je ne pensais pas que les fleuristes auraient déjà du mimosa. sur les perrons et sous les stores, derrière les vitrines et dedans les paniers d'osier, les bouquets éclosent et embaument le souillon des voitures et de l'asphalte habillé plastique et cartons. et leur jaune de soleil précoce dans cette grisaille de malheur me donne des envies de voyages. demain je prendrai la route, je décide - et mes pas battent le pavé plus légers. demain j'irais voir les canyons des zones arides du nord. demain, oui, je changerai d'air et pour quelques jours respirerai ton nom, liberté. mais là, maintenant, je vais m'acheter un bout du soleil qui parfume.

un garçon a le droit de s'offrir des fleurs. c'est ce que jimmy disait. et jimmy dit vrai.

à l'angle de la septième, quand tu tournes sur la droite, t'as la ruelle des bookworms. c'est comme ça que je l'appelle. parce que sur les dix commerces qui s'y épanouissent, il y'a six librairies. et juste à côté de celle qui se spécialise dans les écrits religieux et spirituels, là où les vieux poussent les jeunes et les jeunes désespèrent de leurs vieux, il y'a la trattoria de luigi. à peine bavarde de couleurs, elle a des airs de tabac-presse texan. sa peinture est d'un bleu désuet qui crépite sous le poids des affiches promo', et les geraniums accrochés à ses fenêtres sont seuls témoins qu'entre ces murs, il y'a de la vie.

j'y vais, parce que chez luigi, on y mange les meilleures focaccias. j'y vais aussi - et surtout - parce que chez luigi, y'a gino. gino, c'est le gars qui fait la plonge, celui qui roule les r quand il est content et qu'il te parle la sicile comme on chante une prière. gino n'est pas sicilien. il se déguise un personnage, parce que c'est classe un sicilien, comme ceux dans les films de scorcese. gino, p'têt il est algérien. ou irlandais. il est un peu d'tout, si on l'écoute bien. gino, c'est le mec que j'essaye de me taper depuis deux semaines. sauf que gino, il est jamais dispo. toujours occupé, toujours accompagné. aujourd'hui, c'est ma chance. à l'heure là, il devrait être en pause. j'y crois. gino, s'il m'envoie pas au septième ciel à l'étage dans l'heure qui suit, j'abandonnerai les foccacias pour des pitas !

quand je rentre, la clochette de la porte roucoule et le vieux luigi derrière son comptoir, avec son tablier tout fariné et sa moustache de broussaille, il me salue de la main l'air de dire, pas de connerie petit gars ! tiens toi tranquille ! il n'y a pas foule je constate quand je passe entre les tables et ricanne de fierté, mon bouquet comme un drapeau qu'attire les regards jaloux de la blonde aux gros seins sur ma gauche. pas d'ma faute si son gars n'sait pas que c'est la saison du mimosa ! p'têt même qu'il lui a jamais acheté de fleurs.

je dépasse sa table au ralentis, curieux d'un oeil de voir le supposé goujat. oh. toi ! l'exclamation suspendue aux lippes. sans gêne, je tire une chaise et m'installe en leur compagnie. ah ça, la blonde, elle aime pas. même qu'elle fait la moue morue à monsieur dis quelque chose ! toi ! je répète parce que ton nom, mon pauvre, il est brouillon dans la mémoire. waaa mais p'tin, t'as mangé tout un sephora ou t'as fais une cure de jouvence ? la dernière fois que j't'ai vu, une serpillère sur le trottoir ou un homme - ah, ça, on aurait su dire ! le sourire est franc, la joie sincère. combien de temps ça fait ? depuis cette étrange rencontre, ce curieux jour où, seuls savent les dieux pourquoi, ta route a croisé la mienne...

à l'image d'un misérable qu'attend sa potence, la peau du mort déjà sur les os et les yeux lassés d'eux-mêmes, tu gisais sur ce bout de ruelle comme on laisse aux rats un morceau de pain. je me rappelle la bile à l'estomac, la sueur froide aux tempes, la gorge lourde et mes mains moites - ton tableau comme un monstre m'invitant à fuir. mais non. j'étais resté. fuir les monstres, après tout, c'est pour les gens biens. j'en suis pas. je suis resté par pitié crasse, et p'têt aussi parce que j'm'étais dis que t'avais pas besoin qu'on te fuit. p'têt même qu'on te fuyait de trop, ou que tu t'fuyais toi même et que c'est pour ça que t'en étais arrivé là. ça me connais les fuites alors... alors j'étais resté.

tu te souviens de moi ? je veux demander. mais déjà les mots se mélangent, la joie trop grande pour une bouche trop petite. t'as plus rien du misérable, t'as tout d'un dandy. de ceux des magazines avec les stars et les belles voitures. ça fait trop plaisir ! trop ! ça se célèbre moi j'dis ! je t'invite ! ou tu peux m'inviter... tu veux les fleurs ? tu mérites des fleurs ! ah ! vraiment, vraiment ! ça me fou la pêche ! t'es vivant ! t'es beau en plus ! beau et vivant ! ça dérange pas ta blonde si je reste ? si ? non, quand même ! ça te dérange, je dis et je la regarde, elle et son minois bourgeois pincé si ça te dérange, c'est tout pareil. hors de question que je passe ma chance ! je veux qu'on cause toi et moi, quand je me retourne vers toi, mon miraculé. c'est le destin !  j'y crois pas au destin, mais si je devais y croire alors oui, c'est lui !

franchement, je ne comprends pas ce que les hommes trouvent aux blondes. je veux dire — tout le tralala du glamour à la marilyn monroe, ça me dépasse. quand je vois des types s'acoquiner avec des blondes, sans compter que toutes, ou quasi, ont des seins rivalisant avec un étalage de melons du mois d'août, la première chose qui me vient à l'esprit, c'est : ces types aiment jouer à la poupée. ouais, sans doute que c'est ça. gosses, ils refoulaient ces penchants qu'auraient ternis la masculinité qu'on leur souhaite et, une fois la quarantaine passée, histoire de se dire qu'ils ont encore tous leurs charmes adolescents — et tout le pouvoir d'un homme, d'un vrai — s'assument alors éhontément ces désirs vicieux. ok, je digresse. mais, je veux dire — toi, alastor — parce que, oui, enfin, je le remets ton nom — et quel nom d'ailleurs ?! attend, qui s'appelle alastor de nos jours ? à part les serial killers des thrillers oscarisés qu'un nolan ou qu'un fincher aurait scénarisé — ou ces grands hommes qu'ont marqués l'histoire au cours d'une guerre et soudain, on romantise jusqu'au plus banal jour de leur vie... putain, altair, tu digresses encore ! oui donc, toi, là, alastor — toi que je regarde et merde, vraiment, t'es beau, t'es classe, t'es vivant - les blondes, c'est ton truc ? t'es entrain de me dire que tu fais partie de ces hommes aux névroses pathétiques qui se veulent une barbie faute d'un sérum anti-âge ? non. j'y crois pas.

wow, wow, wow ! j'suis pas là pour causer du grabuge, voyons ! je dis, l'air un brin pincé pour dégager mon bras des tentatives de contrôle du fils de luigi. tu sais, alastor, j'ai capté : ma vue, c'est très certainement pas celle que tu t'espérais savourer par-dessus ton plat, et encore moins au détour de ton verre de vin. n'empêche que, crois-le ou non — et en dépit de ton irritation plus palpable dans l'air que le parfum capiteux de ta pseudo marilyn — impossible de  me défaire de cette curieuse joie de te retrouver. sans doute suis-je idiot, voir carrément sérieusement suicidaire. parce que, oui, ok, ton allure, c'est pas celle d'un métro-boulot-dodo gentillet bonhomme. toi, ta routine, je parie qu'elle implique de se salir les mains carmin. déguerpir ? non. j'ai l'intention de rester, j'affirme en prenant une chaise - tu l'as si gentiment proposé - flanqué d'un sourire à moitié chaud, à moitié railleur. et arrête un peu le bagou de la dette ! t'as rien à me rembourser, alastor. je repose ma tête dans une main, tout indolent de t'observer comme on s'observe la gravure énigmatique d'un manuscrit précieux. dire ton nom, ça sonne bien. j'aime bien ton nom. je suis juste heureux - et c'est sincère - de te voir aussi bien portant. ça mérite d'être célébré ! si tu veux que je te fiche la paix... mh... ouais, oui - accepte qu'on te célèbre en vivant ! et le voilà repeint de facétie, mon sourire, prêt à défier tout bon sens et tout instinct de survie, pourvu que tu veuilles bien m'accepter un peu à tes côtés. une heure, deux - trois au grand max ! je sais, je sais - je suis gourmand. et encore une fois, oui, sans doute idiot, et suicidaire, et tout ce que tu veux !

champagne ! un magnum ! presto, presto ! j'ordonne à l'attention du serveur. le pauvre est en sueur. ça ne peut pas être moi qui leur fait peur, à tous — car tous, ici, semblent un soupçon au-delà du seuil de nervosité lambda. t'es le croquemitaine ou ? alastor, je vise juste hein ? t'es pas quelqu'un dont on souhaite le courroux... tant mieux ! les hommes comme toi, je les admire. un peu. beaucoup. t'as pas de mal à faire un doigt d'honneur à la vie si elle ose te faire chier. je t'envie. un peu. beaucoup. vu que ta charmante dame a pas l'air archi enjouée, je la regarde — et si elle pouvait me trucider sur place avec ses cils mascara dior, elle le ferait. je la regarde, disais-je, la toise même, puis arque un sourcil effronté. je peux aussi... ouais... trinquer, boire une coupe, puis sortir pour t'attendre dehors. j'ai un minimum de manières. ah bon ? non. je comprends surtout, à retardement et pardon d'être aussi lent, que l'idée de t'attirer des emmerdes est davantage ennuyeuse à mon goût que l'idée de m'en attirer à moi. j'ai trop besoin de te parler, de te questionner - ce que je ne saurais m'expliquer (pardon, pardon, pardon) ; une opportunité impromptue et qui ne se représentera pas, j'en suis certain — alors ok, ok, ok... à présent que je suis calmé, je conçois de faire tache. je conçois que ton date te fera des commentaires salés si je persiste à empoisonner son champ de vision. je conçois que l'assemblée de clients alentours t'affligeront de messes basses crasses si je m'attarde la dégaine dans leur petite bulle proprette. ou alors... ou alors tu me gardes un peu de champ' pour plus tard et... je sors de suite ? t'attendre ? oui ? c'est mieux ? ce serait mieux ? ah altair, sale abruti !

je me frotte l'arrière du crâne et c'est bizarre, c'est très bizarre — d'attendre ton aval pour bouger, pour m'exécuter. ou t'es réellement le croquemitaine et mon instinct de survie kicks in enfin, ou t'as une part de divin qu'incite à ce qu'on veuille lui plaire à tout prix.

je ne sais pas. les deux peut-être ?