La porte claque quand tu la passes. Ce n'est annonciateur de rien, tu n'as jamais su franchir une porte autrement qu'avec une absence abyssale de délicatesse. Ensuite, ce sont le bruit de tes pas qui trahissent ton retour. Lourds. Puissants. Quand tu marches, tu frappes le sol, tu ne l'épouse pas. Du couloir, le son de deux chaussures qui heurtent le sol, puis, enfin tu apparais.

— Salut.

Tu étouffes un bâillement. Tout pourrait être normal si, sur ta figure et ton t-shirt, il n'y avait pas des éclaboussures de sang. De ce spectacle, tu ne donnes aucun commentaire. Tu laisses ton sac s'écraser au sol, puis, comme-ci de rien n'était tu te diriges jusqu'au frigidaire pour en sortir une bouteille de bière que tu décapsules avec le coin du plan de travail. Tu descends quelques gorgées dans un bruit de déglutition exagéré. Ce n'est que lorsque que tu as fini que tu poses enfin ton regard sur Ezra pour lui dire.

— J'ai butté Moon.

Tu contournes le plan de travail pour venir te vautrer sur le canapé.

— Divine est partie. Elle nous a tous invité, a fait un grand sourire, puis s'est empoisonné pour se libérer de son serment. Mais lui... Lui... Il a ouvert sa gueule, fait son grand one man-show, et a voulu partir sans verser une goutte de son sang.

L'aigreur se sent dans le ton de ta voix. Ezra sait, que les deux choses que tu méprises le plus sont la faiblesse et le manque de courage.

— Tu l'aurais vu. Avec son putain de sourire, tout fière de son plan. Ce mec est une honte et une insulte au clan et à Arès.

Tu tournes la tête en direction de son petit bureau, étires un sourire.

— Alors je l'ai tué. Et tu sais quoi ? Ça m'a fait un bien fou.

Tu lèves ta bière. Divine est partie en reine. Et Moon ? Moon est parti tout court. Quelque part, ça se fête.

— Sinon chers mari, qu'est-ce qu'on mange ?

Évidemment, Ezra ne comprend pas. Tu hausses un sourcil face à ton mari. Très franchement, tu t'attendais à une autre réaction. Un "ah, enfin !" ou un "Franchement je comprends" aurait été de rigueur, puis tu te souviens qu'Ezra a beau partager ta vie, il n'en reste pas moins un civil. Un de ces petits demi-dieu élevé dans la grâce et la sécurité des murs de la ville, biberonné à l'idée qu'il pouvait vivre et être "comme tout le monde" alors même qu'il est fils de dieu. Anciennement, et pour n'importe quel autre sujet, tu te serais agacé. Mais parce qu'il s'agit des spartes, parce qu'il s'agit d'honneur, parce qu'il s'agit de ton essence profonde, tu te contentes de froncer les sourcils.

— Parce que c'était la bonne chose à faire, voilà pourquoi.

Il ne pouvait être autrement. Tu tapotes du plat de la main la place à côté de toi. Tu te tournes vers Ezra. Tu n'as pas l'habitude de te montrer "sérieux". Tout n'est que cri, violence et extravagance avec toi. Mais même pour Midas Warren, il existe des sujets qui outrepasse ta nature guerrière.

— Moon-Lee était un membre du clan et intégrer le clan c'est engager sa vie et son honneur. Pour le quitter il faut payer sa dette. C'est comme ça.

Pour toi, c'est logique. Pour toi, ça fait sens. Les guerriers ont un code. Un code qui supplante les lois des hommes. Un code que même les dieux respectent, car il n'y a code plus sacré que celui-là. Quand tu en parles, c'est avec un immense respect. C'est quelque chose qui est rare.

— Et plutôt que de partir dignement en Spartes, Moon a préféré nous insulter, cracher sur son honneur, cracher sur Arès. J'ai appliqué la justice du clan, c'est tout. La milice n'a pas à s'en mêler. Le clan c'est le clan. Ça ne regarde que nous.

Tu claques ta langue contre ton palais.

— Ce fils de putain peut déjà s'estimer heureux qu'on ne la lui vole pas sa seconde vie. Ce gros lâche.

Tu termines ta bouteille, ça t'évite de casser quelque chose. Tu secoues la tête.

— Tu comprends pas, mais c'est pas grave.

Ça te file une certaine frustration, qu'il ne puisse pas comprendre. Et en même temps... Il n'a pas été élevé comme un demi-dieu le devrait. Tu observes ton mari. Soudain, tu as pitié. Pitié de cet homme qui a de la colère à revendre mais qui pense à tort que c'est la normalité qui l'apaisera. Pitié pour cet homme qui ne voit dans le guerrier que le barbare. Pitié parce qu'Ezra est une cause perdue qu'un seul et unique chemin pourrait sauver de lui-même. Mais ce chemin, il le méprise. Si tu l'avais enfermé plus tôt, ni Précieux, ni Simca, ni Alyss ne l'aurait endoctriné avec cette merde bien pensante qu'a été sa réalité.

— Moi il m'arrivera rien. Seraph va me punir parce que je l'ai pas attendu pour agir, mais c'est pas grave. Il sait que j'ai raison. Il me comprend. Les serments sont sacrés et notre père approuve. Alors la cité peut bien aller se faire foutre, ce sont les dieux qui commandent, pas eux.

— Bien sûr qu'il approuve !

Quelle question! Tu as agi exactement comme il l'aurait fait. Arès ne tolère ni lâcheté, ni faiblesse. Il a tué les siens pour moins que ça. Tu n'as pas besoin de l'entendre pour te convaincre de son approbation. Ton fanatisme à son égard va bien au-delà de la raison.

À ta grande surprise, Ezra ne conteste pas. Sans te faire la leçon, sans étaler son horripilant raisonnable, il se contente d'accepter la situation. Tu hausses un sourcil, mais ne relèves pas à voix haute. À bien des égards depuis quelques jours, Ezra est devenu bien plus agréable à vivre. Non seulement il accepte mais en plus de ça il ne chouine plus.

— Ouais, Divine est morte.

Si ça te touche, ce n'est pas tant à cause de son trépas qu'à cause de son départ.

— C'est de la faute de Cécile. Je ne sais pas ce qu'il lui a dit mais ça a marché, elle est partie.

Tu fronces les sourcils, en serrant la bouteille tu manques de la briser.

— Ça ne restera pas impuni.

Tu prends la bouteille de l'autre main et secoues l'autre. Sur ta paume, une légère coupure. Tu souffles, ça n'a pas l'air grave. Puis, tu t'en fous. Tu étais occupé à hausser les épaules face à ta propre blessure lorsqu'Ezra fit quelque chose que dont tu n'aurais jamais osé rêvé. Tu tournes un regard franchement surpris vers lui et pour la première depuis des années, tu te tais. Tu attends une blague. Un pas en arrière. Mais rien. Ezra est sérieux et toi tu sens une bouffée de fierté te tordre le ventre. Tu poses ta bouteille par terre, viens encadrer son visage de tes mains.

— Enfin.

Tu souris, tu approuves. Ezra se libère enfin de ses chaînes. Il devient ce que tu as toujours voulu qu'il soit.

— Là. Là tu es digne de moi.

Tu ne l'as jamais regardé avec autant d'approbation. Tu hoches la tête.

— Tu réussiras. Parce que je ne te laisserai pas échouer.

Ta contrariété semble d'être comme soudainement envolée. Tu sembles le voir d'un regard différent. Comme si, en parlant ton langage, Ezra avait gagné le droit d'être considéré comme un Homme.

— Ce sera dur, tu le sais ? Tu t'engages dans quelque chose de grand. Tu vas morfler, tu seras entouré de types qui t’attendront au tournant et, surtout, je ne t'épargnerai pas. Malgré tout, tu veux tenter le coup ?

Il veut voir s'il en est capable. Non, il l'est. Voir une telle assurance te ravit. Voilà. Il n'aura fallu rien de plus que la mort pour qu'enfin Ezra devienne quelqu'un. En s'engageant dans ton domaine, en faisant un pas sur le même chemin que toi, il perd son statut désobligeant d'anonyme pour embrassé celui de vraie personne. Tu hoches la tête, pleinement convaincu. Ezra ne t'as jamais rendu aussi heureux qu'en cet instant. Pour la première fois depuis votre rencontre, tu as l'impression d'enfin l'avoir trouvé.

Sa réflexion sur tes frères et sœurs te clan te fait hurler de rire. Tu quittes ses joues pour venir claquer ta cuisse dans un rire sonore que les voisins sur trois étages ont probablement entendu.

— C'est bien vrai !

Tu te lèves, fonces vers le frigo pour en sortir une bouteille de ta bière favorite. Il est un accord tacite dans votre couple : on ne touche pas à ton alcool. Alors quand tu le la lui tends, c'est significatif de beaucoup de choses.

— Bois.

Qu'il aime ou pas l'alcool, en revanche, ne fais pas partie de tes préoccupations. Il ne peut qu'accepter humblement ton offrande : quand tu fais un geste la seule réponse possible est "merci".

— Je ne te dirai rien des épreuves, tu n'auras de ma part aucun traitement de faveur.

C'est une marque de respect. Si Ezra doit faire partie des vôtres il doit gagner sa place à la seule force de ses propres ressources. C'est une question d'honneur. Un honneur que tu lui accordes, car il est grand temps qu'il apprenne à cultiver le sien.

— En revanche, je vais t'entraîner pour que le moment venu, tu ne sois pas aussi pitoyable que Cecil le jour où il a passé ses épreuves.

Tu t'enfonces dans le canapé, le regardes avec une bonne dose d'approbation et d'envie. Tu vois ce que tu vas faire de lui et ça te réjouit. L'homme que tu devines, derrière ses yeux cernés, cet homme-là, il t'attire. Cet homme-là, tu pourrais l'aimer.

— Tu ne nous rejoindras pas en passant de justesse. Tu nous rejoindras en montrant à cette bande de fils de pute que tu n'es pas n'importe qui.

Tu poses tes mains sur ses épaules, transporté.

— Ezrael, fils de la mort, époux de la guerre.

Ça te plaît. Ça te plaît vraiment.

— Tu feras notre fierté. Ma fierté.

Tu lui dispenses une petite claque sur la joue. Professeur satisfait de voir son élève prendre la voie qu'il lui avait été destiné.

— J'ai toujours su que tu finirais par me rejoindre. Je te connais mieux que toi.

Et rien que pour voir Alyss déconfite et Simca déçue tu jubiles. Précieux t'avais pris de haut mais c'est ta victoire que tu fêtes ce soir. Tu avais parié sur Ezra il y a plus de dix ans. Ils t'ont tous traité de fou. Mais au final, tu avais raison. Ezra est comme toi. Seulement maintenant, tu n'es plus le seul à le savoir.

Lui aussi, le sait.

Midas est bien d'accord. Pour Ezra, nul traitement de faveur. Le fils de Thanos devait faire ses preuves. Qu'il soit son mari ou non n'y changeait rien. On pouvait reprocher beaucoup de choses à Midas, mais certainement pas son respect de l'honneur et des traditions. Spartes était trop grand, trop important, pour qu'on lui manque ainsi de respect.

— Hmph, tu crois même pas à ce que tu dis, chérie.

Il étira un sourire narquois et tira sur le poignet d'Ezra pour l'avoir à porter de lèvres.

— Quand tu es impertinent comme ça... C'est que tu cherches à te faire battre. Tu veux qu'on aille lutter dans la chambre à coucher ?

Son souffle s'échoua contre sa bouche. Il pourrait l'embrasser, mais Midas est tout aussi joueur qu'Ezra. Il préfère lever la tête, embrasser son front et reculer d'un pas.

— T'apprendre à te battre, sincèrement tu sais déjà. Non. T'apprendre à endurer, t'apprendre à puiser dans tes forces et trouver les ressources dont tu as besoin et tu n'as pas conscience qu'elles sont là en revanche : oui.

Il croise les bras, porte sur son mari un regard qu'il n'avait jamais porté avant.

— Je t'observe depuis longtemps, Ezra. Je sais mieux que toi de quoi tu es capable et tu es capable de beaucoup. Pourquoi tu crois que j'ai vraiment accepté de t'épouser ? Même non marié j'aurai pu continuer de te baiser.

— Rectification, Ezra. J'ai détesté qu'on me force à t'épouser.

Son sourire se fait plus gourmand, éclatant. Midas à le sourire des rois. Impertinent. Conquérant. Il est ce Jules Cesar qu'on rêve de gifler avant de se dire qu'on se damnerait pour embrasser le cuir de sa joue. Il relève le menton d'Ezra, passe un bras possessif dans le creux de ses reins et se penche vers lui, son souffle chaud contre son oreille.

— Si j'avais pu te séduire, te pousser à ramper pour te supplier de m'épouser, si j'avais pu te faire cracher que tu voulais être mien et entièrement mien : à ce moment-là j'aurai été ravi de te passer la bague au doigt. Ça aurait été... Une victoire.

Il se prend d'un rire léger, comme-ci il venait de raconter une jolie boutade. Avant de libérer Ezra, il glisse un baiser rapide sur sa tempe.

— Mais nous avons fait contre mauvaise fortune bon cœur, chéri.

Il hausse les épaules et sort du frigo une canette de pepsi qu'il tend à Ezra avant de se sortir une autre bière.

— Aujourd'hui, nous sommes forcés de constater qu'on fait une plutôt bonne équipe. Tu dépasses mes espérances. Je crois que je me suis habitué à ce mariage. Si je ne te laisserai jamais partir ce n'est plus tant pour le clan que pour moi.

Il descend sa bière bruyamment, claque le culot contre le plan de travail avant de soupirer d'aise.

— Plutôt réduire cette cité en cendre que de te voir au bras de quelqu'un d'autre. J'aime que tu sois à moi. J'aime que tu portes mon nom. J'aime que tu sois là quand bien même tu passes ton temps à te plaindre et que tu ne fais aucun effort pour me plaire. Enfin.

ll se retourne, pose sa bière avant de se glisser contre lui. Midas, glisse une main sur la hanche d'Ezra, l'autre vient chercher sa main. En balançant doucement ce bassin sur le côté il entraîne Ezra dans un espèce de slow désordonné et saccadé, coupé par le bruit de ses lèvres contre sa nuque.

— Tu es mon mari.