Assis en bordure de la plage, tu profites d'une pause bien méritée. Les derniers évènements avaient été éprouvants ; ta santé mentale avait été ébranlée. Tu avais commencé à douter, Cecil, de ce que le destin t'avait réservé. Heureusement pour votre farce commune, il avait finalement décidé de se rabattre au dernier moment - permettant une victoire écrasante sur tes détracteurs. Tu y penses encore, à gribouiller dans ton carnet le visage tuméfié par les vers de Nate van der Bauer, tu l'étriperas quand viendra l'heure.

Malheureusement pour ton heure d'accalmie, une ombre vient te gâcher le soleil. Encore, penses-tu ! Parce que c'est toujours le même et que tu vas penser qu'il te traque, à force.

Tu empêches la lumière de m'atteindre.

Tu ne fais même plus l'effort de te cacher. Tu as gagné et tu veux que tous s'en rendent compte ! Arden, leur précieuse petite Arden est de ton côté ; elle est à toi et personne ne pourra vous séparer.

Tu es sourd ? Retardé peut-être. Tu me gâches la vue.

Tu lèves finalement le menton pour daigner lui accorder un peu d'attention (qu'il ne mérite pas).

Je sais pourquoi t'es là. Tu en as mis du temps.

Tu agites nerveusement le crayon à papier, le fais glisser entre ton index et ton majeur avec dextérité. Tu fermes le carnet à notes que tu gardes plaqué sur tes cuisses.

Tu es là pour projeter ta frustration sur le fait que je sors avec Arden.

Petite pause.
Tu étires un grand sourire.

Parfait ! J'attendais que ça ! J'espère que ça t'empêche de dormir la nuit, et que tu te réveilles en transe en m'imaginant à côté d'elle. Je ne vais pas plaindre ta tourmente. C'est bien fait.

À l'entente de son insulte ; caricature te semble bien pauvre de nature. Tu perds ton sourire, le toises comme on méprise une ordure ; inspires profondément. Tu te prépares au combat sans armure. Qui en aurait besoin face à un être aussi insignifiant ? Même ses mots, hachurés et bruts, peinent à t'écorcher. Cependant, ils sont suffisamment irritants pour forcer une grimace désinvolte et mauvaise, tu plisses les paupières et glousses, pour seule réponse un rictus goguenard à l'aura niaise.

Merci.

Tu prendras ses attaques pour des compliments déguisés ; si et seulement si ça a le mérite de le déstabiliser. Abel s'érige comme une muraille imprenable, à l'ombre sous le soleil il a tout l'attirail - des pieux dévots hypocrites et crades, à l'haleine de pavots et de crabes. En somme : il n'est pas apte à te juger. Seul Arès le pourrait et ton cher père t'encourage sur la voie de la cruauté.

Menteur.

Tu t'étrangles d'un ricanement sardonique.

Moi ? Obsédé par toi ? Pourtant c'est toi qui vient me voir... encore une fois.

Il se penche et tu ne bouges pas. Tu restes néanmoins sur tes gardes, prêt à dégainer un de tes poignards s'il est assez fou pour jouer aux saints. Tu plaideras la légitime défense - Arden saura se convaincre de ton innocence. En cet instant, tu fantasmes tes mains à sa gorge ; rouler ensemble dans les dunes de sable, l'ichor rejoignant l'océan dans sa nature la plus absolue : une offrande pour ce dieu que tu es devenu.

Ah... ce n'est pas très gentil.

Tu glousses.

Elle et toi... Pour l'instant, c'est elle et moi... Et Arden m'écoute beaucoup. Je lui suis dévoué. Elle serait attristé d'apprendre que son cher ami menace allégrement de mort le garçon qu'elle a choisi.

Vu qu'il tend à t'infantiliser, tu vas jouer à l'immature. Tu le pousses brusquement pour lui faire perdre l'équilibre, ainsi qu'il tombe en arrière dans le sable. Il est beau, c'est terrible... renversé comme une statue grecque, à l'abandon dans le littoral.

Désolé, le soleil.

Le regard est mortel. Sale chien.
Tu t'en baignes.

Tu n'avais pas réfléchi. Le problème était là, inscris dans ton adn, tatoué à l'intérieur de tes paupières - les impulsions avaient assujetti ta raison. Sans y penser, hormis pour le plaisir de satisfaire ta cruauté, tu l'avais poussé dans le sable et te moquais de lui. Lui n'avait pas bougé. Tu restes alors immobile, le fixes et lui rends ses regards de haine dans une fausse accalmie. Quand il déclare de lui même que le travail n'est pas fini, c'est d'une malveillance folle et malsaine que ton regard lentement s'écarquille. Tu ne réponds rien, étires simplement un sourire dément, à l'imaginer succomber sous ta lame, allongé dans la position du cadavre. Il te facilite même la tâche. Tu le domines.

((Du moins tu t'en persuades))

Je pourrais bien, si tu me le demandes assez gentiment.

Ignores volontairement la remarque sur Arden. Tu ne le laisseras pas gagner du terrain sur ce jeu là - Arden est à toi ; qu'importe les autres du passé, son futur t'appartient, et même Abel n'y pourra rien.

Brute, dis-tu ? Je ne suis pas une brute.

Tu fronces les sourcils.

Je ne suis pas du genre à me donner en spectacle comme le reste de ma fratrie.

Tu détestes ça, cette lubie qu'ils ont tous, Seraph et Midas, à se mettre en scène dans l'arène comme des comédiens - tu préfères quand ils saignent



Quand ils craignent l'épée - quand ils crient quand ils se débattent quand ils supplient quand ils ratent quand ils meurent... lentement


LA FERME !

Tu te relèves brusquement, décoches le poignard attaché à l'un de tes bras. Le fais jouer entre tes doigts uniquement pour te calmer ; temporiser la nouvelle pulsion qui vient gratter un peu de place dans ton esprit détraqué. Tu plisses les yeux et avances, appuies un de tes pieds sur ses chevilles, et espères le maintenir au sol. Qu'il s'abrutisse à t'écouter tant que tu le forces à s'écraser.

Tu es chanceux, tu sais ? Arden t'apprécie.

Tu le toises.

Tant qu'elle a de l'affection pour toi, tu ne crains rien.

Et si tu dois le sacrifier pour t'assurer que leur relation se dégrade, tu le feras.

Mais dès lors que tu ne seras plus rien pour elle...

Tu t'assois à côté de lui et t'allonges, tête sur son torse.

Couic.

La lame du couteau pointé contre ses cotes.

Il a tout faux ! Tu ne penses pas le monde plus bête que toi - tu le penses naif, immature, effronté, mais surtout pas bête. S'il y a bien quelqu'un qui a passé sa vie à observer les autres dans l'espoir de les imiter (à la perfection) pour prétendre faire parti du troupeau. Mais ce que tu sais être c'est un loup parmi les brebis égarés et même parmi les bergers.

Tu soupires en rythme avec sa poitrine qui se soulève. Tu ne réponds pas tout de suite, ricanes d'un air sardonique lorsqu'il t'enjoint à te relever.

C'est fait exprès.

Lui rappelles que la vérité est stupide parfois quand elle s'y met.

Je n'ai pas besoin de connaitre leur coeur. Je m'en fiche un peu. C'est souvent aussi décevant que ça en est transparent. Toi, par exemple, tu...

Tu ne dis plus rien, l'oeil attiré par le mouvement incertain de sa main. Tu l'observes se faire - et qu'est-ce qu'il se fait - mal. Tu observes l'ichor foisonnant perler de sa douce main que tu saurais presser par inadvertance.

Jusqu'à ce que la plaie se referme, que l'envie devienne torture et que la jalousie ronge le coeur.
Tu avais raison ; toi aussi tu es aussi decevant que tu es transparent. Tu offres trop aux autres dans ces moments là, ta faiblesse tu l'execres.

Tu craches, acerbe.

Tu ne mérites tellement pas ce don...

Tu te retournes brusquement et tires le petit couteau rangé contre ta nuque. Tu pointes la lame sur son torse. Déchires le vêtement.

Je pourrais te saigner comme un porc que ça ne laisserait aucune trace... je pourrais te signer d'un joli C que tu n'en garderais pas les stigmates. Ce n'est pas drôle.

Tu t'emploies à le blesser, même temporairement.

Mais ça donne des idées !

Si transparent.
Si décevant.

Tu accuses le coup de poignard, déçu du manque d'intensité dans la colère provoquée. Le visage ne trahit rien d'autre qu'une lassitude béante. Décontenancé par l'absence de réaction et aucune émotion lancinante à se mettre sous la dent, tu pestes intérieurement comme un enfant insatisfait, dont le manque criant d'attention l'aurait handicapé dans son bon développement. Tu serres le manche du poignard à te faire mal aux ligaments et l'abandonnes finalement au sable qui l'engloutit sous ses montagnes miniatures - observes la peau blanchie de ta paume, maculée de stigmates et de traces. Mais la douleur aussi est absente. Tu ne ressens rien.

Tu ne sais même pas pourquoi tu fais ça. Tu détestes les adversaires qui pensent trop, et qui se donnent un genre à vouloir mettre le doigt sur l'absence de passion. Tu l'es ! Assurément ! Et il n'y a pas besoin de sens à la cruauté quand elle fait du bien. C'est tout ce qui compte. Tu ne le laisseras pas rester digne en croyant tout comprendre. Il n'y a rien à comprendre.

Je le sais bien, va.

Tu ramasses l'arme et te relèves. Les deux pieds dans les dunes, face à la mer, tu peines à rester stable.

Tu n'es pas un adversaire à ma hauteur. Je ne cherche pas à te combattre, rassure-toi.

Tu étires un rictus complaisant, que tu espères qu'il discernera, à l'ombre du soleil écrasant.

Seulement t'écorcher vif, et te voir te tordre sous la douleur. Ça me plairait, je pense... de t'entendre me supplier. D'arrêter ou de t'achever, qu'importe. Mais je prendrai davantage de plaisir à te voir bien vivant, aux côtés d'Arden - lorsque je me tiendrai à son bras.

Tu tournes les talons.

Viens manger à la maison la prochaine fois, c'est moi qui cuisinerais tu verras.

Ça sera super.