ma mère m'emmenait souvent me baigner. c'est là un souvenir qui n'a pas de sens : ni pour mon présent aux idées matricides, ni pour mes mensonges qui m'inventaient engendrée par gaïa, ni pour mon passé troué de tous côtés. je la voyais, pourtant ; une main pour tout reste d'une mère, d'une mer, d'un refuge, du sable.
je rêvais souvent d'elle, ces derniers temps. je ne sais pas si rêver est le bon mot. c'est en journée, et je suis bien réveillée. j'ai juste à mes côtés une main qui parfois prend la mienne.
aujourd'hui est un de ces jours. je la regarde. je me demande la couleur de ses yeux. sont-ils violets comme les miens, comme les vagues au crépuscule ? ça n'aurait pas de sens. et ses cheveux, sont-ils de la même couleur que mes feuilles ? la teinte des flammes (ah, ça n'aurait pas de sens), de l'amour (plus, probablement), du danger -celui qui m'appelle dans mon oreille. elle n'a pas cette voix-là, ma mère. celle-ci, s'en est une autre, plus ancienne ; c'est la Nature qui me parle et qui me dit : réveille-toi. elle doit se tromper. nous sommes en janvier. il n'est pas l'heure d'ouvrir mes bourgeons. elle insiste. elle me dit : prends ton arme. je la prends. elle est entre mes mains, et elle me paraît mal placée. étrange. je ne sais pas quoi en faire.
je relève les yeux. je ne vois qu'un petit tas de serpents et un lion sans crinière. c'est la nature, oui. parfois, les serpents mordent les lions. parfois, les lions mordent les humain-es. plus souvent, les serpents mordent les humain-es.
les serpents sifflent. le lion regarde. la mer revient. elle repart ensuite. les serpents se domestiquent. font mal semblants.
je crois que ça ne me regarde pas. ça ne me ferait rien, tout ça, les morsures et les probabilités. je crois que mon sang est devenu pierre, comme ces forêts de charbon après le feu. c'est pour cela -c'est pour cela que je suis encore là. érodée par le vent, le temps.
c'est un anachronisme. ma mère me prend par la main. nous descendons. elle me donne, à travers mes doigts, les cailloux qu'elle trouve jolis. je les garde dans mes poches. je les mettrais au pied de mon arbre. comme ça, je me rappellerai d'elle, toujours. la vague est fraîche. cela fait longtemps -combien de temps ? je ne sais plus. je ne veux plus mourir par le feu. alors, éteignons-le. je marche. le sable est désagréable, il y a plus de roche que de douceur. ce n'est pas grave. au bout du chemin, il y aura son château. je pourrais m'y reposer. enfin, depuis tant de temps, me reposer.

c'est ainsi, voilà : la mer me reprendra. je l'ai dit, à tout le monde ! personne ne m'a écouté. personne ne m'en a jamais protégée. personne ne m'en a sauvée.
l'eau monte. elle monte parce que les glaciers fondent, et parce que je m'enfonce. les choses sont ainsi. je sens le vent. il me dispersera dans le tout du monde. je serai plus que je n'ai jamais été. c'est étrange, que d'y penser -pourtant, je sais ! je sais les cadavres dont mes racines se nourrissaient, je sais les mortes que devenaient mes feuilles. c'est différent. cette fois-ci, je ne pourrais pas voir quelle vie j'aiderais.
j'espère aucune. iels ne méritent pas cette terre. et moi, je ne mérite pas la mer.
les mots du témoin n'atteignent pas l'assassin, et les mots de l'assassin n'atteignent pas la victime. tu peux me dire tout ce que tu veux. ça ne changerait rien à ma vie -ah ! je suis aussi vieille que ta mère, et la mer fait peur, je le sais, mais toi tu ne le sais pas encore -tu vas voir. je te le dis : tu vas voir.
je ne suis pas prophète. je ne t'en dis rien, alors. peut-être que je te regarde. je ne sais plus. j'aurais aimé dire : laisse-moi ma dignité, j'y marcherai seule. mais je l'ai arrachée il y a longtemps, je l'ai bien mérité. j'entends les Parques rire. je ferme les yeux. allez ! qu'on en finisse.
le ressac est bruyant. je ne laisse passer aucun râle.
tu n’avais pas besoin de percer mon coeur. j’aimerais -j’aurais aimé qu’il reste entier. c’est, je crois, ce qui m’a toujours caractérisée. tant pis. je t'ai laissé le choix, après tout. mais maintenant, laisse-moi. laisse-moi à la mer.
l'eau monte. elle viendra me chercher. j'ai fait tout ce que j'ai pu, pendant trop longtemps. je n'ai pas de regrets. elle vient me chercher. je n'ai pas de regrets. le sel entre dans ma bouche. il nous tue aussi. je n'ai pas de regrets ! je l'ai bien mérité.
les vagues s’abattent, un arbre craque, un fil se coupe.