Oh, il allait tuer le fou qui venait gueuler dans ses oreilles de bon matin. Peut-être au couteau, mais la cuisine était un peu loin. Plus certainement à mains nues. Le sursaut prend le corps trop fort lorsqu’Isidore passe le pas de sa porte. Le soupir est violent et le grognement puissant, alors qu’il enfouit son visage dans son oreiller en gémissant. Parce qu’il a soudainement très mal au crâne, parce qu’il n’aime pas le matin et parce que, bordel, il avait la nausée et le soleil venait lui donner le mal de l’air. Marmonnement inintelligible sortant d’entre ses dents, il finit par tourner le visage vers le poids qu’il sent sur le côté de son matelas. Le visage ensoleillé de son frère lui donne envie de le jeter par la fenêtre. Remarquant qu’il le filmait, la main qui se saisit du téléphone pour l’enfouir dans le fond de ses draps est plus vive que son cerveau ne semblait l’autoriser et le petit jappement absolument ridicule. Et quand enfin les neurones se touchent pour pouvoir aligner deux mots, il grogne, joue écrasée contre son coussin et regard assassin posé sur le sourire rayonnant d’Isidore : « Je te hais. » Aucune réelle animosité dans le fond de ses mots, il bat plusieurs fois des cils en ignorant le possible blablatement de l’autre avant de finalement se redresser en se tenant la tête, ramenant ses jambes vers lui et tenant fermement sa tête qui battait trop fort entre ses mains. Les mots finissent par percuter et sa première réaction, c’est la confusion. « Quelle bonne nouv- » Ca percute. Enfin. Ça percute et Edzard grimace parce qu’il est trop tôt pour parler de la découverte de son ascendance divine. Il avait pas passé sa soirée à se noyer dans la boisson pour rien.

Mais en voyant le regard d’Isidore, il n’ose pas affirmer que honnêtement, il préférerait être orphelin. « Oh, cette bonne nouvelle… » Fake bitch smile qu’il affiche à l’image de son frère, il tourne finalement le regard vers son réveil. Midi passé. Définitivement trop tôt pour exister aujourd’hui. Mais fallait croire qu’il avait pas le choix. Se levant en posant un doigt sur la joue (honnêtement, il visait ses lèvres pour l’inciter à se la fermer), il murmure avec la voix à moitié éraillée : « Tu parles trop et j’ai une tronçonneuse dans la tête. Franchement, c’est comme si t'étais un bourdon et que je captais pas la langage. » Il se redresse, se saisit de sa bouteille d’eau et vide la moitié avant de soupirer de bonheur (la gorge moins sèche) et se laisser retomber sur son matelas. « OK. On peut parler de papa autant que tu veux. » Il n’était pas prêt et manquait d'un antidouleur pour faire taire le sang dans sa tête.

Il ne sait pas s’il doit l’applaudir ou le féliciter, Isidore, à la réalisation qu’il a quant à ses activités de la nuit précédentes. Il plisse les yeux et l’observe au travers de sa frange. Comme si les habits qu’il n’avait même pas pris la peine d’échanger pour un pyjama n’étaient pas un indice assez gros, le maquillage à demi effacé par ses couvertures aidait certainement à connecter les quelques points principaux de sa soirée. « No shit, Sherlock. » Qu’il lui dit d’une voix emplie d’humour (un peu plate, parce qu’il a la tête dans du coton). Et peut-être que pour son frère, cette occasion était véritablement une fête. Pour Anja, ç’avait été un simple prétexte pour amener son meilleur ami au fond du trou. Pour lui, c’était pour oublier les pensées néfastes qui l’avaient pris. Et ça avait fonctionné. Le temps d’une nuit. « Deuxième opt- » Se coupe en plein milieu de sa phrase parce qu’apparemment, il s’en fout et n’a même pas pitié. Très bien. Il lève les yeux au ciel parce qu’il n’est au final pas surpris : c’est bien typique du gars. « Trop gentil de te soucier de moi. » Qu’il dit, plein d’ironie. Mais franchement, il s’en fiche aussi. Il opte pour se recoucher et peut-être que si la vie était clémente, elle effacerait Isidore de sa chambre pour le laisser se reposer. Mais la vie est une pétasse. Entrouvrant les yeux, fronçant les sourcils pour observer le visage de son nouveau frère, il a la mine d’un gars pas très gentil (et pas aussi rayonnant que d’habitude). Appréciant moyennement qu’on lui écrase le visage quand son crâne le sciait en deux, il expire son haleine alcoolisée du matin dans le visage d’Isidore avec un sourire en coin un brin mauvais (se doutant d’avance du dégoût qui allait le prendre), avant de jouer à l’idiot. « Qu’est-ce que tu veux savoir même… » Mais en fait, il faisait semblant. Il avait bien une idée de ce que l’autre essayait d’extirper de lui : comment Apollon avait réclamé son fils. Soufflant par le nez et appuyant ses doigts contre ses paupières de nouveau fermées, il songe pourtant à la promesse d’aller lui chercher de quoi soulager son mal de crâne. Et l’idée le tente malgré tout bien. « Faut croire que papa aime les événements caritatifs et les gros égo. Qui aurait cru qu’il suffirait que je batte un gars à son propre challenge de merde pour qu’il décide soudainement que j’étais assez bien pour être son gosse, hein ? » Sourire un brin rayonnant qui sonne faux, il fait ensuite un mouvement de main vers l’autre comme pour l’inciter à sortir de sa chambre. « Maintenant tiens ta promesse et va me chercher tout ça. » Comme si Isidore se laissait mener par le bout du nez.

Si Ed en avait la force, peut-être qu'il aurait poussé Isidore de son lit pour qu'il se pète la gueule son parquet. Mais il aimerait vraiment bien qu'à la place, son frère se dépêche d'aller lui chercher de quoi s'hydrater et faire passer le mal de crâne qui lui scie la tête sans s'arrêter. Alors il se fait bien aimable (à peine) hôte et se contente de lui envoyer un regard blasé à son commentaire sur son conte. « Tu n'aimes jamais les meilleures des histoires, de toute façon. » Qu'il dit comme s'il s'agissait d'une évidence. Il était juste un peu aigri. Rien qui ne se guérirait par un énorme sourire. « T'avais qu'à pas te précipiter. » Qu'il grogne dans sa moustache inexistante. Le sourire attendra. Et c'est qu'il était rare de voir Edzard ne pas agir en son naturel trop heureux de vivre. Il s'en remettrait sûrement dans l'heure qui venait.

Quelques minutes de répit avant que la tornade ne revienne à l'assaut. Au moins apporte-t-elle de quoi le soulager et il marmonne un truc qui ressemble à un merci avant d'engloutir le verre et l'antidouleur. S'étalant sans grâce, aucune, sur ses draps et faisant glisser sa tête vers Isidore, les sourcils se froncent d'un air pas certain d'avoir bien entendu. Certainement qu'il lui répondrait qu'il pouvait au moins prévenir en avance, d'habitude. Mais pas cette fois. Cette fois, c'est un prétexte pour se vider le crâne (comme si Anja ne l'avait pas assez bien aidé sur ce profil là). Cette fois, il affiche un énorme sourire, déjà guérit de sa propre mauvaise humeur. « Si j'accepte, tu me paieras quelques trucs ? » Le rat. Comme s'il n'avait lui-même pas forcément les moyens de s'acheter des fringues. (L'excuse en revenait au fait qu'Isidore était certainement plus riche que lui). « En cadeau de : 'ah, je suis si heureux que tu sois mon frère' ? » Sourire Colgate tout aligné, on croirait presque qu'il était pas dans le mal quelques secondes auparavant. Comédien acté, à oublier ses propres maux pour s'afficher au devant des rideaux.