tu lui as donné rendez-vous chez votre mère, vote mère tant aimée (et aimer, c'est craindre!) ; tu l'attends, edith est en retard. peut-être ne se presse-t-elle pas à l'idée de pénétrer en la demeure maternelle, souvent lieu de désolantes confrontations, ou de dialogues de sourdes que nemesis a le chic de tout de même remporter.

après avoir laissé son fauteuil en bas des marches, après avoir réuni sa mine la plus contrite (l'heure est grave : un fils de votre mère est mort), dito frissonne désormais à l'entrée du temple. des flaques stagnantes de l'eau de la dernière pluie reflètent les ombres du plafond, semblent des trous où elle pourrait s'engouffrer sans un bruit sans un cri, avalée par les ombres (non, non ! j'ai encore tant à faire en plein jour, on vient à peine de me rendre la lumière !).

tu es là, amoureuxse de votre mère, le menton haut, et edith sourit en te voyant de dos (elle ne peut y résister malgré les circonstances) : toi sa joie, toi son étincelle. elle est brasier, elle est l'orbe rougeoyante qui ne meure jamais : mais tu es la lumière de votre lignée, edith n'en doute pas. il faut seulement t'expliquer quoi éclairer ; désormais, tu apprendras à nouveau d'elle.

« oui, je suis là, j'ai fait au plus vite, mon chou. »

edith te dépasse, s'agenouille aux pieds de l'autel et allume un peu d'encens, comme elle le fait toujours. elle ne te regarde pas encore, elle rend ses hommages à votre mère et corrige à demi-voix entre deux prières tes constats puérils mais tellement entendables (tu n'es qu'un enfant, et tu as déjà tant vécu !).

« il n'est pas maudit, cassiopée. il est seulement extrêmement dur à tenir, car notre rôle est des plus important. »

et alors qu'elle dit cela, elle regarde la statue de votre mère droit dans les yeux, comme elle le ferait pour juger un homme, elle la regarde pour répondre à la révélation cruelle que nemesis lui avait faite bien avant ta naissance, elle la regarde pour lui dire malgré toi, tu m'as donné le rôle principal de ta pièce.

tu questionnes, tu questionnes sans prêter d'attention à ses réponses, il semblerait. impatience de la jeunesse couvée en une boîte trop close.

« pourquoi l'un et l'autre s'opposeraient-ils, cassie ? mams m'a communiqué les termes de sa vengeance, et m'a demandé de l'appliquer. mais j'aurai besoin de toi, j'aurai toujours besoin de toi. »

elle se relève, se tourne enfin vers toi, embrasse d'un coup d’œil ta sombre lueur : que tu es beau, que tu es énigmatique !

toujours souriante, elle ouvre les mains, tend les bras vers ton visage, t'implore de glisser ta face d'enfant aimé.e dans ses mains d'aînée sacrifiée, qu'elle puisse au moins baiser ton front immaculé avant de parler de politique, la dégoûtante, la dégoulinante politique.

« viens, mon chou, dis-moi bonjour. tu m'as l'air étrange, aujourd'hui : est-ce la mort de kastiel qui te perturbe ? »

elle attend que t'inclines devant elle, que tu lui offres ton visage, et ton coeur avec. prête donc allégeance, cassiopée, et rends-la fière.

ah ! et qu'est-ce-qu'elle aime te voir ainsi, baiser ta joue fraîche de ses lèvres tièdes, qu'est-ce-qu'elle aime toucher tes cheveux longs du bout des doigts alors que tu l'étreins fort, fort, et pourtant si doucement. qu'est-ce-qu'elle aime, qu'est-ce-qu'elle t'aime, toi sa fierté, toi sa joie, toi son souci favori. qu'est-ce-qu'elle t'aime, cassiopée !

et voilà que tu lui dis les mots doux, les mots qu'il faut dire à cette femme qui est trop vieille, bien trop vieille pour être une sœur, mais qui est une tante et un cœur ouvert.

« je suis là, mon cœur, je suis revenue, je ne pars plus. »

une caresse pour un mot doux.

« tu n'as pas à l'être, tu n'as rien fait. »

oh ! si seulement elle savait… si elle savait ce que tu as fait ! elle le découvrira bientôt cassiopée, oui, bientôt… et ça lui fera mal, très mal. mais à ce moment-là, elle chasse tes inquiétudes alors que ses doigts filent le long de tes mèches, que vas-tu dire par là, à te sentir coupable, toi l'innocence, toi la droiture, toi la justice !

« ce n'était pas de ta faute, chéri.e. si quelqu'un avait dû le protéger, cela aurait dû être moi, cela aurait dû être l'île… nous avons failli, mais pas toi, pas toi. »

et tu pleures sa mort, sa mort que tu imagines ! comme c'est triste, comme c'est doux.

elle prendra les balles pour toi, elle essuiera le sang sur la dalle, elle ne te laissera pas te salir. c'est à ses mains déjà tachées de le faire, ça ne se verra pas si elle les essuie sur ses robes sombres.

« ah oui ? »

edith recule, te lâche à contre-coeur, ses yeux glissent le long de tes joues qu'elle devrait saisir à pleines mains, comme on touche un objet sacré, comme une mère aime son fils sacrifié. elle se détourne, s'agenouille à nouveau, fait une prière : merci de l'avoir ramené.e, merci !

qu'aurait-elle fait sans toi ?

« ça ne m'étonne pas. ton travail n'était pas fini, ici. que t'a-t-elle dit ? elle t'a parlé ? »

elle questionne, elle ne veut pas te presser, mais son avidité résonne au fond de sa voix : es-tu l'élu.e, as-tu trouvé plus de grâce à ses yeux que son aînée, que ta sœur livia, que tant d'autres ? était-elle venue voir kastiel lui aussi, lorsqu'il avait agonisé, ces deux fois si rapprochées… sans doute l'avait-elle fait.

« je suis sûre que cela t'a fait plaisir de la voir. »

elle sourit désormais, tristement peut-être. elle profite de cette distance entre vous qu'elle espère briser à tout moment en se jetant à nouveau dans tes bras (qu'il est bon d'être aimée en retour par l'objet de son amour le plus sincère, et aimer, c'est craindre, rappelons-le !) pour rencontrer ton regard, pour la première fois de cette entrevue. et ton regard est beau, lavé par tes larmes, un peu rougi même, mais si vaporeux, si…

elle entend comme un bruit dissonant. elle sait que ça n'est pas le cas : il n'y a à entendre ici que vos deux souffles secrets, comme si vous étiez des enfants jouant à se cacher et qui se plaisent à tordre le cœur de leurs parents d'une folle inquiétude. que vos deux souffles, et le bruit de l'encens qui brûle.
mais il y a ce faux bruit dissonant, qui dit : quelque chose ne va pas. mais si, tout va bien. et elle soutient ton regard, aimante.

edith hoche la tête, silencieuse, jalouse. tu n’as rien eu à payer pour entendre les mots qu’elle n’a pas reçus. tu es important.e et tu es libre.
le silence sonne de plus en plus mal, la fausse note se fait stridence. ça ne veut rien dire, tout va bien. peut-être est-ce votre mère qui vous écoute et qui se manifeste à vous ?

« oui, bien sûr, je l’ai rencontrée. c’est elle qui m’a dit de revenir, de venir nous venger. »

secrète, elle passe sous silence leurs nombreux entretiens. ils peuvent sans doute se compter sur les doigts d’une main : mais pour une semi-divinité, c’est déjà beaucoup, que d’avoir vu son parent divin autant de fois. curieux.se pourtant de ses cachotteries amères, tu lèves la tête vers elle, et vos regards se croisent, pour la première fois peut-être, tu accroches son regard et elle accroche le tien. ses yeux sombres se perdent dans les tiens, elle suffoque de te voir si désolé.e.
pour une raison qu’elle ignore, ses yeux glissent de ton regard à ton front blême, de ton front blême à tes mèches d’or, de tes mèches d’or à ta balance de bronze.

et le constat n’est pas joli, et cela s’aggrave même. au-dessus de ta tête, sombre comme un film honteux qui ne passe que sur les chaînes payantes, elle te voit, entouré de cette aura laiteuse et sombre à la fois. tu es… où es-tu ? dans un château, peut-être, non, un cachot… que fais-tu, que tiens-tu en ta main ? cette clef, ce lieu… et ces plumes qui s’engouffrent à ta suite, à qui sont-elles ?

et si alors, aimer, c’est bien craindre, alors elle n’a t’a jamais tant aimé.e qu’à ce moment-là.

« qu’est-ce-que… qu’est-ce-que tu as fait, cassiopée ? »

elle recule sans savoir où elle va, les mains devant elle. elle fait chuter un chandelier en se cognant à celui-ci. le métal qui cogne contre la dalle, c’est inhumain, comme son. c’est un chandelier qui tombe au sol, mais aussi une épée que l’on lâche après avoir reçu le coup fatal, mais aussi le plateau de ta balance qui s’effondre en grinçant. c’est l’horreur du monde qui s’invite dans ce temple.

« c’est elle qui t’a demandé de faire ça, cassiopée ? réponds-moi ! »

elle ne précise pas quel est ce quoi, c’est trop évident il faut que tu saches de quoi elle parle. désespérée, elle se rattrape à l’espoir que cette action est liée au rôle que votre mère t’a confié, bien que tu l’aies nié à l’instant. elle refuse de croire à ta culpabilité, elle refuse de croire à ton impureté, toi son joyau, toi sa lumière.

edith secoue la tête de droite à gauche, effarée, interdite, muette de douleur : non non non c’est impossible. elle se tient toujours loin, si loin de toi, et rien ne pourrait, à ce moment, aider à combler la distance. pire, tes mots dont elle doute désormais, dont elle doutera toujours peut-être, ne font que rajouter des dalles au désert sec et trop humain qui vous sépare. ce désert serait un long couloir, celui d’un prieuré où l’on se croise encapuchonné, ignorant tout des pensées l’un de l’autre, ou bien une de ces immenses places dont votre ville est dotée, où l’on se tient face à face, chacun à un bout, et où l’on se toise en silence.

tu te justifies, tu te débats dans la mare de tes vérités invérifiables, à jamais troublées par la vase de ta duplicité.

« qu’as-tu fait— »

elle se retient d’ajouter malheureux.se, pourtant c’est cela qui conviendrait n’est-ce-pas, c’est cela que l’on dit dans les drames, c’est cela que l’on dit à l’enfant aux jambes légères qui a vendu son âme au diable, malheureux.se !

« qui es-tu ? »

ah voilà la vraie question la question qui râpe qui brûle qui infecte, qui es-tu car je ne te reconnais plus mon enfant, à qui sont ces reflets argentés et sibyllins que j’ai vu briller dans tes yeux et tes cheveux, je pensais à l’éclat de mon amour mais je devais me tromper…

et cette larme, cette larme qui lui déchire le coeur alors qu’elle déchire ta joue, quelle horreur cette larme !

toujours à bonne distance de toi, edith laisse planer un long silence, puis se recoiffe, réajuste sa robe au niveau des épaules, se baisse maladroitement pour ramasser l’encensoir la poudre n’importe quoi, sauver ce qui peut encore l’être. sans te regarder, elle questionne :

« étais-tu accompagné.e ? t’a-t-on vu.e ? »

qui devrait-elle soumettre au silence, pour sauver la face de la famille, pour sauver ta v— non. pour sauver la famille, voilà. le reste… le reste, plus tard.

« quand as-tu vu l’hydre ? pendant ou après ton mandat ? »

n’

essaie pas de me faire passer pour la méchante ici, cassiopée aurum marinova. j’ai été là comme j’ai pu être là pour tous les nôtres, tous les miens, et si tu as eu l’ingratitude de penser que je ne faisais rien pour toi, si tu… si tu essaies par-là de me faire porter la culpabilité de ta trahison, cela ne marchera pas. »

comment oses-tu pleurer, comment oses-tu te mettre à genoux, comment oses-tu prétendre être l’agneau sacrifié alors que tu as été la flamme et le bûcher ?

« très bien. »

tu as effacé une partie de ses doutes. la famille peut dormir en paix, au moins un temps : ton ombre ne se projettera pas sur eux tous, elle y veillera. en se promettant déjà d’arrêter de son corps ton ombre, elle t’empêche de lui inspirer de la crainte, et craindre, c’est aimer. il n’est plus temps pour elle de te craindre.

tu ris doucement, tu accuses son incomplétude, tu as bien raison de le faire : mais que cherches-tu à dire à celle qui peinait à t’entendre autrefois, qui ne veut définitivement plus t’écouter aujourd’hui ? celle qui a fait de son incomplétude décidée par votre mère une force, une raison d’avancer sans se retourner, une excuse à ses pratiques sanglantes, tu veux la raisonner ?

« je ne veux plus te voir. ici, ailleurs, chez moi. »

elle ne ment pas.

« prie. ne parle de cela à personne. n’attends plus rien de moi. »

il y a un silence, encore un. décidément, les silences sont tout ce qu’il vous reste. un silence dans lequel elle évolue comme en suspension, alors qu’elle se dirige, lasse, lente, vers la sortie du temple et ses obligations. il lui semble… il lui semble que l’histoire se répète, dans ce temple. les élus, les crimes, les sentences trop humaines et le silence de nemesis.

« car tu n’es plus rien pour moi. »

elle ment, mais veut le croire ; et si cela était possible elle prendrait un couteau, le planterait dans son cœur et y découperait soigneusement, en suivant les contours de ta grâce, la place que tu y as que tu y as eue pour prétendre ne jamais t’avoir porté.e aux nues, ni dans ses bras.
ainsi, au lieu de découper dans son cœur l’amère tumeur, elle recouvrira ton nom d’ombre, et tant pis si son âme doit s’obscurcir un peu : il est des soleils qu’elle n’atteindra qu’ainsi.