five nights at freddy's : le film. il paraissait évident pour ikal qu'il irait le voir en salle. à l'origine, il était parti du principe qu'il s'y rendrait seul et n'avait pas envisagé qu'il en soit autrement. il s'agit là de la force des habitudes, celles-là même qui le poussaient à passer des nuits entières penché sur l'écran de son ordinateur, en appel avec des inconnus dont il ne demandait jamais le prénom. il était rassuré, quelque part, par cet anonymat, dans ce qu'il avait d'abstrait et d'immatériel.
ainsi, leslie fait figure d'exception.
après plusieurs années de conversations nocturnes, il aurait peut-être fallu s'attendre à ce que les contours du réel se brouillent et se délitent. en rétrospective, ikal réalise, quoique tarvidement, que le joueur caché derrière son avatar avait bien fini par devenir son ami - et qu'il lui propose de se rencontrer, cette fois pour de vrai, n'avait plus de raison de le surprendre.

la matinée est longue. assis derrière le comptoir de la réception, ikal lit une bande-dessinée sans grande conviction. un noeud dans son estomac l'empêche de se concentrer pleinement. cette douleur sourde, ténue et familière, s'inspire de son enthousiasme et de son appréhension.
et s'il te trouve différent ? et s'il te trouve bizarre ? ou pire...
le voilà. identique à la dernière fois, lorsqu'ils se découvraient sans savoir qu'ils se connaissaient déjà. salut, un flottement. maintenant qu'ikal associe ce visage à la familiarité de leurs échanges, il le trouve un peu plus rassurant. soulagé de voir que leslie lui sourit, il se risque à lui sourire en retour, discrètement. oui, je me suis arrangé. forcément, ses affaires sont déjà prêtes. il s'en saisit rapidement, sans dire qu'il avait déjà tout préparé à l'avance, minutieusement, par impatience ou par angoisse - sûrement les deux.

quand ikal rejoint leslie devant le danaé, il s'est débarrassé de son uniforme, au profit d'une tenue qui lui ressemble davantage : une salopette rouge sur un sweatshirt jaune. merci d'avoir pris les places, c'est gentil... il hésite un peu, dans une tentative de canaliser son enthousiasme. j'avais trop envie de le voir aussi. il parle sans le regarder, les paupières baissées. ainsi abrité sous ses cils, ikal se questionne, malgré lui, sur la perception que leslie se construira de sa personne. s'il baisse la tête, c'est pour ne pas se terrer dans un silence effrayé. une sorte de compromis dans son effort. tu penses qu'ils vont respecter le lore de base ? puisque la question est insufflée d'une véritable curiosité, il n'aurait pas pu la passer sous silence. il se rappelle avoir découvert l'histoire au cours d'une soirée, passée ensemble sur l'un des jeux - et se souvient alors, malgré la peur, qu'ils se ressemblent au moins un peu.

dans les rues de new york city, le duo déambule avec un semblant de tranquillité. ikal sourit. il ne sort pas beaucoup, encore moins accompagné. il ne se rappelle pas vraiment de la dernière fois qu'il est allé au cinéma. les réponses de leslie sont reçues avec attention, il penche même un peu la tête, l'air songeur. ah, c'est vrai ? non sans une pointe de soulagement. peut-être qu'ikal serait déçu de voir que le film ne respecte pas tout à fait l'univers de l'original. c'est bien de five nights at freddy's dont il est question - ce serait mentir que de prétendre qu'il ne connait pas l'histoire dans ses moindres détails. s'ils remontent à plusieurs années déjà, les souvenirs des nuits solitaires passées devant son écran sont imprimés sur les parois de sa boîte cranienne. la sortie en elle-même n'est qu'un prétexte, il en garde une conscience ténue, animé par quelque chose de plus important, de plus vrai : l'amitié de plusieurs années, bientôt concrétisée autour d'un centre d'intérêt qu'ils ont partagé il y a déjà longtemps. au commentaire de leslie, il rit, timidement, comme s'il n'osait pas. c'est ton style ?

ikal n'a pas cessé de longer les murs pour autant. il ne faudrait pas qu'on le remarque, non, il ne devrait pas se faire remarquer. l'instinct a pris racine dans sa chair : l'enfance, reclue dans un appartement, à éviter le courroux maternel ; au camp, les larmes retenues pendant qu'arden essuyait les vestiges des brimades quotidiennes ; voilà, c'est normal, pour lui, de s'enfermer, de marcher tête baissée, imperméable aux regards d'autrui. il entend l'indignation de celui qui s'est fait bousculer sans savoir et sans en avoir l'habitude. alors il relève le menton juste à temps pour croiser le regard de l'inconnu tourné vers eux, sourcils froncés. machinalement, comme mue par un réflexe, ses doigts s'enroulent autour de l'avant-bras de leslie. laisse tomber, un conseil qui n'évoque pas d'urgence mais une certaine résignation. avance, fais pas attention. les yeux rivés sur le trottoir, ikal s'abrite derrière ses cils, détaché de toute forme de révolte : il en connait trop bien l'issue.
ah mais oui, je t'ai pas dit - comme s'il amorçait une plaisanterie maladroite, de la mauvaise manière mais surtout au mauvais moment. je suis maudit, c'est pour ça.  il l'a dit le plus naturellement possible, imaginant que cela passerait mieux. il lui semble que cela est trop concret pour eux qui ne se sont connus qu'au-travers d'un écran ; et pour une fois, l'idée de quémander la pitié lui apparait si laide qu'il s'y dérobe éperdument, habillant cette vérité d'un semblant de trivialité absurde. cette tentative n'empêche pas le silence, le sourire de travers, ou l'embarras, traître, qui le prend à l'estomac : ikal a honte.

ikal écoute leslie mais ses yeux s'attardent sans cesse sur les silhouettes étrangères qui vont et viennent. le cinéma est bondé et c'est dans une sorte de frayeur singulière qu'il reste à l'affut. la vérité c'est qu'il craint peut-être un peu la foule : il en redoute l'odeur, les mouvements, la chaleur surtout, celle des corps pressés à l'aveugle les uns contre les autres. il lui est difficile de ne pas avoir peur des autres puisqu'ils sont là et lui imposent leur présence. dans la queue pour les tickets, ikal a posé sa main dans le creux du coude de leslie. ses doigts s'accrochent timidement au tissu de sa manche. une douce chaleur enveloppe sa cage thoracique : il se sent légèrement rassuré.

ils s'avancent vers la salle du film. leslie a pris un air inquisiteur qui ne manque pas d'amuser ikal. il rit doucement. pourtant c'est pas très intéressant, juste... tu sais comment sont les parents. pas tous les parents, bien sûr, juste les leurs et tous ceux dont le sang est divin. enfin, je sais pas pour le tien. je me rends compte que tu m'as pas dit. tu peux deviner pour le mien, peut-être ? il a l'index pointé vers son propre visage, l'air de dire regarde-bien. c'est logique, après tout, il me ressemble ; ou plutôt je lui ressemble. j'ai hérité de tous ses traits les plus malsains.

ils se sont installés au dernier rang de la salle de cinéma et ikal s'est penché vers leslie pour lui rapporter le récit de sa naissance. c'est une histoire qui ne se raconte qu'en secret à l'abri de la lumière et des regards indiscrets - une histoire de fanatisme et d'hérésie, d'amour et de mort, les deux absolus et injustes comme le veulent les dieux. évidemment, il n'en dit que quelques mots, juste de quoi dépeindre la rivalité fraternelle à l'origine de la jalousie mortelle qui l'a condamné. tout ça pour conclure : je pense qu'il espérait que quelqu'un me tue ou m'offre en sacrifice plus vite que ça. je suis toujours là. il lui semble parfois que cette résilience est aussi une malédiction.
sur l'écran, les publicités commencent à peine. ikal se redresse et cherche, dans les yeux de leslie, une réaction. d'ordinaire les gens évitent de maintenir son regard et prennent l'air de vouloir être ailleurs. je n'ai pas honte. puisque c'est à l'amitié que nous prétendons, il faut que tu le saches, au cas où tu finirais toi aussi par m'en vouloir : je n'ai pas honte de susciter la haine.

à l'air faussement songeur de leslie, ikal a légèrement souri ; à sa supposition, il a d'abord froncé les sourcils avant de laisser un rire surpris s'échapper. il lui assène un petit coup sur l'épaule. le poids sur les siennes semble s'être atténué. ahah, très drôle ! ça l'est, pour de vrai. les doutes et l'appréhension de la rencontre s'évaporent : ikal saisit maintenant l'évidence de leur amitié. ainsi il ne redoute plus sa réaction et n'a plus tant de mal à renvoyer son regard. quand le film commence, il ne se préoccupe plus du monde dans la salle.

(...)

ikal plisse les yeux quand les lumières se rallument. ses sourcils froncés dessinent sur son visage une moue vaguement dubitative. sympa, oui... mais ils ont pas du tout respecté les jeux ! il fallait s'attendre à ce que cela lui importe. il esquisse tout de même un sourire et l'accompagne d'un petit geste de la main. mais je suis pas déçu, on a bien rigolé.

l'air s'est encore rafraichi. le soleil projette une lumière chaude sur les contours des bâtiments du centre-ville. il ne va pas tarder à faire nuit. ikal inspire profondément, comme soulagé d'être de retour à l'extérieur. regarde, c'est joli non ? il avance à petits pas, non sans une certaine vigilance, vers une rue qui donne sur le fleuve. il s'assoit sur un banc solitaire posé là, sur la rive. l'acier est tiède sous les rayons hivernaux. ikal relève la tête vers leslie. tu sais pour moi, mais toi ? tu m'as pas dit.

maintenant qu'ils sont au calme, là où les passants se font rares, ikal s'est un peu détendu. il a marché depuis le cinéma sans se retourner une seule fois. en laissant ainsi les regards glisser sur sa personne, il s'y est rendu plus ou moins imperméable. bien sûr, il demeure maudit ; pour sortir en ville, il faut savoir en faire abstraction.
ses pieds se balancent sous le banc. ils ne touchent pas le sol. ikal se penche en avant, concentré sur le commentaire de leslie qu'il lit avec un grand sérieux. mais oui, c'est trop ça. je sais pas si je le conseillerais à quelqu'un qui n'aime pas les jeux.

ikal apprécie la facilité avec laquelle il parvient à s'exprimer en présence de leslie. c'est tout naturel : ils se connaissent depuis longtemps. mais se connaissent-ils bien, véritablement ? il n'a pas pris de précaution en l'interrogeant et sa question se parait d'une naïveté un peu maladroite. mais la réponse vient simplement, naturellement - cela le rassure.
je sais pas, je l'ai jamais rencontré... ainsi, il lui dit évident ? pas pour moi, je ne sais rien, et c'est moins l'expression d'une vérité que d'un désir : celui d'exister en dehors de tout ça, loin des tyrans que sont leurs parents depuis les hauteurs de l'olympe. la vérité, c'est que ça m'importe peu. enfin, ça devrait. je pense qu'on aurait pu être amis, quoiqu'il arrive. enfin j'espère. il sait, en verbalisant cet espoir, que celui-ci n'est ancré dans aucune réalité - dans la vraie vie, dans sa vie, les demi-dieux sont toujours seuls parmi les humains.