Il regarde sa montre, elle ne devrait plus tarder. Dans les dernières secondes qui précèdent leur échange, il repasse en revue les mots avec lesquels il va la manipuler. Il sait pourquoi elle vient, c'est évident. Il sait ce qu'il doit répondre, ça aussi, c'est évident. La question, c'est sur quel ton, avec quel sourire. Parce que Bellamy ne veut pas d'Angela chez les grands, non. Bellamy veut Angela ailleurs, là où elle servira pleinement ses intérêts.

Il tapote le bois de son bureau en captant, dans le couloir, les sons d'un cœur. Il balaie rapidement son antre du regard, impersonnel, rangé et propre avec ses airs de décorum du bon espace de travail et ses allures de photo d'un magazine d’ameublement. C'est parfait. C'est comme ça qu'il l'aime. Quand tout est à sa place. À sa juste place. Soudain on toc à la porte. Il se lève, replace sa veste de costume correctement.

Entre Angela. Il la dévisage, droit comme un piquet, avant de lui désigner le siège faisant face à son bureau. Prends place, je t'en prie.

Il attend qu'elle s’assoie pour faire de même. Ses jambes croisées, les mains jointes, ses coudes en appui sur les accoudoirs de son fauteuil, il étire un sourit.

Tu ne m'as pas encore tué ou insulté, j'en déduis donc que tu ne me gardes pas rancune de t'avoir trahie. En est-il de même pour Cecil et Tau ? Il est curieux de jauger ses sentiments à l’égard de ses deux comparses, juste pour savoir.Prends bonne note que j'ai néanmoins tenu mes promesses. Les égarés ne sont plus. Quant aux Olympien, j'ose espérer que contrairement à d'autres, tu as vu la nécessité de notre entreprise. Tout ceci ne pouvait plus durer. Je suppose que si tu n'es pas venue pour me violenter, c'est que tu souhaites nous rejoindre ? Pourquoi ?

Non, en effet, c'est bien là une de tes qualités.

Il étire un sourire, il apprécie son style. Direct, sans fioriture, sans malice. Des faits. Juste des faits. C'est si rare depuis des mois qu'il en a perdu l'habitude, qu'il a oubliée que l'humain peut être aussi comme ça. Franc. Sans détour. Il se laisse un peu plus adossé à son siège. L'analyse qu'elle se permet sur les Olympien est on ne peut plus pertinente.

Une famille, hm ? Il lève les yeux vers le plafond. Il ne ressent pas de nostalgie particulière envers son ancien groupe. En vérité, ce qui prédomine chez lui quand on évoque les Olympiens, c'est la déception. Je ne m'excuserai pas de ce que j'ai fait, bien que ça t'importe visiblement peu. J'aurai dû, d'ailleurs, faire tout ceci bien plus tôt.

Il se redresse un peu sur son siège. Ses réflexions n'ont plus lieu d'être. Il écoute attentivement Angela, loin d'être choqué par ses révélations, il approuve sa transparence. Vouloir le pouvoir. Vouloir la force. Il comprend. Quoi de plus naturel ? D'un hochement de tête, il ponctue, en silence, de temps à autre, son discours. Il commence à voir où l'emmener. Angela voulait se ranger du côté des plus forts ? Très bien.

Pas tant que des monstres menaceront nos existences, soit en certaines. Il tire un des tiroirs de son bureau pour en sortir son paquet de cigarette. Il en allume une, en propose une autre à Angela par politesse avant de ranger le tout. Je respecte ta position et crois-le ou non, tu nous serais.. Non, me serais très utile. dit il en gagnant la fenêtre qu'il ouvre légèrement pour tirer une première bouffée. Mais pas en tant que membre des Grands.

Il se tourne vers elle, les coudes en appui sur le rebord de la fenêtre. Son regard passe sur elle, il ne voit aucune raison de lui mentir.

Nous ne tirerons aucun avantage de t'avoir officiellement parmi-nous. Tu as encore des contacts avec les ex-Olympiens et égarés ? Oui ? Alors j'ai du travail pour toi.

Il glisse sa cigarette entre ses doigts et en tapote le bout dans le vide pour y faire tomber la cendre.

J'ai besoin d'une paire d'yeux et d'oreilles à l'extérieur. Il y a des rumeurs, certains demi-dieux se rassemblent sous une même bannière. L'étendue de ce mouvement et ses objectifs nous sont encore flous, mais l'heure est grave et je ne veux pas prendre le risque de nouvelles dissensions au sein de la cité. Alors je veux étouffer toute tentative de saper notre pouvoir dans l’œuf. Pour ça, j'ai besoin d'une espionne.

Il la pointe du doigt.

Tu es cette espionne.

Je n'oublie pas mes amis, Angela enfin, il n'oublie pas ceux qui lui restent fidèles, ceux qui savent rester utiles, ceux qui savent l'approuver. Il y a une époque où il en avait des tas, d'amis, Bellamy. Une époque où il avait frères et des sœurs de cœurs. Une époque, où les camarades de la colonie étaient devenues des vrais soutient dans la vie d'adulte. Maintenant, il se demande. Depuis combien de mois n'a-t-il plus parlé à ces gens, autrefois tout ? Avait-il seulement encore une seule de ces personnes pour lui ? Lui qui avait écarté Diane pour ne pas avoir à se montrer courageux, pour ne pas avoir à assumer que ses choix déçoivent et inquiètent. Parce qu'il ne peut pas, Bell, se tromper. Il ne peut pas, pas vrai ? Alors à Angela, il sourit. Oui, froisser les ego était uns des prix à payer pour notre coup d'état.

Il note cependant qu'Angela a déjà quelques échos. Ainsi donc les rumeurs disent vrai. Une fois encore l'harmonie ne règne pas à Nausikaa. C'était à prévoir. Ça ne lui fait plus rien. En enfermant et condamnant à mort Précieux, il a décidé que si ce n'était par les mots qu'il unifierait, ce serait par la force.

Une proposition ?

Il écoute. Il s'attend à ce qu'elle pose sur la table des conditions. Mais Angela surprend. En haussant un sourcil, il s'enfonce de nouveau dans son siège.

Une promesse sur le styx, rien que ça. C'est donnant donnant. Très bien. Mais je me charge de la formulation. Il réfléchit quelques secondes avant de poursuivre. Que dirais-tu de : Nul ne sera trahi tant que l'autre nous est utile ?

Il plisse légèrement les yeux, jauge qui, à ce jeu, sera le premier à perdre.

J'ai l'intention de mettre un terme à la tyrannie des monstres et d'offrir à notre peuple de vivre dans un monde libéré où chacun aura l'opportunité de vivre normalement comme les gens de l'extérieur. Quand ce sera chose faite, ce que choisiront d'en faire les nôtres ne sera plus mon affaire. Une fois que nous aurons réussi, je me retirerait prendre un repos bien mérité. Ce jour-là, je veillerai personnellement à ce que tu ne manques pas de pouvoir et d'influence. Cela te va ?