire, et elle a encore trop de vanité pour refuser d’être vue en si jolie compagnie. peut-être parlera-t-on de vos messes basses dans les tabloids de l’île, demain.
elle en doute.
de quoi parlait-on encore, sur cette île ?

« la guerre est déjà là, de toute façon. ça n’a pas l’air, ça n’a pas eu l’air de t’émouvoir, l’autre jour. »

l’entame est méchante, elle viendrait se ficher dans ton torse dévoilé si elle le pouvait. edith voulait des mots comme des armes, et toi, ton silence avait pavé la voie d’une guerre, une de plus. des gens mourraient.

« appelle-moi dito, si tu viens en affaires, si tu viens en ami. et sers-moi donc un verre. »

vous trinquez sans promesse, de santé ou d’accord. vous trinquez comme trinquent les familles des dirigeants d’un pays belligérants, ignorant tout de ses défaites au front.
elle boit, apprécie ton choix, te le fait savoir d’un geste sympathique.

« qu’est-ce-qui t’amène, nate van der bauer ? »