explique-toi.
debout face à cecil au centre de la pièce à vivre, seraph garde les bras le long du corps, les paumes ouvertes dans un appel silencieux : celles-ci ne seront pas destructrices, il ne portera aucun coup. il n'est pas venu le chercher cette fois, n'a pas brisé sa porte d'un élan furibond et quasi-meurtrier. non, il l'a invité, presque humblement, à la discussion. voilà une singularité pour ces deux frères dont le sang partagé s'illustre dans la violence. quelque part cela fait sens : les années de rivalité qui les oppose ont habitué seraph à ne s'attendre à rien. confronté au caractère vain de leur opposition puisqu'ils étaient toujours condamnés au match nul, il avait préféré s'attarder sur la blessure faite à son égo sans reconnaître le potentiel de son adversaire - de fait, son égal. il avait tort de ne s'attendre à rien et cecil était parvenu à le surprendre.

le soleil ne passe plus par les fenêtres depuis plusieurs heures déjà, laissant l'espace habité seulement de leurs silhouettes abruptement découpées sur fond noir et rouge. décoration d'une scène faite à l'image de l'homme - spartiate. on y devine un simulacre, une caricature de soi-même, seraph presque intrus à ce lieu de vie ordinaire tant on l'imagine difficilement exister dans un espace étranger à la guerre.
pourquoi ne pas choisir ton fidèle chien, ellair, ou un membre de la milice ? étirées d'un sourire sans joie, ses lèvres aussi jouent un rôle. allez mon frère, dis-moi, pourquoi moi ? cherchait-il à provoquer, se moquer ? se réjouit-il de l'imaginer sous ses ordres ? qu'il imagine donc ! personne n'est dupe : la guerre est froide, la trêve est temporaire.  

seraph comprend tout de suite que cecil est de bonne humeur. sa réjouissance transparait sans pudeur : il se réjouit d'avoir provoqué sa stupeur, se réjouit peut-être même de leur entrevue. seraph, lui, ne se réjouit pas. sa fierté l'en empêche. il sait qu'il est question d'un poste qui ne se refuse pas. il déteste simplement que ce soit lui qui lui fasse miroiter cette opportunité de toucher le divin. que cecil s'explique donc - parfaitement immobile, seraph tend l'oreille.

ellair et moon-lee auraient été des choix plus prévisibles, il l'admet lui-même. à la mention de ces hommes pour lesquels il ne garde que du dédain, seraph lève un sourcil. tu ferais donc preuve de bon sens ? les traîtres ne méritent pas l'honneur de mourir à la guerre. son orgueil lui souffle : tu vois, il est tout naturel que tu leur prennes la place. en digne représentant d'ares, il habiterait le champ de bataille sur lequel monstres et demi-dieux se confronteront presque à égal. il se taillerait une place à vif au sommet de la chaîne alimentaire. sanctifié par le sang des créatures abattues, il s'élèverait au plus près de l'olympe et de ses habitants, deviendrait un héros ou davantage encore...

cecil retient un rire. il s'est rapproché de sorte à pénétrer dans l'ombre de seraph. seulement littéralement ; figurativement, il est bien celui qui déploie sur lui son ombre et le force à s'y tenir droit. ne me prends pas de haut, mon frère. seraph refuse de se montrer reconnaissant, considérant que faire preuve de gratitude le mettrait à genoux. il déteste être ainsi contraint à faire trêve. il rétorque : et pourquoi tu n'y vas pas toi-même alors ? puisque tu es plus apte. ce n'est pas une interrogation sincère mais rien de plus qu'un réflexe défensif de l'égo. il sait déjà qu'il représentera leur père, puisque cecil l'a voulu. mais que celui-ci n'y prenne pas trop de plaisir ! tu t'attends à ce que je t'écoute ? que je sois sous tes ordres, tout d'un coup ? doucement, calmement, tu ne veux pas qu'on soit dans la même équipe, pas pour de vrai. alors quoi ? tu sais que je vaux mieux que toi, dis-le. ou alors, tu as peur. car tu ne mérites pas non plus, cecil, l'honneur de mourir à la guerre.

à ses provocations, seraph s'est promis de ne pas réagir. si cecil a su le surprendre par sa décision, son comportement demeure parfaitement prévisible dans ce qu'il a d'odieux et d'insultant. seraph savait en l'invitant chez lui qu'il faudrait se faire violence. qu'il se contienne n'a rien d'inhabituel après tout, il l'a toujours fait - si bien qu'en présence ce de ce demi-frère, il se trouve accablé par une animosité trop longtemps réfrénée. il la sent, retranchée, le ronger au plus profond de ses entrailles. ainsi, face aux injures, il éprouve la formidable maîtrise de sa stature, droit, immobile, impassible ; et cela lui coûte, encore, de douloureux efforts. je ne fais semblant de rien. je ne crois rien. je sais ce que tu es. pas qui tu es, non, ce que tu es, dans ta nature la plus essentielle, organique et primale. arès n'a pas tout vu. s'il lui faut traquer les monstres, seraph le fera. à vrai dire, il se soucie très peu du contexte actuel et des enjeux que représente la brigade pour nausikaa. il prétendra s'en préoccuper, bien sûr, comme à son habitude. lui qui affirme ne croire en rien place une confiance éperdue en l'avenir, une confiance de l'ordre de la certitude : il triomphera. il n'y a qu'en lui-même qu'il place ses espérances. un jour, cecil ne sera plus rien. la trêve n'est que temporaire, parce qu'il le faut bien.

seraph connaît cecil et sait qu'il doit nourrir des aspirations de la même essence. il suffit de constater l'humilité factice dont il pare sa demande et qui ne lui ressemble pas.
sur sa façade jusque-là fermée se dessine un sourire désinvolte. cette soudaine mise en mouvement de sa façade parait presque étrange. puisque tu me le demandes si gentiment, je le ferai avec plaisir, mon frère. sur ce, son corps aussi s'anime : il se dirige vers la cuisine. la bouilloire, encore fumante, attend que le thé soit servi. seraph le prépare tout naturellement, le dos tourné à cecil. tu as raison, pas de mondanités, la tasse déposée précautionneusement sur la table du séjour n'est que gage d'hospitalité, accord tacite à jouer le jeu jusqu'au bout. seraph s'assoit et son regard invite son rival - et maintenant associé - à faire de même. parlons, honnêtement, d'homme à homme. il l'a nommé, lui, et cecil sait ce qu'il fait. leur sang divin, partagé, appelle unanimement à la guerre. qu'ils se mettent d'accord ! et que cecil l'éclaire sur ses plans, à l'abri des regards indiscrets.

voici les deux frères, assis ensemble, échangeant des confessions qu'arès même n'a pas le droit d'écouter ! qui aurait cru qu'ils conspireraient ainsi, à la lueur des bougies, partageant la même boisson ? cecil l'a dit, et seraph se surprend à penser comme lui : les dieux en ont vu suffisamment. face aux monstres, que sont les sang-mêlés, sinon des mortels ? des mortels marqués d'une chance exceptionnelle certes, celle d'accomplir un exploit et de toucher à la postérité. seraph ne le perd jamais de vue.
je fais ce que je dois faire.
bien sûr, le regard de cecil, qu'il sentait couler dans son dos en lui préparant le thé, lui a déplu comme d'ordinaire - qu'il en soit autrement aurait été une anomalie. les épaules droites, il s'obstine pourtant à faire preuve d'une hospitalité qui semble indiquer une trêve. alors il aurait voulu dire oui, je te méprise, mais il n'a rien dit car il sait que cela n'est pas tout-à-fait vrai. cecil lui donnerait-il tant de fil à retordre, saurait-il attiser chez lui les flammes de la colère s'il était un adversaire médiocre ?

maintenant à table avec lui, seraph l'écoute d'une oreille attentive. la gloire éternelle, mh ? écrire l'histoire... des mots qui glissent sur la langue, doux comme l'ambroisie. seraph les répète à voix basse, pensif, rien que pour s'imprégner de leur goût.
il a conscience qu'enchaîné à son orgueil, il n'a jamais été exempt d'erreur. alors, souvent occupé à l'écraser de son ego, il a sous-estimé cecil. oui, il a presque oublié ce qu'il n'aurait jamais dû ignorer : l'absence de vraie victoire, son incapacité à le piétiner pour de vrai ; son ambition, menaçante ; son esprit, redoutable. il n'oubliera plus.
c'est facile de promettre. un presque-sourire, au coin des lèvres. ah, mon frère... c'est qu'il a envie d'y croire ! et cela ne dépend que d'eux. de lui. tes alliés sont mécontents de ton choix. que vas-tu faire pour ranger notre fratrie de ton côté ?
ce n'est plus de la provocation cette fois. voilà qu'ils travaillent et conspirent ensemble. seraph parle doucement, calmement, articule avec soin en versant le thé dans une tasse qu'il fait glisser vers l'ambassadeur. et après ? j'aurais voulu que ce soit les spartes qui se chargent des monstres. il sait que cecil ne lui accordera pas la mainmise sur les opérations, mais il faut bien qu'il le dise : le clan est derrière moi. lui feras-tu honneur ?
un silence. si seraph suit cecil, les spartes suivront. il doit s'assurer qu'une telle entorse à leurs traditions belligènes en vaudra le coup.
que ne ferait-on pas pour la gloire ?
au fait, je ne te méprise pas.

il faut croire que les murs ne trembleront pas tout de suite - ils se contenteront d'écouter cet échange invraisemblable aux accents de secret. aux flatteries de cecil, seraph répond par un sourire qui ne veut rien dire. la mention d'un objectif commun lui apparaît être un trait d'esprit presque empreint d'humour cynique. il lève les sourcils, expression caricaturée de son intérêt. les enfants de la guerre trouvent souvent leur place parmi nous, c'est vrai, mais pas toi cecil. ne fais pas l'erreur de penser que je t'accorde si facilement ma confiance ; elle sera bien gardée, dispensée au goutte-à-goutte et retirée selon mon bon vouloir.

pourtant seraph n'a pas menti. ce n'est pas du mépris qui l'anime. mais qu'il est difficile d'aimer son frère ! il faudrait, pour qu'ils se tolèrent, oublier la blessure de l'ego infligée il y a plus de dix ans, au détour d'un duel sans vainqueur. le regard que lui jette cecil avant de baisser la tête parvient à le troubler. seraph y lit une surprise, un émoi qu'il partage, destabilisé de ne pas recevoir en retour l'une de ses railleries perfides. ce silence est une anomalie. dans la lutte incessante qui les oppose depuis toujours, une trêve se dessine indistinctement. il n'abandonnera pas, bien sûr, la haine dont il cultive les racines - les faux-semblants, les non-dits, les couteaux plantés dans la chair, les larmes d'arden, non, il n'oubliera rien de tout cela.
alors peut-être qu'on se comprend, au moins un peu. envers et contre tout. au-dessus de la table, seraph tend la main vers cecil. il l'invite à la serrer et d'un même geste, à conclure la naissance d'un avenir commun.