t

u es toujours le bienvenu ici, emon »

et ça n’était qu’un demi-mensonge, bien sûr que tu attendrais toujours qu’elle t’invite, bien sûr que le trône glorieux bien que sombre de ton père fait que tu ne saurais jouir de la même pitié sans renonciation dont elle fait preuve à l’égard des autres habitants de l’atè ; mais il est aussi vrai qu’elle t’avait vu, déjà, enfant, suivre (ou bien guider, elle ne sait plus ?) son cher frère sur les chemins abrupts de la vengeance qui se sait juste, il est aussi vrai qu’elle avait vu, lors de son éviction il y a de cela trois ans, vos deux ombres se croiser subrepticement dans les couloirs de l’ecclesia, se fondre dans un noir plus pur que tous les ors des olympiens. elle avait vu, dans ce noir-ci, la promesse ratée d’une alliance entre enfants des juges obscurs : et aujourd’hui, vous pouviez, tous les deux, récupérer à votre compte cette alliance et en faire une affaire que nul ne saurait ignorer.

tu tiques en voyant son intérieur, elle n’en prend pas ombrage : il y a longtemps de cela qu’elle a arrêté (l’a-t-elle un jour fait ?) de s’excuser pour la place qu’elle prend, qu’elle mérite.

« eh bien, habitues-toi, car c’est ainsi que nous tous vivrons un jour, je veux le croire. c’est grand, n’est-ce-pas, interroge-t-elle à nouveau, sans attendre une réponse qu’elle connaît déjà. j’ai la chance d’avoir pu, toutes ces années, faire voir à beaucoup de gens que j’étais chez moi ici, là où ils se croyaient chez eux, et que non seulement j’étais chez moi, mais toute ma famille également, car c’est ce qui compte, n’est-ce-pas ? »

toutefois, elle te guide bien aimablement chez elle, t’entraîne dans sa cuisine aux meubles couleur ardoise, tire un escabeau d’un coin et monte dessus, se mettant ainsi à la hauteur du plan de travail, tandis que tu vantes ses mérites. c’est bien, tu sais jouer avec elle, tu sais comment prendre cette dame par le bras, avec toute la tendresse des neveux aux dents parfois longues et aux yeux toujours doux.

« ah, tu es bien gentil, et je t’en prie, as-tu oublié, appelle-moi dito… dis-moi, que prends-tu, thé, café, autre ? tu peux ouvrir le frigo, si tu veux. autrement, j’ai déjà du thé de prêt, noir, il finit d’infuser. »

elle s’affaire, décale l’escabeau, remonte, redescend, s’agite dans tous les sens.

« oui, je suis bien contente du déroulé de ce procès, même s’il a fallu tirer sur la laisse de certains. c’était un grand retour des némésis, après… la mort de mon frère, elle agrippe ton regard, comme tu le sais, bien que tu n’as pas pu beaucoup travailler avec lui… un grand retour des némésis, mais aussi de l’até, et de la justice, bien sûr. la justice et l’atè, la justice pour l’atè. qu’en penses-tu, emon ? »

a

h, tu es gentil, attrape donc les tasses là-haut, dans le placard ! »

si vous pouviez vous entraider ainsi que vous le faites en ce moment, vous pourriez aller loin, tous les deux, et avec d’autres peut-être. edith t’écoute d’une oreille, préparant un petit plateau : fruits confits du marché, théière… et les fameuses tasses.

toujours d’un pas aussi preste, edith finit par t’inviter à la suivre alors qu’elle ouvre le chemin. prenant un couloir qui s’enfance dans l’intérieur de l’appartement, vous passez devant plusieurs portes de chambres, sans en ouvrir aucune. finalement, vous vous retrouvez sur le patio, charmant îlot de fraicheur au cœur de l’habitation, énième luxe qu’edith ne se refuse pas. au-dessus de vous, un ciel de début de soirée d’été. d’un violet affadi tirant sur le blanc, celui-ci se refuse à montrer les étoiles, ou même un signe de vos parents.
il est des enfants dont les instincts divins tiennent du chtonien, du viscéral. avec des parents souvent muets comme le sont les grandes douleurs, votre chemin ne saurait suivre la délicate courbe du soleil ou même l’impétueux trajet des nuages.
c’est à vous, et vous seuls, de vous frayer un chemin dans la nuit noire.
alors qu’elle pose sur un guéridon le plateau, elle t’indique d’un regard un des deux fauteuils d’extérieur. affairée à vous servir, elle te répond, caustique.

« tu dis cela par rapport au sort de nos semblables, de l’até et d’ailleurs ? tu sais, je crois sincèrement que david m’a à la bonne en ce moment, bien qu’il ait voté il y a trois ans mon départ, mais c’est autre chose. je sens que nous partons sur de nouvelles bases… si nous le lui demandons gentiment, peut-être acceptera-t-il de rénover également certains bâtiments, en plus des rues ? »

un rire amer meurt sur ses lèvres, alors qu’elle t’adresse le sourire des mères en t’offrant finalement ton thé.

« je plaisante, bien sûr. tu m’excuseras, je n’ai guère plus que cela pour ne pas crever de rage. non, en l’état actuel des choses… changer quoi que ce soit au conseil est effectivement impossible, surtout face à ce fameux groupe. ils feront tout ce qui est en leurs moyens pour évincer les réfractaires, et ils s’appuient sur l’apathie et le découragement de ceux qui n’ont pas eu l’honneur de les rejoindre pour mieux imposer leur loi. »

elle finit par s’installer à son tour dans un fauteuil.

« toutefois, notre… incapacité d’agir dans l’enceinte même du conseil ne doit pas nous conforter dans une immobilité traîtresse pour les nôtres. nous devons simplement trouver de nouveaux moyens d’action, n’est-ce-pas ? »

elle cherche tes yeux alors qu’elle dit cela, il faut qu’elle soit sûre, entends-tu ? sûre qu’elle peut te faire confiance, sûre que tu comprends les enjeux en présence, sûre que tu seras prêt au même extrémisme que tu défends par ta posture.

« il me paraît importer de soulever deux choses. premièrement, nous n’aurons pas gain de cause pour quoi que ce soit d’important en les confrontant au conseil, même unis. car c’est une évidence que vous serez unis, n’est-ce-pas ? sinon tu ne serais pas là. deuxièmement, leur groupe est bien plus instable qu’il ne le semble. dionne faisait partie des olympiens, ou du moins s’était rapprochée d’eux avant que sa trahison n’éclate au grand jour, et david n’a pas su s’entourer des plus stables des ambassadeurs pour compenser cet échec : il a des affinités avec bellamy, qui n’est pas étranger à la mort de mon frère… il a également dans ses rangs le fils de la guerre, qui lui explosera un jour ou l’autre à la figure, sois-en persuadé. enfin, david est un tyran, par essence… il finira seul, un jour ou l’autre. notre ennemi n’est pas invincible comme il aimerait nous le faire croire. mais tu le sais déjà : qu’es-tu venu me dire, emon? »

elle aime, elle aime comment tu lui parles, emon. elle aime que tu dises expérience pour ne pas dire âge, elle aime que tu prennes ces pincettes sans pour autant être insincère. elle aime que tu aies pris le temps de l’écouter avant de parler à ton tour — aujourd’hui, qui l’écoute encore ?—, elle aime ces voiles impersonnels que tu agites devant ses yeux : on dit, leur but, avant que de dévoiler la supercherie dont nul ici n’était dupe. elle aime cette parade non pas nuptiale, mais charmeuse en tous points, que tu prends la peine d’effectuer pour elle. sans doute est-il facile pour les neveux obligeants de charmer une tante longtemps ignorée d’eux.

patiente, elle boit à petites gorgées son thé, les yeux se perdant au fond de la tasse, comme pour y lire l’avenir de votre alliance. vous signez l’histoire, ce soir. me vois tu, mère ?

« j’en dis que tu n’as pas chômé, depuis que j’ai quitté pour la première fois le conseil. »

elle pose la tasse, elle n’y reviendra sans doute pas. il n’est plus l’heure de jouer à la dinette.

« je suis ravie que tu sois venu me voir, emon. il est évident que la justice, et elle a un regard vers l’ouest, vers l’olympe sur le toit de new-york, vers la justice elle-même, ne saurait être mise à part de cette entreprise des plus nobles. il est évident que j’aurais normalement besoin de gages pour m’engager dans une entreprise de la sorte, mais ta présence et ta venue lui accordent d’office un certain cachet, c’est certain. »

elle reprend.

« mais dis-moi, avant tout : qui est déjà dans cet… arrangement, ambrotos, c’est cela ? parle-t-on de fratries, ou d’individus malheureusement isolés ? »