tu navigues, habiles, les mains plongées dans un corps grand ouvert qui offre ses saveurs (intenses) à la pièce qui loge tes meilleures œuvres d'art. ton esprit aussi, est voyageur. il est occupé par ton prétendu fils — hier vous avez partagé votre dîner mensuel et comme chaque lendemain tu retraces les souvenirs qui te lient à lui.

ils paraissent médiocres, un brin mal fagotés. tu te fais vieux, alexander. certains détails se sont effacés sans que tu ne t’en rendes compte, d’autres ont laissé des indices qui rient de toi. quel bordel monstrueux. tu n’arrives plus à penser clair.

tu retires un poumon de la chaire, puis tes mains, puis tes gants. un soupire pour bâcler cette scène et tu retires ta blouse blanche, excédé d’être autant perturbé pour si peu.

une main sur la clé, tu tournes à double tour et scelle l’antre des enfers, une moue au visage. encore un gâchis ; tout ça car tu n’as plus la patience de ta jeunesse.

tu noues tes lacets, enfiles le premier manteau que tu trouves (il est long, tu aimes la mode des américains) ; ne prends pas particulièrement la peine de fermer la porte de chez toi. rien n’est plus précieux que ce que tu protèges déjà ardemment, et puis pourquoi t’embêter quand tu sais que de toute façon ta seule menace — iskander — aurait trouvé, s’il se pointait, l’excuse pour poser un pied dans ta demeure ?

tu traînes, vagabond au pas lent, jusqu’à la façade d’un bâtiment que tu as souvent surveillé sans dire le moindre mot. mais aujourd’hui ta curiosité te pique et tu as besoin de savoir plus de choses que ce que tu peux observer sournoisement. tu fais les cents pas au pied de l’immeuble, te faufilant dès qu’un voisin s’en va tout en te confondant d’excuse pour justifier ta hâte à ne pas laisser l’opportunité filer. « quelle chance mon dieu j’ai oublié mes clés j’attends depuis 10 minutes un miracle haha, merci beaucoup. »

deux phalanges que tu frappes sur la porte, le regard qui observe la qualité de la serrure. tu patiente, t’habille d’un sourire charmant (celui qu’on emprunte aux silencieux qui en savent trop) et quand il t’ouvre enfin, tu passes un premier pied dans le glissement de la porte avant d’y ancrer tout ton corps.

« pascal, pardi, quelle belle mine tu as ! j’espère que je ne t’embête pas ? non non à cette heure ci… » il tend le bras pour relever sa manche puis le pli pour regarder sa montre. « non tu n’embauches que dans quelques heures. tu vas bien ? »

tu glisses chez lui comme un courrier sous une porte, observe avec de grands yeux l’univers qui le borde tout en récitant ta tirade amusante mais sans un rire.

« je me demandais si tu avais des nouvelles de georges ? »

c’est dur (impossible à vrai dire), de contenir la joie qui habille ton beau visage. l’odeur de la pièce te décroche un sourire, voilà que tu te remémores quelques souvenirs oubliés. silencieusement tu remercies les dieux d’avoir laissé pascal endosser dans ta vie un rôle — mineur mais exquis, que tu sauras féliciter grandement quand l’échéance de vos rencontres sonnera creux.

tes yeux observent les lieux, détaillent une incohérence dans la décoration de la pièce. tu interroges ta mémoire et cela fait sens à nouveau, ici ce n’est pas chez lui mais chez eux. tu pouffes, sans un son : ce que tu peux être maladroit quelques fois.

rien ne te rappelle georges par ici. ni les affaires, ni pascal. tant mieux. tu ne venais pas vraiment pour cela.

« haha tu es si formel, c’est adorable. ne t’embête pas. nous avons beaucoup partagé après tout. ma soeur pour commencer ! j’espère que tu as apprécié chaque seconde avec elle… tu as plus de chance que moi. personne ne m’aime, dans ma fratrie. c’est dur mais pas insurmontable. moi je les aime tous ; ceci dit. tu pourras leur répéter. »

tu vagabondes, les pieds lents, le regard attentif. près de la fenêtre, tu prêtes attention à l'extérieur. tourner le dos à tes proies ne t’as jamais fait peur.

« c’est mignon par ici. je n’ai pas l’habitude d’autant de lumière, entre mon bureau, le bloc opératoire, ma salle de jeu… » tu te retournes, pointe le canapé du doigt pour imager ta question mais n’attend nulle réponse pour s’y installer. « je peux ? » les mains liées sur tes cuisses, tu étends un sourire carnassier. « parle moi de toi pascal ! » maladroit tu fais mine d’avoir une idée ; retirant ta veste pour la poser sur le dossier du mobilier avant de reprendre ta position initiale. « je ne sais plus trop pourquoi je suis venu mais tu peux surement m'aider à m'en souvenir. tu as fait des bêtises recemment ? »

il le subit, lourd et amusant, ce regard tordu qui cherche à comprendre par miracle l’origine réelle de ta venue. mais tu n’as jamais été constant, alexander. tu n’as pas toujours embrasser la violence quand il fallait effleurer la tendresse, pas toujours répondu par les mots quand le silence était d’ordre, pas toujours menti quand on t’intimait d’être sincère.

pourtant personne n’a su te croire quand tu devais être cru. de ta bouche se deversaient parfois des aveux mais ils n’entendaient que des bobards, et tu riais, alex : heureux d’avoir toutes les raisons du monde de les haïr en retour.

« quelle chance tu as de ne pas connaître abel. mais quel dommage que tu n’ai jamais rencontré dionne. m’enfin. tu sais, tout vient à point, tu n’as pas nécessairement besoin de t’y attendre. »

quand il brandit son téléphone tu penches la tête, un brin en arrière mais surtout sur le côté et tes sourcils se froncent, quand ton sourire se crispe. quelle drôle de théâtre qu’il te jouait, ce gavroche en suspens.

« il n’y a pas que georges dans la vie, pascal. pourquoi ça t’obsède ? tu crois que je défends mon clan corps et âme ? mais dis moi plutôt quelle réputation tu me connais pour être si distant et… hérissé ? » tu te lèves, visiblement aucune conversation simplette ne naîtra dans ce fauteuil et si l'on te croit fils du danger alors, désolé hébé, mais c’est à ton tour de la renier. « j’ai l’air si désagréable ? pascal ai-je été dérangeant ? tu n’apprécies pas ma présence ? faut-il que je m’en aille ? » mais tes questions sonnent comme des plaintes, à la limite des supplices. tu aurais pu joindre tes mains en le priant d’accepter que tu te sois fait convive sans y être invité, mais ton regard ô plus expressif que la nature de tes mots toujours savait quelle profondeur adopter face aux cœurs hésitants.

« un mot pascal et je disparais. il faudra que je trouve une autre façon d’obtenir les réponses que je cherchais toutefois… mais j'essaierai d’être discret. je ne voudrais pas plus t’incommoder. toi qui es si gentil. »

non. ça te fait sourire, ça dessine la surprise sur ton visage sans que tu ne reconnaisses les traits qui peignent. ça c’est amusant, pascal. d’identifier ce qui n’est pas normal mais d’ignorer ce qui est dangereux. de justifier, un peu étrangement, cet écart de conduite qui n’a pas sa place dans la société désagréable qui confine — de donner une raison sans en connaître la nature, de meubler finalement, ce qu’on ne comprend pas.

« tu es vraiment un drôle de garçon ! »

si drôle ! tu ne te souviens plus de ce qui t’amène. ton regard balaye la pièce, avant de retomber sur le garçon ; ah oui, voilà.

« je ne sais plus trop pourquoi je suis venu… tu as fait des bêtises récemment ? »

ce qui est plus pittoresque alexander mais dont tu ne saurais rire car tu ne le remarques pas ; c’est à quel point ta mémoire est défaillante. cette question date d’il y a quelques minutes seulement mais seul pascal pourra le notifier ; et le ferait-il ? mettre le doigt sur une incohérence comme il a l’air de si bien aimer le faire. ce serait bête ceci dit, il reconnaîtrait un danger que toi-même tu ne veux pas voir.

tu secoues la tête, hausse les épaules, balaye la sensation de flottement qui te frappe en un instant.

« j’aime, ce que tu soulignes. cette histoire de grand frère qui croit résoudre un problème inexistant… ça surprendrait la fratrie. je me demande s’ils seraient fiers… sûrement pas… m’enfin. ce n’est pas comme si j’essayais de leur prouver quoi que ce soit ! ils existent, les gens qui m’apprécient. » tu t’en convaincs. « pascal ! » tu rebondis, fais disparaître les propos d’avant pour une chaleur différente. « tu es bien aimable, je te garde à l’oeil. n’hésite pas à me demander à l’hôpital, si tu passes sur l’île. et si tu me croises à new york oh nous ne nous connaissons pas… je ne voudrais pas t'embrigader dans mes filouteries. » tu t’éloignes de sa personne sans pour autant rejoindre la sortie ; tes yeux sont encore curieux de ce qu’il y a à dénicher par ci par là. « tu es vraiment drôle tu sais ? pascal petit. pascal petit… pascal petit… » récites tu telle une comptine. « j’aimerai bien t’avoir sur ma table d’autopsie… » un ultime sourire avant de rejoindre l’entrée qui sera ta sortie, tu l’observes alors en attendant une dernière parole ; de quoi te donner matière à réfléchir avant de revenir.