La ruelle avait des allures de gouffre où les vipères s’entassent, persifflent les uns et dévorent les autres ; mais Ashe écorche les squamates, déchiquette l’écorce des reptiles pour porter leur peau morte - ainsi il se faufile dans les foules, adopte leurs formes et dévore leur chair secrètement, mais jamais bien longtemps.
Dans la nuit pourtant, leurs orbes luisent dans l’obscurité de la nuit et les plus puissants - ceux qui se situent bien au delà de la chaîne alimentaire - festoient des proies qui défilent, ignorantes de ce qui se trouve aux dessus d’elles. Dans ce côté sinistre du monde, Ashe s’engouffre toujours plus car sa faim n’est jamais assouvie ; il trouve toujours, dans un coin ou dans un autre, les visages à moitié dissimulés de ceux qui savent faire gronder sa violence. Ceux-ci s’annonçait particuliers quand il les contemplait de loin ; et à pas lent l’approche indélicate et lourde, le corps qui fredonne la mort - Ashe pourtant n’avait pas mangé depuis quelques temps.

À ses pieds pourtant, il trouve un corps qu’on lui jette - qu’on lui offre peut-être, à la manière des sacrifices qu’on lui fit fut un temps. Et contre ses lèvres, son sourire en crève la commissure ; il s’agit d’un de ses déchets gisant sur le goudron encrassé, de ceux qu’Ashe aime piétiner avant de se délecter. Si on lui livre à ses pieds, il n’a d’autre choix que de se servir ; pourtant il comprend bien assez vite que c’est bien loin d’être une offre - c’est également bien loin d’être la première fois qu’il tombe ici, et il s’est presque accoutumé à ses présences, car il a joué avec jusqu’à entièrement les dévorer, alors il a fini par les trouver bien ennuyantes, peut-être même sans saveur réelle.
Entre ses doigts ou au fond de sa gorge ; la chair qui éclatait n’était pas si plaisante que si elle était celle d’un véritable sang-mêlé. Et Dieu seul savait qu’elle était aussi rare que délicieuse. Ses orbes viennent crever les homonymes de celui qu’il perçoit depuis trop longtemps sans jamais s’approcher ; le sourire qui s’étire avant d’affreusement mourir tandis qu’il s’approche.
La ruelle se referme derrière lui, vide des présences mais derrière lui Ashe sait qu’il s’étend un immense garde manger qui ne fait que l’appeler ; pourtant ce soir, il n’est pas venu pour n’importe qui. Il n’est pas venu pour ces carcasses qui s’entassent à l’odeur nauséabonde.

— Vous avez vraiment une sale habitude. Vous autres, les demi-dieux ; de jeter les uns comme s’il n’existait pas plus fort au dessus d’eux. Comme s’ils n’avaient rien à craindre. Mais ce qu’ils craignent réellement se situe tout près d’eux ; comment pourraient-ils le savoir ? Non loin de ses pieds, Ashe admire ce corps à moitié brutalisé et défiguré qui le toise ; sans doute qu’il ne se relèvera pas de si tôt. Il faut croire que vous autres les fils d’Arès, vous avez ça dans le sang. Il s’avance, piétine sa silhouette lamentable ; ses orbes qui dans l’obscurité luisent ne se détachent pas du videur. Son nom, il le connaît sûrement ; son sang, il l’aura un jour contre les crocs mais aujourd’hui, il le veut contre sa peau.


— On ne t’a jamais appris à ne pas jeter des corps sur plus grand que soit ? Encore plus lorsqu’ils sont vivants. Car vivant, il peut les chasser lui-même ; ce qu’il veut bien plus qu’un alcoolisé c’est un corps fervent, un corps aussi fort que lui, aussi abondant d’impulsivité. Qui a l’effervescence indomptable ; et ça ne peut-être qu’un fils d’Arès.

Il a l’audace désinvolte que certains mortels n’auraient pas alors Ashe hausse un sourcil ; surpris qu’il ait aussi vite fait le point, mais surtout surpris qu’il puisse ainsi lui tenir tête. C’était probablement parce qu’il n’avait pas encore la sienne entre ses doigts ; parce qu’il s’était évertué à le laisser en vie pour mieux le contempler chaque jour. S’il en avait décidé autrement, peut-être ne serait-il même pas encore ici pour manifester de toute son impulsivité naturelle.

— J’appartiens peut-être à l’autre monde mais pourtant je me tiens devant toi. Nous ne sommes pas si différents. Ou peut-être le sommes nous étrangement - et c’est ce qui fait toute la différence. À la manière de ses mots à la hardiesse de son regard Ashe comprend pourtant bien vite que cette proie mérite tout l’intérêt qu’il lui a porté ; il ne s’est pas contenté de la dévorer, mais bel et bien de l’observer, alors comment pourrait-il être surpris de ses réactions désormais ? Rassure-toi, c’est bien loin de me déranger. À l’approche de son pas, les lèvres qui s’étirent malicieusement - il s’y ose et il le méprise ouvertement, comme s’il n’était pas si puissant qu’il le semblait. Mais finalement, peut-être le savait-il et peut-être s’en moquait-il affreusement.
Ashe ne savait dire si c’était risible ou atrocement frustrant, mais il aurait bientôt sa réponse.

— Tu n’as pas assez de vies pour me demander qui je suis. Parce que s’il le savait alors il se contenterait de l’écraser comme il l’a fait avec tous les autres ; car le Sphinx lui-même lui avait appris qu’on ne donnait pas les réponses, qu’on les arrachait par le mépris et la patience. Mais lui n’en avait aucune ; s’amuser était l’exception. Ton aisance à rire au nez de la mort me fascine. Le ton grondant et pourtant, c’est d’un air inlassable qu’il l’observe, se fait violence de ne pas propulser son corps quelques mètres plus loin pour admirer sa surprise face à sa mortalité.

— Mais ça pourrait te faire défaut. Craché presque contre son visage - à la lueur qui illumine son regard, Ashe comprend qu’il prendra bien plus de plaisir à tenir tête à celui qui le présente face à lui, après tout c’était probablement les fils d’Arès qui avait le sang le plus dévorant d’impétuosité.

À la désinvolture de ses réponses, Ashe comprend pourquoi il a patiemment attendu le meilleur moment pour venir chercher le fruit mûr. Il ne regrette pas de s’être armé de patience, car le fils d’Arès et aussi fascinant que les autres, si ce n’est plus impulsif que ses adelphes, mais c’est bien loin de lui poser problème. L’envie de le pousser plus loin encore lui prend, mais il sait que tout vient à point à qui sait attendre - bien que cette propre citation le répugne dans son impatience.

— Je reconnais bien là les mots de quelqu’un qui n’a jamais affronté la mort. À moins qu’il ne trouvait réussite dans ses échecs ? Peut-être s’était-il déjà retrouvé face à une autre de ses créatures, mais aucune d’elles n’était semblable au Minotaure, alors ce jeune demi-dieu devrait sans doute se faire à l’idée que l’horreur portait des visages différents.
À l’observer ainsi, Ashe commençait à s’amouracher de cette façon qu’il avait de sourire sans terreur, et avec bien trop de fierté - il s’imaginait le contraste horrifiant qu’il aurait s’il était en train de dépecer quelqu’un sous ses yeux, peut-être lui-même.

— Quoi, tu aimerais que je te prouve le contraire ? Le sang crépite aux extrémités de ses doigts, quémande le contact avec la chair, quémande l’extraction de sa volonté si ferme. Pourtant, il n’est pas encore assez inconscient pour faire cela ici, car loin de lui l’envie d’être repéré. Il peut maintenir sa soif, probablement pour quelques temps - mais ses poings eux quémandent la performance.

— Tu penses que j’ai un but, autre que le simple plaisir de provoquer ? Il apprécie sa naïveté, mais peut-être qu’hormis sa soif de sang et de violence, il n’en avait aucune. Mais dans ses questionnements, Ashe ressent une volonté qu’il partage - jusqu’à combien de temps lui aussi réussira-t’il à retenir ses poings ? Alors il se plaît à venir les chercher, comme s’il était invincible. L’une de ses mains s’enroule autour de son menton, comprimant ses joues d’un air ridicule pour lui offrir un regard aussi méprisant que digne de la créature sanguinaire qu’il était. La population qui s’étendait dans la ruelle s’amenuise, il était tant pour les démons de faire ce pour quoi ils étaient le plus doué. Et si tu venais me l’arracher avec tes poings ? Alors peut-être que tout serait bien plus amusant.

Son questionnement lui arrache un sourire fier ; la mort, il la connait probablement mieux que tout le monde. Probablement qu’ils la connaissent mieux que tout le monde, ceux qui n’ont que l’appel du sang comme volonté - Ashe est certain qu’il espère lui arracher des réponses ainsi, mais faire planer le doute est une possibilité pour l’empêcher de se préparer au pire. Alors se battre sera bien plus amusant, et ses réactions bien plus réjouissantes.

— Devine. Et quand il contemple les traits de sa nouvelle proie, il se réjouit de sa réponse ; c’est ce qu’il attendait, car il a été assez déçu de ses Dieux qui parlent sans jamais se battre, car il est assez déçus de ceux dont la traque n’a pas d’effet sur lui. Trop faibles, trop inutiles - mais lui ne le décevra pas, pas vrai ?
Vient le premier coup et Ashe l’accueil comme pour s’éveiller au sang, son visage fleurit quand son nez prend le coup de plein fouet. Et son sourire creuse des entailles sur son visage - pour venir s’imposer de nouveau face au sien.

— Tu n’y as pas mis toute ta force quand même ? La ton solennel, alors qu’il renvoie un coup presqu’instantanément dans son visage ; pour le moment, il n’y ira que doucement, car loin de lui l’envie de le tuer si rapidement. Il n’a pas besoin de ce pouvoir qui coule en lui pour tuer, simplement pour dévorer - seul il est capable de tout. Autant s’affirmer simple bagarreur avant de lui dévoiler la bête qui sommeille en lui - qu’il a toujours été, finalement. Allez, fils d’Arès. Ne retiens pas tes coups. Crache son sang, le regard froid - crache son sang, le regard glaçant. Il en veut plus, il en voulait toujours plus.

Voilà pourquoi Ashe a toujours aimé provoquer les fils d’Arès ; ils étaient les seuls à lui répondre par la violence qu’il leur avait promis. Et c’était suffisant pour Ashe de prendre plaisir à ce genre d’affrontement, car c’était si différent des humains sur lesquels il s’acharnait lors de ses combats - plus de force, plus de hargne.. Tout était si agréable quand on se battait d’égal à égal.
Et quand le coup vient, Ashe laisse une longueur d’avance à son assaillant - qu’il le fasse saigner, qu’il brûle sous ses coups ! C’était ce qui le motivait le plus ; l’odeur du sang; le goût de la terreur, mais lui n’avait jamais peur, qu’il se surestimait probablement trop.
Ça ne lui importait pas, il était bien trop occupé à prendre plaisir aux coups, à contempler son reflet dans les mares de sang ; celle-ci ne tarda pas et il se prit de plein fouet le coup, l’encaissant d’une banalité déconcertante. Quand son sang s’écoulait de son nez, il prit un malin plaisir à l’essuyer, le lécher comme s’il lui donnait plus envie encore de le réduire à néant.

— Tu vois quand tu veux. Lui offre un sourire sanglant, alors que son poing avancé vers lui le somme de faire de même. Présenter sa force ; s’il savait ! Ashe jubilait déjà de sa réaction quand il devrait encaisser chacune de ses charges, alors il ne perdit pas de temps pour faire gonfler ses muscles, les bras dont les muscles saillants laissaient entrevoir sa chair en arabesques. Ses jambes elles, un peu plus contractées s’assuraient qu’il atterrirait où il le désirait, c’est-à-dire face à lui.
Pour rendre le jeu plus amusant, Ashe se disait qu’il allait l’abîmer un peu ; qu’on ne le reconnaisse plus - et rapidement il s’avance, le sourire toujours. Il s’avance et le coup part aussi rapidement qu’il est arrivé - désireux de le faire valser contre le mur juste derrière lui. Ce n’était qu’un avant goût, alors il ne vise pas directement son visage mais bien son thorax ; quoi de mieux que de réserver la tête pour la fin ?

Les coups qui font écho à l’intérieur de lui envoient des décharges certaines à son esprit, l’appel du sang s’étend, condamne sa raison, hante ses mouvements. Il ne rate pas les coups qu’il lui offre ; Ashe le pourrait, mais quel plaisir prendrait-il à le voir fuir de ne pouvoir rien lui asséner ? Il se pense fort, si fort que ses muscles gonflent comme sa confiance véhémente - il se voit condamner l’enfant d’Arès de tout, peut-être lui scier les bras, peut-être tenir fièrement sa tête entre ses doigts, la chevelure dans sa poigne noyée dans le sang.

Alors qu’est-ce que quelqu’un de normal ? Il rit rouge et rit gras, alors que le coup résonne encore au creux de sa chair. Mais tu n’es pas normal non plus, fils d’Arès. C’est pour ça que suis venu te chercher. Parce qu’il a l’odeur particulière qui le distingue des normaux, parce qu’il a la force qu’on désire arracher, l’impatience de son père et le caractère brûlant que seule une volonté comme la sienne saurait extraire.

— Laisse-moi te montrer.. Sa poigne s’élève, comme si le coup ne l’empêchait pas d’être plus monstrueux à chaque fois - sa poigne s’élève pour l’attirer vers lui, attirer son corps vers lui. Peut-être qu’il le dévorera aujourd’hui, peut-être demain, peut-être plus tard, qui sait ? Ce qu’il veut c’est le terrifier assez pour écraser toute cette témérité. Et quand il arrive près de lui, attiré par son pouvoir incontestable, il le regarde un instant, plongé dans son regard alors que le sien vibre d’une aura mortifère, presque meurtrière (non en fait, elle était meurtrière, si meurtrière) ; À quel point tu n’es pas à la hauteur. Et dans un élan brutal, son visage s’étend vers l’arrière pour se projeter contre le sien - coup de tête ferme et cinglant du sien contre lui - et il le relâche alors que le coup fait résonner le grognement.
Le sang implose de son nez, il goûte à la mort - et ça lui plaît. Ça lui plaît au Minotaure et c’est le sien qu’il veut goûter, le sang d’un demi-dieu.

Les coups s’abattent comme des balles, la sentence est telle qu’elle doit être ; divine quand le sang s’écoule de son nez jusqu’à ses lèvres, qu’il lèche sans insuffisance - c’est le goût du combat, le goût de la guerre. Le coup de ceux qui se battent toute leur vie, et qui mourront en se battant.
Ashe éprouvait un intérêt bien trop spécifique à ce combat, à s’en laisser frapper - à en adorer le moindre coup comme s’il le rendait indéniablement plus fort. Puis, il avait appris à ne pas dévoiler toute sa pleine puissance pour du divertissement ; car il n’allait pas le tuer aujourd’hui, c’était impossible. Ou bien ça l’était, mais il ne valait mieux pas ; le Minotaure s’était fait à ce cher endroit.

— Quand tu verras, tu comprendras que je dis ce que je veux. Ses muscles gonflés venaient à chaque fois saisir de plus belle l’un de ses bras pour lui asséner un coup plus violent que le précédent - il se plaisait à ces fragments de violence, ces étincelles de sueur, alors il ne pouvait s’empêcher de frapper, encore et encore. Si lui semblait avoir compris une partie de son identité, il ne pouvait pas se montrer ouvertement ainsi ; il osait déjà bien à se montrer sous cette forme. Mais la traque continue toujours.

— Ta force ? Il rit gras, des éclats que seuls ceux qui connaissent la mort comprennent réellement - des éclats de rires, fragmentés par le sang et par les vivants dévorés. Il rit comme ceux qui débordent de confiance alors de son pouvoir de répulsion, il l’envoie plus violemment contre un mur avant de rompre la distance qui les sépare ; son orbe luisante posée sur lui. C’est moi qui t’ai choisi. Il crache les mots comme du venin avant de frapper une dernière fois ses jambes, s’assurant ainsi qu’il frappe assez fort pour ne pas lui donner l’occasion de se relever aussitôt.
Les petits êtres comme des fourmis s’acculaient autour d’eux, et il était hors de question pour Ashe d’attirer les regards de trop près ; sa force, son identité.. Tous deux allaient de paires, et il ne pouvait manifestement pas laisser l’appel du sang déformer cette silhouette qui semblait si humaine.

— Et je te trouverais toujours. Son regard se pose sur lui alors qu’il recule, c’est presque grogné autant que murmuré dans sa direction ; D’ici là, tâche d’être prêt. Car quand ils se reverront, il frappera plus fort. Quand ils se reverront, ça sera un massacre - une véritable boucherie.