Son corps lourd et le derme coulant des arômes du sang et de la sueur le Minotaure se tient pourtant droit, droit comme si les balafres pourtant récentes qui serpentaient son corps n’avaient d’effet sur lui. Elles avaient pourtant l’effervescence de l’appeler à plus encore - ainsi le sang appelait le sang, ainsi Ashe ne pouvait se résigner à frapper plus puissamment toujours, comme s’il était né dans la violence et pour la perpétuer. Il a la force dans les poings la force dans le corps et la haine dans l’esprit, qu’il alimente par la colère ; parce que le Minotaure n’a pas toujours été au sommet, parce qu’il lui est arrivé une fois d’être chassé, plusieurs fois d’être vaincu. Il a alimenté la rage pour qu’elle soit plus dévastatrice, il a consumé ses peines pour qu’elles arrachent tout aux plus lamentables.
Vivre parmi les humains ne l’a pas rendu plus humain, mais plus vindicatif et cruel - dévastateur et promoteur de carnages. Il spéculait que le monde était en proie aux massacres et aux ruines, et il ne nécessitait rien d’autres pour être plus heureux ; parce qu’il avait déconstruit toutes ses attentes pour les gouverner dans le chaos.

Et dans tous ces carnages imminents, il y a elle. Ashe pivote vélocement lorsqu’il l’entend - comme si elle sauterait sur l’occasion pour le dévorer. Parce qu’elle était tout aussi dangereuse que lui Ashe ne sous-estimait pas ceux qui jouaient dans le même collectif que lui, si le Sphinx ne lui arrivait pas à la cheville en terme de force, c’était un être redoutable dans sa capacité à contempler de loin. Omnisciente qu’elle savait où faire persiffler les serpents pour qu’ils rongent le plus ; et ses mots résonnent en concurrence avec les vipères. Ce n’est pas pour rien que seul Œdipe ait été capable de la vaincre.

— Je tiendrais mieux ma langue si j’étais toi, Sophia. Grondement qui persiste alors que son regard vient condamner le sien - l’acculant de son mépris et de sa force naturelle ; mais à se surestimer il finira sûrement par perdre. Qu’il arrache les formalités de ses lèvres car il ne sera jamais plus enfermé, jamais plus réduit. Il a arraché ses chaînes et le voilà libre désormais ; il écrasera fermement ceux qui tenteront de le remettre à sa place. Tu veux que je t’apprenne qu’on ne vient pas railler auprès d’une bête sans laisse ? Sans chaîne, sans cage. Simplement libre ; il s’affirme Ashe, que jamais plus il ne sera ainsi réduit. S’il était né monstre alors il s’assurerait de vivre en tant que tel.

Se répéter qu’il est libre, se répéter qu’il écrasera ceux qui remettent sa place en question, condamnent sa présence en ce moment - c’est devenu si anodin qu’il n’en a plus besoin. Sa place est ici, parmi les vivants et parmi les morts ; à arracher la vie aux ignares et à répandre la mort. La froideur dans le regard du Sphinx pourtant ne le fait pas tiquer un instant, il y était habitué ; il savait toutes les méandres de ses pensées et il s’en moquait bien.

— Qu’est-ce que tu entends par là ? Va droit au but. Sacrée demande qu’on pose là au Sphinx et le Minotaure le sait, qu’elle est du genre à tourmenter les âmes aux travers des questionnements. Mais il n’est pas Oedipe, il n’a aucune patience et encore moins pour répondre à des questions qui ne font office que de venin pour alimenter sa colère. Tu remets en question ma loyauté maintenant ? Mais il n’avait jamais été question de ça, il avait toujours faim - et il était toujours gouverné par le sang gouverné par les chairs, gouverné par l’idée des carcasses qui s’entassent sur lesquels il prend place.
Ses sourcils se froncent à cette canne qui se pose sur lui ; il n’en fera rien, restera passif plus qu’enclin à la violence car ils ont le même but. Faire sombrer l’Olympe, alors le reste importe peu.

— Si je réponds juste tu te jetteras dans le vide pour crever encore une fois ? Si c’est le cas je veux bien reconsidérer la question. Pourtant, il pourrait bien se faire à un tel divertissement en persiflages ; car toi aussi Sphinx tu as été confronté à l’échec, à la mort soudaine, à l’incompréhension.

Terrifiante dans son silence et son impassibilité, voilà une certaine qualité que Ashe peut lui accorder - mais définitivement pas assez massive et trop frivole pour qu’il lui accorde plus de respect qu’il n’en faut. Les individus trop forts d’esprit lui résisteront volontiers et Ashe n’est pas assez du genre à se remettre en question pour être directement touché par ses mots - il préfère indéniablement la laisser bavarder et s’étendre en des monologues dont le sens lui est réprimandé. Ils sont nés pour dévorer, monstrueux dans leurs formes, pourquoi ainsi le lasser avec des explications vides de sens ? Pourtant quand elle affirme le trouver grossier c’est un sourire disgracieux qui s’étend sur ses lèvres, davantage un compliment qu’autre chose. Qui sont-ils, s’ils ne sont pas assez grossiers et vulgaires pour être monstrueux ?

— Me dis pas ça j’vais chialer. Sarcasme notable dans la voix ; il se doutait que le Sphinx ne s’ôterait pas la vie pour lui, et il s’en moquait. Ce n’était pas d’une mort aussi lassant comme la sienne dont il voulait - son seul intérêt était tout aussi grossier que lui, et il n’avait pour envie que de voir les viscères éclater entre ses doigts. Il avait toujours été davantage un monstre qu’un humain - bien avant même qu’on ne lui offre de la chair pour le ravir, dès la naissance il convenait à toutes les monstruosités de ce monde.

— Tu t’attends à ce que je te donne raison ? Parce que le questionnement n’a pas lieu d’être. Pourtant, le Sphinx a raison - l’appel du sang et la volonté d’être rassasié prime toujours, mais c’est ce que l’Ordre a promis de lui offrir. Tu viens me chercher ici pour m’affirmer que tu remets en question mon efficacité, comme c’est sympa. Pas vraiment en réalité - mais sa rage s’épuiserait s’il la dépensait sur elle, c’était probablement une perte de temps et une perte d’énergie, pourtant qu’il ne pouvait s’empêcher de revenir à la charge encore et encore.

— Qu’est-ce qu’on s’en tape de la discrétion du moment que les techniques sont efficaces. Peu importe de comment tu gagnes un combat tant que c’est toi le vainqueur, à la fin. Y’a rien de compliqué à ça, et ça m’a toujours bien réussi pour le moment. Bien qu’il doutait que cette technique lui fasse défaut un jour. Peu lui importait les chemins à prendre et les vies à ôter, tant qu’il finissait par avoir ce qu’il voulait.

Le Sphinx est fourbe, le Sphinx est plus intelligent que lui et il enrage de l’intérieur dès qu’elle s’évertue à lui faire entendre raison. Le Minotaure est un être borné, bien trop borné pour même un peu l’écouter ; il connaît ses défauts et les ignore fièrement, il sait ce qui le fera tomber et s’en moque éperdument. À la fin, les choses se termineront selon ses principes, et c’est tout ce qui compte. Mais quand Sophia empreinte la route de Thésée, c’est une route sinueuse que lui ne veut pas emprunter. Ses défaites, il ne les digère pas avec autant de facilité, pas comme elle. Elles lui laissent un goût amer en bouche, un goût de sang mélangé à tellement de colère. Thésée, il l’aurait dépecé si les choses avaient été différentes, il les aurait tous dépecé. C’est pour ça qu’on l’avait enfermé, car sa monstruosité était titanesque, car il faisait trembler même sa mère. Il était si puissant qu’on l’avait enfermé, c’était probablement ça.

— Si j’avais besoin de tes petits monologues j’aurais demandé un rendez-vous. Il grogne, le regard féroce mais il n’en est rien ; au final, il finira tout au pied de la liste, à mourir pour espérer être enfin complet. J’aurais tué Thésée vingt fois si les choses avaient été différentes. Mais il n’a pas accompli sa vengeance, comme celle d’après, et toutes les autres. Alors c’est le monde entier qu’il va dévorer pour cela - peut-être le Sphinx lui-même, car il n’a de comptes à rendre à personne, il les blâme tous.

Mais quand sonne la fin de sa phrase, il comprend Ashe, il comprend que le Sphinx est une vipère et que ses sifflements sont empoisonnés. Quand bien même il le voudrait, il ne pourrait s’en défaire. Et quand ses traits se froncent de son hypnose, il est déjà trop tard pour lui. Mais il la détruira un jour, elle aussi. Comme tout les autres, comme chacun d’entre eux.

Il a toujours détesté Sophia car il avait les mots qui rongeaient son cerveau comme des mites ; lui ne trouve jamais réponse, car ça ne l’intéresse pas. Il aime son éternité, il aime le sang, il aime la terreur - il ne s’en lassera jamais car il est né pour cela, alors se lasser de son existence lui paraissait bien stupide. Mais quand sa main l’effleure, il a un mouvement de recul, débecté par cette niaiserie moqueuse dont elle se sied. Peut-être l’aurait-il provoqué si seulement il le pouvait, mais loin de lui l’envie de s’attirer les foudres de Naga.

— Le fait que j’ai échoué à cette époque ne veut rien dire. Je suis plus fort désormais. Le sourire large et confiant ; il a peut-être échoué mais désormais, il est plus fort et plus grand encore. Peu importe l’impulsivité qui l’a conduit à sa mort contre Thésée, tout était dans sa force ; il était plus fort désormais, plus grand, plus destructeur. Et bientôt tu me féliciteras pour tous les Hommes que j’aurais tué. Et quand ce jour viendra, peut-être se rendra-t’elle compte qu’elle avait tort de le prendre de haut, peut-être mettra-t’elle un genoux à terre comme ils le doivent tous.

— Tu es bien la seule à te poser autant de questions, et c’est ridicule. Méditer sur le sens de leur existence, pourquoi doivent-ils dévorer, puis mourir, pour vivre à nouveau et tuer encore. Il n’y a que toi qui voit l’immortalité comme une punition. T’as qu’à t’ennuyer toute seule avec tes questions sans queues ni têtes. Figure-toi que je m’amuse vachement bien. Il rit, sourire trop confiant parce qu’il ne s’est jamais demandé comment sa vie aurait-elle été s’il n’avait pas été enfermé, s’il n’avait pas été cette créature immonde et détestable.
À ses yeux, la question n’avait sens. Lui, il dévorait ; c’était très bien ainsi, et à côté, il se divertissait de la chair qu’il consommait.

Si la force brute ne mène pas forcément à la victoire, elle est infinie et tu sais Sphinx, lui aussi il est infini - c’est sa condamnation, leur malédiction à tous, vivre encore et encore. Alors pourquoi ne pas rendre ce châtiment plus agréable ; il y a tant à détruire et à consumer, qu’il serait bien triste de ne pas faire imploser ses capacités à propager le chaos.
Dans ses orbes peinées, Ashe ne distingue qu’un ressentiment sans utilité ; un sentiment qu’il ne ressentira jamais - de la peine.

— Le conflit est constitué des centaines de petites guerres, et je les remporte déjà toutes. Le conflit, la guerre elle-même ; il n’existe pas de combat qui n’en nécessite pas de ridicules autres. Alors il va écraser et dévorer tous ceux qui se dressent face à lui, il va les dévorer et sa confiance gonflera, il va les dévorer et il implosera de puissance.
Alors qu’elle s’apprête à s’en aller, le Minotaure lui accorde un regard ; il n’a jamais compris pourquoi Diable cherchait-elle à éclairer sa voie, car ça n’est d’aucune utilité ! Il continuera à remuer les terres jusqu’à en faire jaillir le mal, jusqu’à en être ennuyé.

— Tu devrais rester pour le banquet, dans ce cas. Car il gagnera, parce qu’il gagne toujours.