On gagne beaucoup à observer. Nul besoin d'entendre lorsqu'on peut tout simplement voir. Les mots sont explicites mais peu profonds, mais l'expression d'un visage, la posture de quelqu'un, la récurrence d'un passage, le choix d'une décoration, la couleur d'un mur, tout ceci constitue une mine d'information aussi précieuse que riche. Aussi, avais-tu observé. Observer les allées et venues, observer les visages, discrètement, à l'abri d'un châle rouge sur le crâne. Visiblement, Meryem avait repris les reines. Tu l'as vu à sa mine sérieuse. Tu n'en a pas vu d'autres, assume que certains de tes enfants et alliés n'embrassent peut-être pas avec exaltation la loyauté que tu leur voudrais. D'autres sont encore là, en revanche. Duke, pour ne citer que lui. Voilà des jours que tu attends, guette, pour te donner une idée approximative de votre situation. Tu jubiles d'avance, Echidna, de ton grand retour, des récompenses et des punitions que tu vas distribuer. Cela faisait un moment que tu avais le cœur à la hargne. Tu t'étais donné tout simplement l'occasion de laisser libre cours à tes envies.

Bien, il est temps.

Tu observes la haute silhouette d'Empousa quitter l'Archéron, attends quelques minutes. Lorsque la voie est libre, tu traverses la rue et pousses la porte de ton ancienne maison. Tu trouves la salle principale intacte. Surprenant. Tu avances, passe un doigt tout le long de bar pour le mettre ensuite à hauteur de tes yeux. Aucune poussière. Meryem fait du bon travail. Tu es incapable de te dire si cette réalisation te plaît ou non. Tes pas sont légers sur les marches. Tu retrouves avec une certaine curiosité cet antre que Naga, avait fait sienne. C'est drôle, c'est la même chose à chaque incarnation. Ces femmes sont toutes toi et pourtant elles sont elles. Tu as une pensée pour ton ancien physique, ton ancienne identité. Que ton ancienne "toi" se rassure, tu aimes tout autant qu'elle ce foyer. Arrivée en face de la porte de ton bureau, tu fronces les sourcils. Ta main reste en suspend au-dessus de la poignet. Tu sens une colère revêche monter alors que tu esquisses un sourire. Ah, ton fils adoré...

Tu ouvres la porte pour le découvrir les pieds sur ton bureau, assis comme un prince, à ta place. Tu le regardes et d'un geste de l'index tu forces son poing à s'abattre contre sa joue.

— Mon trésor, ôte tes pieds de mon bureau.

D'un autre geste, le sourire toujours pincé gravé sur tes lèvres tu le forces de son autre main à se saisir du couteau posé sur le bureau pour le plaquer contre sa gorge. Tu dois l'avouer, il est bon d'user de tes pouvoirs pour abuser ton aîné.

— Ôte-toi tout court, en fait.

Tu t'avances, le force à appuyer un peu plus la lame contre son cou. Tu retires ton châle, laisses par la même ton nouveau visage apparaître. Ton style tranche avec ce qu'il a pu être autrefois, tout en rouge, à l'image de ta colère et de tes cruelles passions.

D'un geste du doigt, tu forces la lame à s'appuyer contre sa gorge de nouveau. Tu punis son regard insolent et remplis d'une colère déplacée par le naissance d'un filet de sang coulant le long de sa nuque.

— Ce que je t'ai demandé...

Tu fronces les sourcils, met quelques secondes à te connecter aux souvenirs de ton ancienne vie. Ah. Ange. Tu tournes la tête dans le bureau, finis par hausser un sourcil.

— Pourtant je ne la vois nulle part, ma douce enfant.

Tu t'approches pour saisir par le menton ton géant de fils et lever de sa chaise.

— J'ai dit, ôte-toi.

Et d'une force commune à tous ceux de votre espèce, tu le jettes de côté pour reprendre dignement ta place sur ton siège. Tu fronces les sourcils en sentant la chaleur sous ton fessier.

— Tu manques d'éducation, Duke, Héra fait une piètre déesse de la famille et une piètre mère.

S'il était resté avec toi... Tu claques des doigts pour le libérer de ton emprise. Sans plus de mot tu viens allumer une large cigarette dont tu viens inspirer la fumée.

— Je vais réunir les autres, mais avant je voulais te parler... Tu es une déception ambulante, Duke. Tu n'a de cesse de me faire honte. Où est Ange ? Où est mon enfant préféré ? J'aimerai lui parler aussi.

Et tu insistes bien au "préféré".

Tu tapotes d'un coup sec ta cigarette contre le cendrier. Tu ne relèves pas les yeux, ton regard suit, silencieux, la cendre s'échouer au fond. Tu as pourtant bien entendu. Et tu penses, Echidna, que si Duke est incontrôlable, il est aussi cruellement franc lorsqu'il le veut bien. Ton fils ne ment pas.

Ange n'est pas apparu. Tu enregistres l'information, tempères la colère qui monte en toi. Où était-t-elle donc passée ? Mais tu enregistres, aussi, tout ce qui suit. Tu glisses un sourire qu'on pourrait croire presque amusé.

—  Voyez-vous ça.

Tu te laisses aller contre le dos de ton fauteuil, demandé, nettement plus froide.

—  Qui ?

Qui se ressemble ? Qui as la bêtise de penser que sans toi ils iront quelque part ? Tu tires une seconde bouffée de fumée avant de tapoter de nouveau.

—  Duke, vient ici.

Tu tends la main, attends que ton aîné se lève pour venir te rejoindre. Tu lui accordes le semblant d'une caresse sur sa joue avant de lui faire signe de s'asseoir prêt de toi. À genoux ou les fesses sur ton tapis, peu t'importe. Ce que tu veux, ce sont ses informations.

—  Tu as eu raison, évidemment que j'allais revenir. C'est bien, tu es malin, mon fils.

Tu songes avec amertume au peu de loyauté dans votre petit groupuscule. Il devient urgent de faire ton retour et de donner une bonne leçon à tout le monde. Les affaires doivent reprendre et le lotus se doit d'être plus soudé que jamais.

—  Dis-moi tout ce que tu sais.

Le Minotaure s'improvise Leader, Sophia a disparu, Oliver a fuit... Tu restes le regard fixé sur la porte d'entrée, comme plongée dans tes pensées. Tes ongles rouges viennent tapoter le bois de ton bureau. Sans un regard pour ton fils à genoux à tes côtés, tu glisses, plus froide.

— Donc d'après toi, deux de mes enfants se sont fait lâches et au moins un de mes collaborateurs m'a trahi.

Tu dois l'avouer, la déception t'envahit. Que des traites se trouvent dans tes rangs passent encore, mais que tes propres enfants disparaissent ? Restent passifs ? Pourtant tu leur aurais reproché de faire la guerre, mais la vérité c'est que rien de ce qu'ils n'auraient pu faire ne t'aurait satisfaite.

Soudain, un aigle fend dans les airs. Les papiers à ton bureau se soulèvent et sans que tu ne quittes ton siège, apparaît devant toi la figure bénie de ton enfant adoré. Tu te contentes de la regarder, tu ne dis rien. C'est aux enfants de faire honneur à leur parent et tu as tes propres convictions en matière de parentalité. Tu ne donnes de l'amour que quand tu en reçois. Et Ange, exulte, éclate de rire et se jette sur toi. Son corps étreint le tien. Tes longs doigts se glissent dans ses cheveux et tu caresses sa tête avec des airs bien plus harpie que maternelle.

— Mon doux enfant. Te voilà enfin.

Le chaos à envahit ton bureau, il ne peut être autrement lorsque Duke et Ange se retrouvent dans la même pièce. Tu les observes en silence, l'un et l'autre.

— Ton frère était inquiet, Ange. Parait-il que tu avais disparu en mon absence ?

Tu te lèves de ton siège, claque des doigts pour rappeler à l'ordre ta progéniture. Tu glisses une main sur la joue de ton fils, une autre sur la joue de ta fille.

— Me voilà réunie avec mes enfants chéri.

Mais le chéri est froid, impersonnel, presque qualificatif des proies que tu manges et écrases. Tu plisses légèrement le regard.

— Nous avons beaucoup à nous dire. Ton frère me faisait un résumé de ce qu'il s'est passé. Sophia et Oliver sont partis ? Et toi Ange, où étais-tu donc passée ?

Tes ongles glissent contre leur peau, tu ne résistes pas par à les laisser marquer temporairement de blanc leur joue.

— Pour qui ou quoi as-tu déserté notre foyer ?

Tu n'oublies pas Duke. Tu n'oublies pas la raison qui a conduit à tout ceci. Mais avant tu veux savoir où était ton aigle. Tu prendre conscience de ta colère et de ta rancune. Car on ne fait pas plus rancunière que toi, Echidna.

Ton aigle n'a pas idée de la portée de ses mots. Ou peut-être que si. Ange crache pelleté de mots et toi, tu en entends certains plus que d'autre. Un nid à elle, quelqu'un qui lui dit je t'aime. Tu ne dis rien, ne regardes pas Duke mais en toi se grave l'ordre suivant : tu enverras Duke découvrir se qui se cache derrière les mots de ton enfant et si ce nid et ce "je t'aime" viennent de qui que ce soit d'autres que vous... Alors tu le détruiras.

Pour l'heure, tu te contentes d'un sourire glaçant.

— Que tu es drôle, Ange.

Et c'est seulement là que tu adresses un regard à Duke.

— Je parlerai à ton frère de tout ceci, mon Ange. Mais en attendant...

Tes mains quittent la douceur de leur joue puis, sans prévenir, tu empoignes ton fils par la mâchoire pour le soulever de terre.

— Tu as ramené un demi-dieu entre nos murs et tu l'as fait au sacrifice de ta pauvre sœur. Et par je ne sais quel miracle, tu as laissé ce demi-dieu s'enfuir. Comment, Duke ? N'as-tu pas serré ces liens assez forts ?

Tu susurres, toujours souriante. À sentir ses oses contre tes doigts, tu sens une certain plaisir coupable t'envahir. Ce que tu préfères dans l'éducation des enfants, ce sont les punitions.

— Par tes petites lubies, nous sommes entrés en guerre ouverte avec les demi-dieux, certains d'entre vous on finit aux enfers et tu veux que nous passions à autre chose ?

Tu le lâches, passe un bras protecteur autour des épaules de ta chère, très chère petite.

— Je suis morte de honte, une honte dont vous, mes chers enfants, êtes à l'origine. Comment comptez-vous vous faire pardonner, hm ?

Tu glisses à l'oreille de ta fille.

— Comment ?

Un léger rire, glacial, puis soudain ton expression n'a plus rien de souriante.

— Tu m'as forcé la main Duke, ne crois pas que cette nouvelle vie m'a dotée d'une mémoire plus courte.

Tu passes tes doigts dans les cheveux d'Ange, à l'image d'un chat qu'on caresse pour s'occuper les mains.

— Alors voilà comment nous allons procéder. Décevez-moi une nouvelle fois et je m'arrange pour ne laissez de vos corps qu'un tronc que j'exposerai dans mon bureau pour le reste de l'éternité. Est-ce bien clair ?

La course de tes doigts se stoppe. En silence, tu poses sur ton aigle un regard qui oscille entre le reproche et le lointain. Dans ton esprit fuse déjà les premiers plan, l'esquisse du tableau futur de vos actions. La folie de tes deux enfants t'apporte des informations que tu te dois d'écouter, mais ne pas les voir trembler t'horripile. Tes enfants sont une extension de ton propre être. Tu les aimes car ils sont tes marionnettes.

— Laissez-moi donc en juger.

Tu retires tes doigts et les essuies sur ta robe à l'image d'une saleté dont on se débarrasse.

— Tu n'as empoisonné rien d'autre que le cœur de ta mère, Ange. Quant à toi, mon fils, je t'en prie, ne te fait pas plus pitoyable que tu ne l'es.

Tu lui fais signe d'un geste de s'éloigner de ton bureau pour reprendre place sur ton siège au milieu d'un désordre digne d'une guerre. Les bras contre les accoudoirs, tu laisses ton regard se poser sur l'un et l'autre de tes enfants avant de donner tes ordres.

— Nous allons réunir le Lotus et faire répondre de leurs actes nos amis et vos frères et sœurs. Si vous êtes sages... Peut-être vous permettrais-je d'aider maman à distribuer ses punitions.

Tu esquisses un léger sourire à l'encontre de ta fille.

— Ange, mon Ange... Je te laisse libre de tes mouvements, mais reviens-moi, d'accord ? Le cœur de maman saigne lorsque tu es loin d'elle. Tu ne voudrais pas que je t'arrache les ailes, n'est-ce pas. Va donc, je dois parler à ton frère à propos de ses... Plans.

Tu lui fais signe de sortir et lorsqu'elle a bien quitté la pièce, tu fais signe à Duke d'approcher tout près de toi et de se pencher à ton oreille. Tu lui souffles, avec toute la discrétion que les secrets exigent.

— Tu vas découvrir où était ta sœur et avec qui. Et quand ça sera fait, tu détruiras son petit nid douillet et me rapporteras la tête de la chose qui lui a dit "je t'aime".

Tu tournes lentement ton regard vers ton aîné, glisses tes doigts contre sa joue avec bien plus de tendresse que tu ne lui en a donné ces dernières années.

— Échoue et je te condamnerais à l'ennui, réussi et tu retourneras dans mes bonnes grâces, mon fils, mon aîné.