il y avait des jours où tu semblais hors du temps, hors de toi. tu venais de sortir de chez toi, tu clignais des yeux et tu étais à l'Ecclésia, ensuite tu étais en train d’avoir une conversation avec quelqu’un - qui déjà ? -, ensuite tu te retrouvais à lire et signer des papiers et enfin la journée était finie, tu pouvais rentrer chez toi. cette sensation n’était pas nouvelle donc tu ne t’en étonne pas, mais tu te demandais tout de même qu’est ce qu’il se passait dans ces moments de blanc, mais surtout, quand est ce que ça allait finir.
en un an, plus d’un an même, on est censé aller mieux, non ?

devant la porte de la maison, tu pouvais entendre des voix de l’intérieur — une voix féminine et une enfantine. tu as failli ouvrir la porte avec toute ta force, la faisant battre contre le mur intérieur avant de courir dans le salon pour découvrir que cette voix féminine appartenait à Naomi. mais tes clés restèrent dans une main et l’autre, sur la poignée de la porte, ne bougea pas non plus. autant que tu souhaites que cette voix appartienne à Naomi, autant que tu souhaites que cette année passée ne soit qu’un mauvais rêve, la voix provenant de la maison était celle d’Heidi.
et Naomi ne reviendrait pas.

tu rentres ta clé dans la serrure, la tourne une fois avant de pousser la porte puis à nouveau la refermer derrière toi. tu as à peine le temps de rentrer que tu entends des pas de course depuis le salon, à peine le temps de déboutonner ton manteau que Hải apparaît et se jette sur toi pour te faire un câlin. Ba má ! il te serre aussi fort qu’un petit de huit ans peut, attendant toujours qu’on le prenne dans les bras, comme avant. à la place coucou mon chéri… tendre mais toujours quelque peu distant, tu passes une main dans ses cheveux tu me laisses enlever tout ça ? j’arrive. il te lâche mais t’attends tout de même dans l’entrée. tu accroches ton manteau sur un des crochets, ton écharpe par dessus, les chaussures enlevées et rangées dans un coin pour ne pas gêner la sortie - des gestes simples, réguliers, t’accrochant désespérément à cette routine - puis tu reprends ton sac en main avant de suivre Hải dans la maison.

dans le salon était assise Heidi, entourée de feuilles, de crayons, de choses diverses mais pourtant rien ne semblait chaotique, tu es sur.e que si tu lui demandais de te tendre un crayon de couleur particulier elle saurait exactement où le trouver dans ce petit désordre. tu la trouvais toujours assez imposante - pourtant vous n’aviez que treize ans de différence -, imposante et chaleureuse, elle réchauffait un peu plus cette maison de sa présence. bonsoir Heidi, tu vas bien ? tu lui adresses un léger sourire merci beaucoup pour aujourd’hui, déjà dit ce matin, comme tous les jours où elle vient donner cours à ton fils ou bien le garder, tu remercies toujours trop celleux qui te viennent en aide. tout c’est bien passé ? avant de lancer un regard vers Hải comme si tu lui adressais aussi la question.

c’est une certaine anxiété qui devenait la force motrice du petit Hải. comme son parent, il avait compris que sa maman ne reviendrait plus et pourtant quelque part il la cherche dans chaque visage, il l'attend chaque soir. avec une certaine anxiété il voyait son parent partir au travail, l’attend toute la journée - et si lui non plus ne revenait pas ? -, cette anxiété levée seulement quand iel rentre, quand il peut lae prendre dans ses bras. alors bien sûr qu’il laisse tout tomber, bien sûr qu’il court vers l’entrée à peine entend-il un tour de clé dans la serrure.

malgré tout le monde qui entoure Hải, tu étais la seule vraie maison qui lui restait, et il est dur de reconstruire une maison, surtout quand il semblait le seul à vraiment essayer. maintenant rentré.e, Hải ne te quittait pas, vous écoutais parler. ça va merci. réponse standard pour laquelle le mensonge est usuel oh, tant mieux. tu hoches rassuré.e que les choses se passent bien du côté de ton fils, que Heidi en prenait bien soin, soulageant, tu espérais, rien qu’un peu la tristesse qui rendait son coeur lourd. le petit reste silencieux, hoches la tête quand Heidi lui adresse sa question et toi, tu passes une main dans ses cheveux, ne sachant pas quoi dire. Heidi continue de parler des gâteaux pour travailler les proportions ? tu prends alors une expression plus étonnée c’est ingénieux ça… sincèrement admiratif.ve — tu étais content.e qu’elle était la tutrice de Hải, Heidi était bien meilleure pédagogue que toi. oui tu étais content.e mais en même temps tu sentais un léger mal au cœur… comme regrettant que ce ne soit pas toi ? ah... tu veux pas attendre après le dîner ? mais ta question n’aura pas de répondre car Hải avait déjà couru vers la cuisine à peine Heidi lui demande de te montrer leurs créations. tu te tournes donc vers Heidi enfin… je comptais t’inviter à rester dîner mais peut-être que vous avez dîner ? car comme le soulignait-elle, tu étais rentré tard ce soir ah… à son regard droit, tu en rends un plus trouble - de chagrin, de fatigue, pas d’embarras - j'aurais voulu rentrer plus tôt. mensonge mais tu le sais bien, c’est pas toujours simple en tant qu’ambassadeur… puis avec tout le projet des lignes de tram… des excuses, des excuses, tu avais pris trop de responsabilités car tu n’arrivais pas à faire face à cette maison du silence, à cette distance avec Hải, à son amour que tu n’arrivais plus à lui rendre, au souvenir de la vie dans cette maison, à la présence de la mort dans cette maison.
égoïste.

oh tant mieux. c’est-à-dire ? tant mieux parce que tu pouvais ainsi inviter Heidi à rester ? tant mieux car tu peux partager un moment familial avec ton fils ? tant mieux car tu ne t'effaces pas tellement de sa vie ? tu t’interroges sur ce choix de mots, mais Heidi continue, non non… enfin… tu marques une pause vu l’heure oui, si ça se reproduit c’est peut-être mieux. puis pour toi aussi… mais manger tous ensemble c’est plus sympa donc pour ce soir merci d’avoir attendu. tu admets avec un léger sourire. oh non, tu t’imposes pas vu que je proposes- presque coupé quand tu entends la deuxième partie de sa réponse. c’est vrai elle passait beaucoup de temps avec lui, plus que Arden ou Reyn même vu que c’était sa tutrice. c’est vrai que sans elle ce soir tu pourrais passer un moment avec Hải pour qu’il te raconte toutes les belles choses qu’il a appris, toutes les belles choses qui lui passent par la tête — fils de parents créatifs, il en avait des choses à inventer, à te raconter !
et pourtant tu te refuses cela.
tu lui refuses cela.

tu soutiens le regard d’Heidi, l’écoute attentivement, laisse ses mots peser sur ton esprit, peser dans le silence. tu hoches simplement la tête — bien sûr que tu réalises être utile à ton fils d’un point de vue matériel. d’un point de vue émotionnel aussi, tu avais vu Naomi faire, tu voyais les autres parents faire, mais tu avais tout de même oublié comment faire. et elle a raison, tu sais qu’elle a raison ! Hải a huit ans, déjà huit ans, cette année il en aura neuf, son deuxième anniversaire sans maman. déjà. tu sais qu’elle a raison et pourtant après que le tram soit fini… il l’est bientôt de toute façon. après je me reposerai. mais est ce que tu peux sincèrement le promettre ? est ce que tu ne vas pas trouver une autre responsabilité à prendre, un autre projet à gérer, qui te gardera jusqu’à tard à l'Ecclésia ?
tu regrettes déjà d’avoir planté ces graines d’idées dans ta tête.
plus que la tristesse, c’est le regret qui te ronge.

et sur ce le petit-bientôt-grand revient au pas de course ba má regarde les gâteaux qu’on a fait avec Heidi ! il te tends la boîte et tu t’accroupis, prenant la boîte en main, les observe en silence avant de remarquer simplement il y a des dessins dessus. mais Hải qui de toi reçoit si peu s’émerveille, se presse contre toi en te montrant les différents gâteaux. oui ! Heidi elle a fait des fleurs, et moi j’ai fais un soleil, un mouton et un chat ! les pointes de l’étoile n’étaient pas de la même longueur, le mouton ressemblait plus à un nuage et le chat avait un air du Chat de Cheshire mais même toi tu pouvais sentir qu’il y avait mit toutes ses forces et tout son amour. ils sont mignons et je suis sur.e qu’ils sont très bon, bravo… adressé à Hải, puis à Heidi, on les goûtera après le dîner, hm ? imposant ainsi égoïstement à Heidi de rester. tu veux manger quoi Heidi ? avec Hải on est deux grand.e.s indécis.e.s donc il vaut mieux que tu choisisses.

la lâcheté c’est tout ce dont tu sembles capable avec Hải. et tu essuierais déjà les mêmes échecs que Heidi si ton fils n’avait pas un cœur bon, un cœur à vouloir réparer le tien alors que tu l’évites, coupable de tant de fuite déjà. il a le cœur assez bon pour croire à la sincérité des adultes dans ces sourires et ces mots distants. il a le cœur assez bon pour rester un enfant gentil et sage, donc bien sûr qu’il s'exécute quand Heidi lui demande de ranger, chose qu’il fera avec beaucoup d’attention. et toi tu étais une personne sage aussi, donc quand Heidi dit que vous alliez réchauffer le repas, tu te diriges vers la cuisine. tu y allumes la lumière et allais chercher tout le nécessaire dans les placards et le frigo mais elle te retient.

tu espérais que les fourneaux rendrait votre discussion plus chaleureuse, malgré les regards fuyants contre ceux plus posés, les mots plus doux face à ceux plus froids. mais tu n’as pas le temps de rejoindre cette source de chaleur qu’elle reprend votre discussion. et Heidi savait faire mal de la manière la plus douce possible, provoquer ces pincements aux cœurs parce que tu savais qu’elle avait tout compris de votre dynamique de famille, parce qu’elle disait la vérité, parce qu’elle voulait aider à réchauffer cette maison mais savait pertinemment que le feu, s’était à toi de l’allumer, pas à elle. je- comment faire pour se forcer à lui dire non quand elle a raison ? comment se forcer à la retenir quand elle avait raison ? oui… sûrement… tu fixes la boîte de gâteau que tu avais en main, l’air coupable comme si elle venait de te gronder - mais tu ne lui en veux pas ! loin de toi cette idée ! -, avant de relever le regard vers elle mais comment je fais ça Heidi ? demandé avec une certaine tristesse. comment faire pour chasser cette solitude, laissant place aux rires, à la joie, à l’amour ? comment je fais pour être un bon parent à nouveau ? ou même un parent tout court ? comment faire pour aimer ton fils comme avant ? tu secoues la tête, comme réalisant ce que tu venais de dire. pardon, je ne devrais pas t’embêter avec des questions pareilles. tu vas déposer la boîte de biscuits sur le comptoir laisses moi au moins te raccompagner chez toi ? il est tard. et tu l’avais retenu trop longtemps maintenant.

sa réponse te fait hausser légèrement des sourcils, d’une part parce qu’elle t’avait quand même répondu et d’autre part parce qu’elle n’avait pas de réponse. enfin, vu qu’elle est mère… mais peut-être qu’il est mieux que trouve la réponse par toi même.

le temple d’Hestia ? tu ne caches plus ton étonnement — là c’était vraiment une réponse à laquelle tu ne t’attendais pas. tu te souviens avoir prié Héra et Ilithye, plus comme un “au cas où” car tu récitais aussi des mantras, mais aucunes de ces prières n’étaient faites dans un temple ! donc allez dans le temple d’une déesse - pratiquement chez une déesse - pour lui demander de l’aide te semblait un peu… trop ? effrayant ? tu ne sais pas trop. tu te souviens pourtant que Naomi y allait, peut-être que toutes ces années tu aurais du y aller avec elle, peut-être que si tu y étais allé- tu secoues la tête. si Naomi y allait c’est que peut-être que Hestia pourra vraiment aider ? puis si Heidi offrait de venir… d’accord. si tu viens je veux bien… essayer de lui parler. de prier ? comment ça se passe dans les temples ? tu verras bien. d’accord… mais si jamais, n'hésite pas à m'appeler. ça t'embêtait vraiment de la laisser rentrer seule à cette heure-ci donc ce n’était que la moindre des choses que tu te tiennes disponible au cas où. et oui, tu me diras quand tu es libre… pour y aller ensemble. car seul.e tu ne feras jamais de temps, seul.e il est plus dur d’avouer ses défauts et ses malheurs.

tu ne voulais pas presser Heidi mais tu ne voulais pas la retenir non plus, et vu que votre conversation semble fini signée par la promesse d’une future rencontre, Hải..! tu appelles avant de te placer à l’entrée du salon t’as fini ? on raccompagne Heidi ? ton fils relève la tête, quelques crayons à la main, visiblement ayant bientôt fini de tout bien ranger, mais Heidi reste pas manger ? étonné non… elle peut pas rester. et tu aurais juré voir son regard s'illuminer à cette nouvelle. il se relève de suite pour se placer à tes côtés en raccompagnant Heidi, en souhaitant les bonnes soirée, à bientôt, rentre bien, tu ne pouvais que penser au dîner avec Hải — que devrais-tu lui demander ? sa journée ? qu’est ce qu’il a appris ? ça ressemblait trop à une interrogation, non ? que devrais-tu lui dire ? “si tu lui accordes cinq minutes de ton temps en plus tous les jours, il sera heureux” t'avait dit Reyn. les lui accorder n’était pas le problème, le problème était de les meubler ! ah que tu jalousais la facilité d’Heidi avec les mots.