au-delà le carreau sans tain c’est le palais de la poisse perdante, paradoxalement chic ; toute une salle classieuse au sol tapissé rouge sur lequel il s’aligne des rangées de machines - bandit manchot criardes et menteuses qui clignotent : tirez un triple sept et touchez le jackpot ! - partout ! partout la belle promesse du pactole facile que ce soit aux écrans ou dessus les grands tables, jolies d’un velours vert, où les croupiers manient des jetons et des cartes quand ils ne tournent pas les roulettes à l'anglaise. trente-six chances sur trente-sept de s’y paumer la mise ! moins que ça si l’on parie plutôt des couleurs - quand même, la ruine prévaut - ah d’ailleurs un idiot pousse une plainte soudain tellement dépité que lui l’entend d’ici.

debout là derrière la vitre à sens unique, Lazare observe un peu la tête fâchée du type. il se dit c’est marrant - et triste en même temps - cette manie de bonhommes à se croire veinards, invincibles dès lors qu’ils vont au casino avec une blonde au bras comme un porte-bonheur. il se dit c’est terrible pour la blonde en question parce qu’elle avait pourtant soufflé sur la bille blanche - bien souhaité la fortune - et malgré tout l’effort son mec est un loser. il se dit - à lui-même, mais il aurait la blonde en face il lui dirait - ah mais mon cœur, vraiment, laisse-le tomber et vite ! une blonde comme toi mérite mieux qu’un flambeur comme lui.

enfin, il ne dit rien. de toute façon le type et sa blonde s’en vont tandis que lui demeure dans ce lieu de voyeur, la pièce comme un salon coupé du monde-là, quasi-feutrée tant elle filtre les sons extérieurs. Jasmin l’y avait mis avant de s’évincer - pour prévenir là-haut que Lazare y était - et depuis il s’occupe. se distrait en matant. il s’était assuré qu’on pouvait y fumer et désormais c’est sa deuxième cigarette brasillant à sa bouche lorsque la porte s’ouvre. révélé à l’entrée : Alastor comme un maître de l’endroit qui ramène à la fois sa présence et la vie d’en-dehors, le vacarme de la maison des vices audibles trois secondes jusqu’à ce que les battants se ferment.

à la suite trois secondes de silence évasif.

et puis, Lazare s’avance - vers toi - vers vous peut-être ? oh peut-être que oui et prudemment il dit Alastor car il aime prononcer les prénoms - à tout va, pour lui c’est presqu’un plaisir autant que la bise - et bonsoir il salue, ses doigts libres à présent qu’il pose au cendrier son poison nicotine pour te - vous - tendre sa main, Lazare - très enchanté - sans mentir il l’est, très, enchanté nonchalant son air avouant léger vous êtes comme je pensais. à un bel Alastor, il pensait - justement ! - et le reste il attend de voir pour y penser ; après tout, il est encore ignare d’Alastor en personne et du sort qu’il réserve à Lazare son convive, surtout à ce Lazare rapporté de la rue si ce n’est de nulle part. tacitement : un fuyard.

alors il serre la main au vide entre vous deux - sérieux ! comme s’il y avait vos doigts de tangibles à cerner des siens il les prend et leur offre une poigne, l’emprise très éthérée à la fois très solide, Lazare saluant le vent si ce n’est un fantôme. il doit bien en avoir dans votre établissement, non ? dans ce cas ça comptait.

et dès lors ça de fait il s’écarte, vous acquiesce, la tête hochée d’office sans broncher il vous suit - même s’il aimerait mieux dire qu’il te suit toi, déjà - il ne l’avouera pas, Lazare, seulement voilà : Alastor vouvoyé le désarçonne un peu lui et son cœur altier de garçon cavalier, toujours plein de langueurs et d’à l’aise partout. te dire vous, Alastor, le trouble discrètement parce qu’à vous lui ravale forcément des répliques - tous ses tics de langage typiques de l’adonis - comme tu vois ? ou tu sais ? ce genre de fins de phrase à souffler l’air complice et qui fait les frissons propices à s'adoucir. et bref, il s’en cache fort ! même tandis qu’il entend des soupçons de cynisme dans vos mots qui demandent s’il restera tel quel - très enchanté, encore - d’ici une heure ou deux ah, j’espère… et c’est tout.

il ne peut qu’espérer, en fait, il n’a que ça sur lui - de l’espoir en ses poches - et sinon ce Lazare ne possède rien d’autre. pour cela qu’après vous il rentre sans prétention, ni l’expression classique du jeune homme convié - c’est-à-dire la crâneuse comme chez elle chez vous - non. il rentre juste naturel, l’allure sentimentale malgré lui quand il vient pour s’asseoir et répondre oui - c’est à peu près ça ! un chien de la rue c’est à peu près soi-même, ces temps-ci - sans mentir. une seconde il allait s’abandonner le dos contre sa chaise et puis, finalement, il tient droit. à vos yeux il voulait le bleu des siens visible. lisible. je suppose que Jasmin ne vous a pas briefé… mais c’est bien - tant mieux - comme ça je vous la fais très rapide et concise.

et vous devriez l’être bientôt très enchanté parce que si je suis là c’est pour sauver ma peau. vous voyez ? oh tu vois que vous voyez ne marcherait pas ! il se l’est empêché ce vous voyez frivole en marquant une pause pour inspirer. expire. si vous ne voulez pas de moi, ici, c’est simple : je suis un homme mort là sa respiration perturbée par un rire comme un éclat réflexe - pratiquement nerveux - ah vraiment je vous jure ! j’exagère que dalle - est-ce que ça vous enchante de le voir, Alastor ? ce Lazare devant vous qui s’écrase la joue de sa paume - froide et sèche - ce Lazare qui, sans-gêne, s’assume la vie fichue. foutue sa vie lovelace si ça vous fait plaisir ! mais donc - pour me sauver la peau il me faut vivre ici. nulle part ailleurs qu’ici. ici chez vous comme s’il était chez lui, Lazare, et bien sûr je paierai ma chambre et plus encore, de toute façon depuis son crime il paye, non-stop - tout sauf le crime - si vous voulez de moi, ici, je peux taffer. j’ai tout un répertoire de clients qui m’attend - des clients qui m’attendent pour dépenser leur fric. vous voyez ? il l’a dit ! il l’a dit et au fond ça ne sonne pas si mal ! enfin, passons. mes clients je leur saigne des fortunes où je veux - où vous voulez, du coup - au casino, dit-il en désignant dehors, au bar, au restaurant… n’importe où qui vous plaît.

et Lazare, il vous plaît ? vous enchante à présent - peut-être pas très - peut-être vite fait ? sans demander si oui vous observe en silence, ses poignets posés là sagement sur la table. et s’il ne vous plaît pas, comme dit : ce sera simple.

oh il voudrait vous dire que ce serait dommage ! de virer ce Lazare et ses tracas vilains, les laisser là-dehors comme on fait les ordures - ce serait du gâchis ! qu’il voudrait vous lancer, droit dans l’âme embellie d’une risette confiante, croyant à son mensonge, ce serait du gâchis de filer mes boyaux aux chiens errants des rues - et il sonnerait faux.

il se tait donc, plutôt, à pourquoi vous prendriez Lazare en pension ici sachant qu’il traîne les ennuis avec lui - des hics dans ses valises - il se contente de vous contempler en silence l’air de dire pourquoi pas ? ah je sais, je sais bien… pour un tas de raison moi-même je m’ouvrirai la porte pour m’y mettre, me la claquer au nez. accueillir un homme mort franchement pourquoi faire ? un homme mort ça vous hante la maison quelques mois et puis ça finit par clamecer tout à coup, dans un coin - parfois un si discret que personne ne le capte, pas avant des semaines quand ce coin pue la carne - un homme mort ça vous vend trop souvent des beaux rêves, de ces monts et merveilles qu’un homme vivant n’aurait pas assez d’une vie pour concréter le tier… quand même. quand même ! en homme mort, il vous jure : les merveilles et les monts de beaux rêves à venir, des mirages d’argent pour de vrai, oui, voilà.

là il opine du chef, et s’avachit enfin. là il peut soupirer et paraître songeur sans se feindre du tout - sans vous leurrer de rien - et parce qu’il réfléchit avec vous, très honnête, Lazare prend à son tour la bouteille de tue-diable, s’en sert un verre aussi. un rempli comme le vôtre. et puis, voilà, oui. c’est cela. en plus de mes emmerdes j’amènerai les trésors. il ose boire le premier et s’excuse, d’ailleurs, pardon vous comprenez : tout ceci me donne soif. tout ceci c’est vous deux mais surtout, c’est vous-même, Alastor et vos yeux insistants les aveux. ses aveux qu’il se trempe d’un peu d’alcool de canne, au préalable, alors : il descend trois gorgées de courage liquide - les degrés fortissimes mais ils ne grimace pas - claque sa langue pour finir de s’effacer le goût ... mes clients, mh. ce que je leur propose… ah, comment vous décrire ? il sourit. fixe son rhum. je leur propose mon aide pour se vivre leur fantasme. et leur fantasme, à mes clients, c’est de cracher leur fric. il sonnerait presque faux ! et il sait, il sait bien. maigrement il en rit. je vous jure, Alastor… il y en a mais des tas que le racket excite - vraiment ! - il vous toise à nouveau, s’accoude dessus la table, vous explicite à peine mais pour vous expliquer il y en a, dîtes-vous, qui raffolent de moi qui ne décroche pas malgré qu’ils m’appellent dix, quinze, vingt fois d’affilée. ils appellent et je les ignore royalement. en fait tant qu’ils ne m’ont pas filé cinquante balles via Paypal, je les zappe. ça les excite. jusqu’à ce qu’ils me payent et dans ce cas, d’accord, ils rappellent - je réponds - et ça les excite pire. et encore ça ce n’est qu’au téléphone, dîtes-vous ! cinquante balles le coup de fil de cinq minutes et quand je les rencontre mais alors, là, c’est la ruine. je les ruine, Alastor, et c’est moche comme métier mais ça leur fait plaisir. un instant, il vous sonde. sincèrement curieux. vous demande du coup ça vous ferait plaisir ? que je les ruine ici. de toute façon, comme dit : ailleurs qu'ici c'est mort.

ah même s’il avait un accès grand ouvert - vos côtes écartelées, votre cœur à découvert - Lazare n’oserait pas s’avancer, Alastor : sa place est trop mauvaise pour réclamer autant. c’est pour ça qu’il vous offre le sien à ce point, tout entier s’il vous plaît ; c’est parce que le sien ne peut plus battre autre part qu’au creux de vos mains et ce qu’il en adviendra, c’est à vous de voir. à vous de voir si vos doigts s’y resserrent, rapaces, quitte à lui écrabouiller tous les battements. à vous de voir si vos paumes l’accordent à d’autres en échange d’un salaire - dont on vous versera les trois-quart, bien sûr - et lorsque c’est à vous de répliquer et qu’il vous écoute traiter son cœur de bout de viande, pour amateurs de chair, il ne se vexe pas. vous dévisage et puis concède, quasiment sage. les putains sont des consœurs, oui - ou des confrères - mais oui… d’une certaine manière on bosse dans le même domaine.

en tout cas il souscrit à vos termes, c’est un deal. et le mot à ses lèvres lui provoque une risette, une fortuite sur laquelle il n’a aucun contrôle - il la sent s’étirer, aussitôt vous l’explique : j’ai beau être un homme mort j’en suis un très réglo - alors moi je souris, forcément, je vous souris à vous parce qu’à présent que j’ai des semaines à vivre je pourrai vous montrer. comme je sais être franc. vous verrez. et bientôt.

vous le verrez, Lazare, avec votre œil valide : il traînera sa clille jusque dans votre hôtel comme on charrie les porcs en-dedans l’abattoir, et puisqu’il est un homme qui n’a plus tant à perdre, il aura tout à gagner à les saigner, tous. ces gars et ces gonzesses affamé.es de jeunesse - de la jeunesse aimante, leur amante pour de faux - il les gavera bien de son temps paramour afin qu’elle soit bien grasse, la richesse égorgée. il songe vous n’en avez rien à carrer, d’ailleurs ? du pourquoi du comment j’en suis arrivé là. là maintenant chez vous. aussi désespéré. non pas que je tenais à vous conter ma vie - moi ça me va carrément de faire une ellipse…

faisons-la - voulez-vous ? la coupure nette et propre entre les derniers mois et le jour d’aujourd’hui. faisons comme si nous venions à peine d’atterrir, assis sur ces causeuses, soudain en tête-à-tête - comme s’il vous (re)découvrait Lazare vous (re)dit - vous êtes comme je pensais en précisant toujours. c’est-à-dire. un monstre des affaires que l’inutile emmerde. et donc ça me fait plaisir, Alastor. et c’est de si bonne foi comme aveux qu’il en couche son regard, pudique, quand il souffle la suite ça signifie que je ne le suis pas encore. inutile. il voudrait ajouter merci. le fait tout bas. merci. et sans relever les yeux il demande, un peu - l’expression mutine de très gentil démon - vous l’avez trouvé joli, Jasmin, tout à l’heure ? la question mondaine - discrète intéressée - vous comprenez je l’ai fringué. et parfumé. avant de vous rencontrer même j’ai supposé : peut-être qu’en faisant cela je vous sers, déjà. il vous sonde à nouveau, curieux du verdict, il vous a plu comme ça ? comme il était. comme moi.

il voudrait rire. pire - il devrait rire ! de vous. par-dessus tout de lui - Lazare fils des excès mais surtout fils de l’air, l’indolent déloyal à la race divine  - adolescent déjà il se vantait sans cesse, débordant d’insolence, comme quoi les Dieux d’Olympe n’auraient jamais sa peau. comme quoi son âme, idem, il ne leur donnera pas. plutôt crever, qu’il disait, que d’allouer des cultes ! et le voilà rendu à chanter les louanges à vous-même, Alastor, pour se sauver la vie.

devrait-il rire, alors, s’accorder la moquerie - méritée maintenant - seulement, il n’a pas honte. et même il est paisible d’avoir complimenté sans trop y réfléchir - quasi-naturellement - au fond ses gloires offertes sont plus fortes que lui. pour cette raison très simple que la question surprend - à combien d’hommes et de femmes il fait du charme, chaque jour ? je ne sais pas… je ne compte pas ! il admet, si léger qu’à son verre il dépose un baiser, à la fois un rictus, je dis ce que je pense. ce qu’il pensait de vous il l’a dit volontiers, pratiquement par plaisir, c’est égoïste, presque.

à la suite il descend l’entièreté de l’éther, en trois gorgées avides et d’une traite vorace. sur la table son glass tinte quand il le repose, et tandis qu’il vous écoute - toujours - il se sert. encore. et il s’amuse encore de comment vous parlez, de Jasmin, des habits - les siens - de catin. mais il sentait très bon, pas vrai ? moi je trouvais que oui. la cannelle estivale et le zeste d’hiver - une fragrance garçonne en même temps féminine - ça lui correspondait. à votre avis drastique c’est l’odeur des putains, quand même ; et quand même il s’éclaire, ah, mais rassurez-vous - j’en ai filé plein d’autres des parfums, à Jasmin - il y en aura bien un qui vous plaira, dedans.

vous savez s’il s’efforce tant à vous l’embellir, Jasmin, c’est qu’il y tient beaucoup. aux yeux de Lazare c’est un ami lointain, et depuis aujourd’hui son émancipateur - il lui est redevable ! - aussi, il a promis, sacré sur son honneur de ne pas l’attrister.

ainsi vous qui le couvrez de fleur l’enchante, mais fidèle il s’en cache. malgré qu’il soit honoré du chic de ses mots - d’après vous - il est sage, et ne vous dévisage qu’au travers de ses cils de la même façon que les vierges le font. chastement. je crois qu’il vous adore. Jasmin. et Lazare vous ment dans le sens où ceci n’a rien d’une croyance - c’est un fait constaté - en tout cas il m’en voudra peut-être de vous l’avoir avoué. sauf qu’il faut, il me semble. vous confier sur-le-champ. vos désirs sont des ordres quoi qu’il arrive - d’accord - sachez juste que j’ai juré une chose à Jasmin : de toujours rester prude avec son Alastor. aucunement railleur, au contraire - attendrit - et sur ce, son regard s’incline sans plus toiser. une poignée de secondes il se tait, fouille ses poches, en ressort ses cigarettes et rhabille sa bouche. à la recherche du feu, il précise sur ma tête, d’ailleurs. j’ai juré sur ma tête. vous comprenez la gravité du serment, donc ! et bref. comme ça c’est dit. et lui se sent délesté du secret, dès lors, son briquet déniché il peut fumer serein.