Rien ne lui échappe jamais ; c'est qu'il s'est spécialisé dans l'information, Cecil - et il les dévore comme un croquemitaine se nourrit des cauchemars d'autrui. Il avait évidemment eu vent de la confrontation entre Bellamy et Nate. Bellamy est ce qu'il est ; nombreux sont ses détracteurs à vouloir le percevoir comme le méchant de leur histoire. Mais Nate nourrissait un espoir plus subtil concernant l'ambassadeur d'Aphrodite ; qu'il se renouvelle dans sa colère et qu'il aspire à une autre vérité. Cecil aimerait pouvoir partager la sienne.

Serpent amoureux, prédateur aguerri - Cecil ne fera pas le déshonneur de considérer à nouveau Nate comme une proie. Il est comme lui.

Dans l'encadrement de son bureau, Cecil se poste, droit. Il étire un sourire - d'abord - qu'il cherche à rendre volontairement insupportable, ampli de victoire. Il suinte de suffisance par tous les pores - puis se reprend ; puise en lui de toute cette fausse humilité qu'il a su gangréner.

Nate ! Il l'appelle, cherche à capter un regard doux derrière la fureur. Ce n'est pas seulement la faute de Bellamy, tu sais. Nous sommes plusieurs à la table du conseil. De tout bord et de tout horizons.

Il tire une chaise et s'installe en face de lui. Il s'impose et refuse d'être rejeté - il ne sera plus son martyr !

Tu n'es pas venu me cracher ta morale crasse, à ma figure.

Il pose ses coudes sur le bureau et dépose son menton sur ses doigts liés.

C'est nul. J'aurai voulu que tu viennes... me voir.

Moi, moi, moi.
Dans tes pensées.

Le sourire se meurt à l'orée de ses lèvres fines. Cecil ravale le plaisir qui l'animait pour le transformer en acide - le genre d'aigreur qui se distille dans les veines et gangrène le coeur. Il écoute sagement, le visage inexpressif - trahit parfois des légères contractions de la mâchoire qu'il ne peut contrôler. Il a envie de renverser la table, de hurler sur Nate d'arrêter de lui sortir ces mensonges à tout va dès qu'une situation ne lui convient pas.

Il avait passé le plus clair de sa vie à anticiper les émotions des autres - à les analyser pour essayer de les comprendre ; de les utiliser à ses fins pour mieux les tordre à sa convenance. Mais Nate dépasse non seulement ses espérances, mais également ses prédictions. Cecil ne comprend pas. Il ne peut que mentir - Cecil n'est pas digne d'être aimé (il le savait, mais s'en est convaincu depuis qu'Arden l'a quitté) et de ce fait, Nate n'a aucune raison d'essayer.

Non.
Il tente forcément de le déstabiliser.

Cecil est à bout de souffle. Quand Nate achève sa tirade grandiloquente, le fils d'Arès hausse un sourcil. Il ouvre la bouche pour répondre, mais ne dit rien. Il attend un instant, avant de laisser échapper un rire acrimonieux.

Tu es tellement dramatique, Nate. Tu as bien failli m'avoir, encore une fois. Haha... c'est quoi ton problème ?

Il redresse le menton et ramène ses mains toujours liée au niveau de ses cuisses.

Je t'ai brisé le coeur. JE t'ai brisé le coeur ?! Sale petit vicelard.

Cecil est frustré. Il ne s'attendait pas à une attaque aussi frontale - ne s'attendait pas à avoir aussi mal.
Et ça le rend hargneux. Le fils d'Arès est un animal plus sauvage qu'il ne le veut. Quand il se sent en danger, il attaque.

Et ça ose me faire la morale, à parler de vérité. La tienne de vérité, c'est toujours celle qui t'arrange !

Il secoue la tête.

Que t'ai-je fait, si ce n'est, suivre le mouvement ? Un mouvement dont personne t'a convié. Et c'est à moi que tu en veux.

Il lui reproche de ne pas avoir cerné l'évidence :

De moi, tu aurais dû t'y attendre.

Cecil est de ces hommes qui aiment serpenter entre diverses vérités - sans jamais vraiment s'attacher à l'une d'elles en particulier. Ce qu'il déteste chez Nate van Bauer, c'est sa volonté farouche et furieuse de le forcer à en choisir une - et de l'assumer. Pour un fils de la guerre préparé à toutes les éventualités, l'une pourrait le servir mieux qu'une autre ; celle qui se révèle la plus tendre à son égard provoquera aussi sa chute.

Je ne suis pas circulaire ! qu'il proteste, agacé. Je suis cohérent ! Je l'ai toujours été. Nos idées divergent, mais ... reconnais au moins les efforts que j'ai entrepris pour me faire comprendre. Je ne peux pas être plus vrai que maintenant, face à toi.

Argh ! Les velléités de Nate à vouloir lui résister le rend fou. Il ne se sent pas complètement accueilli, pas complètement rejeté. Il est attiré par l'Amour, comme un papillon blessé se recueille sur un mur chaud pour se reposer.

Je suis venu te chercher parce que tu ne l'as pas fait. J'en ai conclu que tu étais en colère. Il demande, cherche la felûre derrière la fermeté - la brèche qu'il pourrait exploiter. Tu es en colère, n'est-ce pas ?

Il y a un monde où cette frustration vulnérable aurait pu l'exciter. Aujourd'hui, non. L'incertitude l'angoisse. Il reconnait enfin la tourmente qu'il fait subir aux autres quand il hésite, quand il sourit, quand il manipule pour arriver à ses fins.

Je pensais que nous étions réconciliés. La dernière fois, tu m'as pris dans tes bras.

Cecil masque le dégoût que lui inspire sa propre attirance. Indéniable.

Je ne te hais pas. Je ne comprends rien à ta victimisation. Il penche la tête. À défaut de notre collaboration politique, morte dans l'oeuf, je cherche ta compagnie. Est-ce mal de l'apprécier ?

Brise toi, brise toi, brise toi -
que je me glisse entre les morceaux ;
jusque dans tes bras.

La dernière fois... Nate se méprend. Cecil a toujours été un tyran, à sa propre échelle. La première fois qu'ils se sont vu, encore enfants - quand ils se sont embrassés, Cecil l'était déjà. Un tyran. Une brute cruelle qui réfléchit toujours à ses coups avant de les asséner, contrairement à ses frères. Mais il n'a jamais caché l'ambition, le désir de contrôle, le besoin d'être vu et admiré. Il n'a jamais caché ses plus sombres desseins. C'était devant leurs yeux depuis le début, alors pourquoi prétendent-ils tous ne pas avoir vu ?

Je n'ai pas vraiment menti. Mais je devais protéger cette vérité. Je n'étais pas sur que tu étais prêt à l'entendre.

Et s'il l'avait rejeté ;
et s'il avait essayé de l'en empêcher ?
Cecil ne sait pas quel scénario l'aurait le plus désavantagé.

Nous y voilà. Le corps de Cecil se tend. La voix de Nate est un doux miel qui coulent dans ses oreilles. Malgré qu'il s'approche dangereusement de son visage, Cecil est incapable de bouger - incapable de détourner le regard de sa peau laiteuse et de ses lèvres ambrées. Hypnotisé, il la ressent - cette angoisse dont Nate lui parle. Il se tend, les muscles des joues crispés dans une grimace honteuse.

Enfoiré. Ça sort tout seul ; Cecil est soumis à l'état brut de ses émotions, mise à vif par l'aura de Nate. Je la ferai mienne, et mienne seulement. L'amour le rend plus conquérant que la guerre ! Qui l'eut cru ? Je te veux, putain. C'est si dur à comprendre ? Je te veux depuis huit ans, et tu vas toujours batifoler auprès d'un autre. Ça m'énerve, ça me frustre. Je te veux et j'ai fini par te faire croire que je te haissais.

Il est à bout de souffle - la bouche est à portée mais il n'ose pas les voler.

Je te veux, je suis jaloux des autres. Arrête de leur tourner autour ! Je veux que tu ne regardes que moi.

Et il est prêt à mettre Nausikaa à sang et à feu pour qu'il ne détourne pas les yeux.

Si tu arrêtes cette folie, je t'aime.
Les mots frappent son crâne, intensément. Cecil écarquille doucement les yeux, frappé par un mal invisible. Il sait, d'habitude, quand Nate utilise son pouvoir - parce qu'aimer n'est pas naturel chez lui, pas instinctif, pas structuré. Il sait que c'est un sentiment factice et instrumentalisé pour nouer des relations fortes et une loyauté passionnel, pour nourrir ses désirs. Du désir pour lui, il en a toujours eu. Mais il n'éprouve aucune loyauté pour Nate - et sa passion pour son corps, son esprit et ses lèvres n'égale pas celle qu'il éprouve pour le pouvoir et la gloire.

Ce n'est pas comparable.
Entre une chaise et une table.
Les deux peuvent s'associer pour former une équipe merveilleuse. Pourquoi choisir ? Pourquoi le soumettre si ce n'est pour le dominer, sous une forme qui lui échappe car Cecil est totalement hypnotisé ?

De quelle folie tu parles ?

Happé par la promesse d'être enfin aimé par quelqu'un, il cherche à comprendre, à creuser. Il ne saisit pas l'ampleur que Nate place dans ses élans guerriers.

Moi, je veux que tu m'aimes pour qui je suis.

Avec le sang sur mes mains.