les basses sont trop fortes pour me faire plaisir ; avant j'aurais ri et j'aurais levé mon verre mais maintenant ça fait boum boum boum et j'entends le bruit des explosions des cris des hurlements et le silence aussi de ce(lleux) qui ne dira plus jamais rien
la lumière flash trop devant mes yeux ça tourne on dirait que ça tombe par terre que ça va s'éclater et casser et devenir dangereux et pourtant personne ne dit rien ne fait rien pire iels rient et iels mangent la c au lieu de le mettre devant le verbe (crient crient crient)
je regarde depuis ma table
avec mes ami-es et d'autres gens aussi
je ne suis pas en danger : avant de me tuer il faudra décimer la population de ce bar en entier
et pourtant je
reste là à regarder
observer identifier compter
au lieu de m'amuser
je pense à jun, seul chez nous
et à la promesse que j'ai faite : de danser avec celleux qui n'ont pas compris pourquoi j'avais soudainement tout annulé
iels ne doivent pas savoir, iels ne peuvent pas de toutes manières
alors je souris et je me force
parfois j'envoie la brume sur la piste à ma place
les chansons qui s'enchaînent m'agacent
les gens insouciants m'énervent
j'ai envie de rentrer mais pas de m'avouer vaincu-e, alors je vais au bar
je te vois et tu allumes l'étincelle
je tiens l'allumette en main, hésitant-e (devrais-je la souffler ou la faire tomber ?)
je m'approche, laisse la brume changer mes traits, j'espère qu'ils te plaisent
hey, la voix claire, directive (si tu savais), t'es beau. tu me paies un verre ? j'ai d'autres compliments plus recherchés à donner, en échange. prends ce que tu veux, même le moins cher. le dos au comptoir, les cheveux qui flottent après chaque mouvement, l'abdomen nu et le reste scintillant
y compris le sourire
(je te montre les dents)

non, tu m'as jamais remarqué, c'est vrai, c'est évident, tu sais pas bien voir les gens ; qui l'aurait cru ! sous ton nez pendant deux semaines et pourtant rien n'en reste, je sais que je triche et que je te veux perdant mais même ma mauvaise foi ne saurait justifier tout ça ah, je te déteste, moi je t'ai remarqué, comment pourrais-je t'oublier ? est-ce que cela te ferait plaisir, peut-être, malgré les souvenirs collés à ta face -n'est-ce pas le plus important, d'exister à travers les autres, de briller sous leurs yeux, pour mieux encore se donner, pour choisir à la volée, pour pouvoir faire finalement quelque chose, ethel est-ce que tu existes sans les autres ? alors,
pourquoi est-ce que tu ne les défends pas mieux ?
non, t'as rien compris, je te déteste, je te hais plus que n'importe qui -ah, jun, il n'ose pas, il est gentil comme ça, de manière injuste, injuste envers lui-même, parce qu'il a peur, je ne sais pas de quoi, perdre un frère comme toi ce n'est pas si grave, moi j'ai perdu tous les miens parce qu'ils ne sont rien de bien, parce qu'ils ne comprennent pas le monde comme je l'ai dans la tête, parce qu'ils n'ont aucune vision il nous manque des choses pour se comprendre mais toi, toi, toi, toi tu oses encore ? quel ego faut-il pour se tenir droit, pour vouloir être heureux, pour essayer encore ? tu aura mon prénom quand j'aurais le verre dans la main. je m'approche du comptoir, il touche le bas de mon buste, tu sais que c'est comme ça que je l'ai dragué ? j'avais rien dans le dos, il n'a pas résisté, et si t'avais été à sa place t'aurais pas résisté non plus, et rien que cette idée me dégoûte parce que mes standards étaient si bas que je t'aurais pris comme j'ai pris bien d'autres, on serait sortis de là, on aurait fini je-ne-sais-où mais sûrement pas quelque part de bien.
je dis des choses que je ne retiens pas. ce sont des mots vides, des phrases qui font du sens parce que la musique est forte et l'alcool aussi, des étincelles qui se reflètent assez sur toi pour te faire croire que tu es d'or.
le verre arrive.
je le prends, déglutis trois gorgées de suite.
et puis, je le lève, là, juste au-dessus de ta tête.
je le renverse, avant de te le lancer dessus, fort, du plus fort que je le peux, moi je veux voir le verre (la matière) droit dans ta tête, moi je veux voir si tu réagira assez vite, si cette fois-là tu sais te défendre comme par hasard, si vraiment au fond tu confirmes que tu ne penses qu'à toi qu'à toi qu'à toi et que c'est bien à ça que devrait se résumer ta vie.
mon prénom c'est solan. la brume tombe comme une robe qu'on enlève.