Tout s’était passé sans un bruit.
Comme d’habitude, comme dans un rêve.
Le vibreur de son téléphone contre sa joue l’avait averti seulement de ce petit message : “Ne viens pas à l’amphithéâtre aujourd’hui” et le jeune homme, sans se poser d’autres questions, avait simplement souri avant de se rendormir.
Pourquoi se plaindre de quelques heures de tranquillité offertes ainsi !
La Terre, alors, s’est retournée sans qu’il y prenne garde. Perché dans son petit appartement loin de l’agitation qui avait pris l’Olympus District, le fils d’Iris était resté bien au-dessus de la tempête.
La chute qui suivit n’en fut que plus abrupte.

Malik ne se souvenait même pas de la manière dont il avait appris la nouvelle.
Peut-être étaient-ce les pensées des autres qui, dès son réveil, avaient submergé son esprit en un étouffant raz-de-marée ; peut-être était-ce la fumée qu’il avait vu monter au loin.
Rien n’aurait pu le préparer à découvrir l’ampleur du désastre ni la résignation sur le visage des autres. Ils s’y attendaient, quelque part !
Mais comment, comment, avaient-ils pu s’y attendre ?
Personne ne lui avait rien dit. Au contraire, on l’avait rassuré et les pouvoirs d’Oz s’étaient employés à chasser de son esprit toute trace d’inquiétude.
Il y avait bien eu un accident sur l’île, au concert… Mais ce n’était rien ou alors si peu de choses, qu’il ne fallait plus y penser. Tout allait bien. Tout le monde allait bien.
De nulle part, il lui semblait qu’on avait fait jaillir les traîtres et les murmures bouillonnants d’une colère populaire.
Il n’en avait rien deviné. Rien entendu.
Comme toujours.

Puisqu’ils lui devaient bien cela, ses adelphes avaient cédé à lui ouvrir un portail jusqu’à la prison où Précieux était retenu.
Le seul qui, à vrai dire, avait jugé bon de le prévenir de quoi que ce soit.
Même si c’était de peu !
Lui non plus, ne lui avait jamais rien dit. Rien dit de ses doutes, rien dit de ses raisons, juste parlé d’art et d’amour ! Comme s’il ne servait qu’à ça. Qu’un esclave d’Amour et une Muse sans cervelle. Un maudit, un défaillant, qui ne comprendrait pas.
Jaillissant d’un portail à quelques mètres du blond, Malik ne cherche guère à retenir les larmes qui déferlent sur son visage fermé. N’était-ce pas ce qu’ils voulaient de sa part ! Une sentimentalité pure et débordante, intacte et naïve !
Pas de mots, pas d’oreilles.
Un esprit entonnoir et un corps-feuille-blanche.

our hopes and expectations, black holes and revelationsIl avait pensé à Malik avant de se donner la mort. C'est-à-dire, au moment d'écrire le testament, de se déclarer, mort, d'inscrire son nom et puis ceux de tous les autres.
Il avait pensé à Malik au moment où les autres allaient mourir - à peine avait-il su que le moment était venu que Malik avait fait partie de ceux qu'il avait contacté immédiatement.

Puis Malik avait été oublié. Tout naturellement, comme on oublie le bruissement des feuilles ou bien le ronronnement de la machine à café, ou encore la sensation du linge chaud entre les doigts - ou encore la stupéfaction de sentir son pied s'enfoncer dans ce qu'on n'imaginait pas être une flaque, seulement une mince étendue d'eau. Malik a été oublié en même temps que le quotidien, que les grincements de porte, que les grosses pierres de l'amphithéâtre, que l'odeur de poussière des greniers. Malik a été oublié comme les belles choses sur lesquelles on fait un trait. Il faisait partie des belles choses qui donnaient du sens à sa vie - c'est pour cela qu'il ne pouvait pas imaginer Malik au Céadas.

Il aurait pu prendre la porte d'entrée mais il s'est pointé par la magie de sa mère, la magie des justes - Précieux s'est redressé face à l'apparition. Il s'est relevé, aussi, avec son unique chaussure. Il est venu jusqu'aux barreaux et il a dit et a pensé fort - Ne pleure pas. Si jamais les pensées de Malik sont trop fortes pour entendre les siennes, mais il pense aussi - si jamais ses yeux sont trop embués pour voir ses lèvres.

Le poing serré, il trace des mouvements circulaires près de son torse. Cela veut dire pardon. Il le fait plusieurs fois - pardon - pardon - pardon -
Pour cette lumière qu'il a trahi et calfeutré pour ne pas l'injurier en l'ignorant.
Pardon - encore - de sa main contre le torse, l'autre accroché aux barreaux. Malik lui a réappris la tendresse. Il faut bien se servir de cet apprentissage avant de mourir.

“Ne me dis pas quoi faire !”

La voix de ses pensées retentit comme un coup de tonnerre et claque, fermement, parmi les excuses répétées. Il ne veut pas les voir, ces gestes, ces signes, qu’ils prennent si rarement la peine de faire !
Parce que tout est sensé être simple avec lui, simple et facile et doux et léger - pas aujourd’hui. Aujourd’hui, le fils d’Iris veut l’orage au lieu du grand soleil, et les étincelles sur sa peau scintillent moins qu’elles ne crépitent, comme une poignée de flammes prêtes à bondir.

“Pour une fois dans ta putain de vie, ne me dis pas quoi faire et dis quelque chose d’utile ! Dis-moi pourquoi !”

Il pleure parce qu’il ne saurait quoi faire d’autre, qu’il n’a pas été élevé pour contenir le chagrin qui lui monte si facilement au cœur, et qui doit repartir si vite, d’ordinaire !
Mais rien ne part jamais vraiment et il ne comprend pas.
Ne comprend pas pourquoi il le voit ici, dans ce décor sombre et dur, ne comprend rien à ces foutues histoires de monstres, ne comprend pas qu’on ne lui en ait rien dit avant.
Précieux n’appartenait pas à cet univers-là. Il était fait pour la lumière et le grand ciel. Un corps gravé au rythme des mains tendues et des regards acérés.
Un égoïste qui, même en mourant, refusera de disparaître vraiment.
A grands pas, Malik avale la distance qui le sépare des barreaux et glisse sa main pour empoigner son col. Doux comme il l’est, on en oublierait souvent qu’il n’est plus l’enfant qu’on le croît être.
Puis, la main, raide et autoritaire, s’abat dans un signe droit depuis sa bouche.
Pour une fois, c’est le sang du père, qu’il laisse s’exprimer.

PARLE

our hopes and expectations, black holes and revelationsC'est un caprice de fils chéri contre un autre caprice de fils tout aussi adoré ; c'est l'allégresse qui s'arrête pour comprendre pourquoi la fête est finie alors qu'on lui avait demandé de ne jamais cesser de danser -

Précieux sait pourquoi il a accepté Malik aussi simplement. Qu'il l'a touché, sans craindre - c'est parce qu'avant le début de la folie qui remonte à plusieurs années déjà, avant même que Malik quitte le camp - Précieux l'aurait aimé. Il est de ces lumières inoubliables dont on ne se fait pas de raison. Il est de ces lumières qu'on raconte des années plus tard au détour de plusieurs anecdotes - il parsème la nostalgie - mais quand est-ce que quelqu'un laissera Malik être au présent ? Quand est-ce que quelqu'un s'accrochera-t-il à lui ? Précieux se le demande.

Il le laisse le tirer plus proche encore des barreaux - il ne lève pas la voix, cela ne servirait à rien - et puis il n'y a que ce qui n'inclut pas de mots qui fait du bruit. Il se demande comment Malik va sortir, après. Sa pensée même balbutie après que Malik demande pourquoi : est-il capable de se prononcer ? Il lui dit sans parler, les lèvres fermées, le regard douloureux - plus vite qu'il le pense - Je ne veux pas te décevoir. Ce serait terrible pour son coeur que Malik se décompose devant lui - il détourne le regard car à force de trop le répéter, ses raisons sont devenues floues. Pas toi. C'est de la lâcheté. C'est une nouveauté chez Précieux.

“C’est trop tard, pour ça. Je suis déjà déçu.”

S’il savait ! Comme la déception aujourd’hui s’étalait à tous ceux qu’il connaissait ; aux frères, aux sœurs, aux amants d’hier, aux amis seulement - pas un seul n’avait jamais pris la peine de tirer sur la ficelle qui l’aurait ramené au sol.
Tous l’avaient laissé flotter dans son petit éther qui, finalement, n’appartenait qu’à lui. A trop l’aimer, encore une fois, on l’avait banni.
Comme ce père qui par amour refermait à double-tour la porte chaque soir pour empêcher Vénus de le prendre dans ses filets. Il n’était jamais vraiment sorti de cette chambre aux murs peints de ses mains de milles paysages.
Son monde était resté le sien, coloré et artificiel.
Solitaire surtout car personne ne l’y a rejoint.
Alors, oui ! Ses pleurs peut-être doivent quelque chose à la déception qui lui dévore le cœur ; dont il accuse les autres tout autant que lui-même.

“Regarde-moi !” proteste-t-il en l’enjoignant à tourner la tête, sans se soucier de sembler aussi pathétique que désespéré. “Et parle, par tous les dieux, parle ! Pourquoi n’ai-je le droit qu’à tes fausses paroles et tes grands airs ! Je ne suis pas grand-chose pour toi, alors pourquoi crains-tu de me faire peur ?”

Il veut savoir, enfin !
Voir la laideur que l’artiste n’a jamais daigné lui montrer, par pudeur ou désintérêt.
Il veut des sentiments dont il peut sentir l’intensité, un regard franc, enfin, si ce doit être le dernier !

“Dis-moi pourquoi, explique-moi ce qui se passe ! Tout le monde refuse que je sache et pourquoi ? Qu’as-tu fait de si grave ? Je te traînerai par un portail si ce n’est qu’une histoire stupide alors dis-moi !”

our hopes and expectations, black holes and revelationsIl bâtit la certitude qu'il y a une réciprocité dans ce pas "grand chose", que Malik ressent les choses de la même manière. Il doit se rappeler qu'il n'a pas la capacité de déchirer ce coeur - c'est pour cela que Précieux ne s'approche pas des innocents, c'est pour cela, les grandes discussions dans la salle de bain, un jour d'été, où la peinture et l'eau se mêlaient sur le carrelage chez lui ; où la nudité bafouée par le flou artistique, par la colère, par l'impuissance déjà naissante -

C'est pour cela cette difficulté à s'exprimer particulièrement avec Malik, par moment, car il redécouvre son coeur par moment avec lui et cela lui fait quelque chose d'être celui qui crève l'abcès. Il saisit cette nécessité. Il va le faire. Il va défoncer la porte. Malik ne sait rien : il peut au moins lui dire cela, s'il le veut. J'ai invité l'Hydre sur l'île. Elle m'a tué pour se venger de Bellamy qui se cache ici, j'étais sorti de l'île pour la première fois pour aller voir ma mère à l'hôpital car elle a fait une mauvaise chute. L'Hydre l'a tuée, aussi, tout cela car il n'arrivait pas à atteindre Bellamy. Bellamy qui a rejoint les olympiens et qui a programmé ma destitution avec les autres de son groupe il y a huit ans pour augmenter la présence des olympiens au Conseil. Je voulais juste me rapprocher de l'Hydre pour le rendre fou mais l'Hydre a proposé de venir sur l'île pour venir me voir. J'ai dit oui. Ils se fichent de mourir tant qu'ils restent inatteignables. Ils préfèrent voir mourir les autres. J'en ai eu assez. La vie est un enfer, Malik. Je ne te demande pas de comprendre. Pas besoin de parler, tout est dans la tête, donc, très distinctement. Le long processus résumé à quelques phrases. La descente aux enfers, écarté vivant - écarté mort. L'égoïsme de la folie.

Malik ne s’attendait à rien ; à ça, non plus.
Une série de raisons auxquelles il ne comprenait pas grand-chose si ce n’était l’égoïsme des hommes et l’absurdité des egos.
Tout ça pour ça ? Pour un homme et un monstre qui n’étaient pas capables de se retrouver face-à-face ? Pour un stupide duel qui devait, au nom d’on-ne-savait-quelle fierté, concerner tout le monde ?
La colère petit à petit laisse place à un profond abattement ; il a l’air aussi démuni et impuissant qu’il l’est vraiment. Déçu ? Certainement. Pas par Précieux. Déçu de le comprendre. Déçu que son éternel optimisme le force à être surpris face à de telles nouvelles.

“Mais je comprends.” Ses pensées articulent tandis qu’il baisse les yeux, relâche doucement sa prise sur ses vêtements sans pour autant s’écarter des barreaux. “Je comprends que tu en aies eu assez. Je comprends que tu les détestes ; n’importe qui les détesterait aussi, à ta place. Tu ne méritais pas ça.”

Inconsciemment, il répète ce qu’il n’a que trop entendu.
Tu ne mérites pas ça mais ce n’est pas toi qui choisit ; les choses sont ainsi et puis voilà. Il faut s’y faire. On s’habitue à tout, à la fin, même aux chagrins sans cesse recommencés, même au deuil, même à un coeur brisé, et si on ne s’habitue pas, si on refuse enfin de s’habituer, si on dit “Non” haut et fort, pour une fois, la seule fois, eh bien on meurt et c’est comme ça.
C’est tout.

“Tu ne veux plus ? Réessayer, je veux dire. J’étais sérieux, pour le portail. La vie est un Enfer mais la Terre tourne encore. Je comprendrais si tu ne veux plus, des fois, j’aimerais aussi en être capable, d’arrêter de vouloir et de d’apprendre à dire Stop.”

our hopes and expectations, black holes and revelationsChaque nouvelle réception de son histoire est une surprise. Il ne peut s'attendre à rien et par extension, prend tout ; lui non plus s'écarte pas. Il entend Malik. C'est étrange de s'approprier l'optimisme et de dévoiler le monde ; c'est étrange d'être capable de provoquer ça chez les gens. C'est étrange ce soulagement de la compréhension, des sentiments négatifs à l'orée de chacun de leurs corps, et qui s'entrechoquent donc, doucement.

C'était cela qu'il voulait - éclairer l'injustice. Que certains ne se disent pas : "Précieux Martin ne mérite pas cela" mais qu'ils mettent cette injustice dans le spectre du "je", qu'ils se sentent menacés par ce gouvernement défaillant. Si cela ne nourrit aucun feu c'est que Précieux a raté sa mort. Qu'il est mort pour rien, comme Abel a dit.

Il secoue sa tête de gauche à droite : C'est trop tard pour moi et le lieu est très surveillé. Ils me retrouveront et ils te tueront aussi pour trahison. Je préférerais que tu utilises ton énergie pour que tu découvres ce qui t'importe. Où réside l'injustice, par exemple ; Moi je ne veux plus être sauvé, mais il y a des gens pour qui ce n'est sûrement pas trop tard. Si tu en as la force, trouve-les et prouve leur que la Terre tourne encore. Et peut-être qu'en essayant de leur apprendre tu arriveras toi-même à dire "stop". La main contre le barreau vient à son torse - mouvement circulaire - il dit encore pardon, d'un petit geste. C'est un mot que son esprit a dû mal à dire. Le dire dans la langue de Malik lui paraît plus tendre et sensible. Et si tu n'y arrives pas, ce n'est pas grave ; personne n'attend de toi d'être un héros. Mais avoir essayé sans mettre de couteau dans le dos sous prétention que c'est nécessaire, cela fera déjà de toi quelqu'un de meilleur qu'eux.

C’est qu’à nouveau, les larmes lui montent aux yeux ; toujours aussi facilement qu’autrefois, elles débordent, mais elles n’ont plus l’amertume qu’il leur donnait en entrant dans la cellule.
Malik pleure et ne peut s’empêcher de sourire, défaut trop humain, défaut tout à lui, quand il voit le fils de Dionysos signer à nouveau.
Pardon Ce n’est presque rien et c’est déjà tellement plus que le reste.
Si c’est ce qu’il veut, alors il ne se battra pas pour le faire sortir. Malik n’a rien d’un guerrier.

“Tu veux m’apprendre à mourir, c’est ça ?” plaisante-t-il alors qu’un sanglot lui échappe, “Je ne suis pas un héros, moi. Je ne vais pas mourir pour des idées.”

Les idées, cependant, il sait en donner.
N’est-ce pas après tout, ce qui chez lui a seul réussi à charmer Précieux ? Maudit par l’une, béni par l’autre, il reste funambule au milieu des envies du monde entier.
Que Précieux meurt ! C’est après leur mort qu’on salue le travail des grands artistes. Les Muses, elles, ont pour tâche de rester.
Et c’est ce qu’il cherche à lui faire comprendre quand, venant prendre sa main dans la sienne, il y place un petit morceau de fusain qui traînait au fond de sa poche.

“Dis-moi ce que tu voudrais que je leur inspire. Tu ne devrais pas mourir sans avoir créé une dernière fois… Parle, dessine, fais-moi danser, ce que tu veux ! Ce que tu voudras, je ferais en sorte qu’ils le voient, qu’ils y pensent sans s’en rendre compte, qu’ils en rêvent la nuit… Si tu dois mourir pour des idées, laisse-moi leur ressembler. C’est bien pour ça que tu m’as choisi, non ?”

our hopes and expectations, black holes and revelationsJe ne suis pas un héros non plus. Il n'en a jamais eu la vocation. Il n'en veut pas le titre. Il veut mourir comme un citoyen, comme un dégât collatéral ; comme un coupable, à la limite - mais pas comme un héros. Ses héros à lui sont souvent anonymes et n'en ont jamais eu la prétention.

L'idée lui arrache le premier sourire depuis le début de leur échange, le bout de fusain dans sa paume, qu'il regarde déjà noircir ses doigts à peine saisi. Pas besoin d'élever la voix, seulement de penser alors qu'il se met à genoux en regardant le sol - vide et froid - qu'il peut recouvrir de dessin, vandaliser de bonheur. Il réfléchit puis tire plutôt le drap qu'on lui a donné - Ma mère écoutait beaucoup de musiques françaises. Je ne la voyais plus depuis que j'étais petit mais je lui avais demandé une fois, dans une lettre, quelle musique écoutait-elle - une musique précise - quand j'étais petit. Elle ne savait pas de laquelle je parlais alors elle m'a listée ses favorites sur un recto-verso. Il y en a une qui s'appelle Mourir pour des idées, en français donc. Je ne me rappelle plus bien des paroles mais tu devrais aller les lire en repartant. Il reprend les draps, indécis, les repose sur le matelas et l'écarte plutôt pour dévoiler l'espace. Et puis, après une autre seconde, se recouvre du draps en se cachant, dessinant sous ce dernier. Il prend son temps. Il réapparaît en faisant l'effort de ne rien dévoiler de ce qu'il a fait - l'opération est fastidieuse - C'est comme le mouton, dans Le petit prince. Je ne veux pas que tu saches ce que j'ai dessiné. Je n'ai pas envie de vivre à travers toi. Ce qui importe c'est d'avoir pu dessiner, pas ce que j'ai dessiné. Il n'y a rien de révolutionnaire dans mes idées, Malik. Comme la plupart des gens j'aspirais juste à la liberté. Et il me semblait que tu ressemblais déjà un peu à cela... Mais maintenant plus que jamais, n'est-ce pas ? Il remet difficilement le matelas à sa place et se rapproche de lui pour lui retendre le fusain, le fixant droit dans les yeux. C'est une parenthèse de vie. Je suis désolé si tu t'es senti écarté de ce qui compte pour les gens. J'espère sincèrement que cela ne t'arrivera plus. Et je ne pense pas que c'est de ta faute mais j'aurais voulu me rendre compte que tu étais aussi emprisonné.

Le regarder n’a pas encore perdu de son intérêt ; c’est ainsi qu’ils se sont connus et ainsi qu’ils se quitteront, à se voir créer sans s’appartenir jamais.
Malik le regarde noircir le blanc du drap sans se départir du sourire mouillé qui lui flotte sur le visage. Il n’aurait pas voulu se souvenir de lui autrement qu’ainsi.
Il l’écoute comme toujours, parler de choses qu’il ne comprend pas vraiment. Il n’a pas besoin de les comprendre en entier ; les saisir juste, faire rouler les idées au creux de sa tête comme une bille dans la paume, suffit à en faire apprécier la couleur.
Le voir rejaillir de sous le drap, de la poussière de fusain sur la joue, lui arrache un rire grêle.

“C’est vrai que j’aimerais être libre. Il n’y a rien que j’aimerais autant. Tous les jours, j’essaie de trouver comment. Parfois, je n’y pense plus et c’est comme si je l’étais déjà… Si tu fermes les yeux, sous le drap, les barreaux ne sont plus là.”

Comme il faisait alors, quand les bruits de Delhi se noyaient au loin derrière les volets fermés de ses fenêtres, pour s’échapper dans un livre d’images.
Comme il le fait encore, à s’imaginer aimer comme les autres aiment, au rythme des coups de foudre que personne ne choisit.

“Tu vas me manquer, je pense. Mais ça ne va pas m’abattre. Les dieux ne me laissent pas trop le choix, à vrai dire… Ils ne veulent pas que mon cœur s’arrête de palpiter.” Quelques pensées de plus cédées tout bas, tandis que du revers de la main, il essuie tendrement la joue du blond. “Je n’arrêterai pas d’aimer le monde, malgré ce qu’il peut faire. J’espère que je continuerai à inspirer la liberté à d’autres, même si je ne la vis pas.”

our hopes and expectations, black holes and revelationsEt ils disent que l'imagination est la meilleure des libertés, l'art en est la consécration, la matérialisation. Précieux ne veut plus rêver : il prend ce que Malik pense, d'ailleurs il y trouve de la beauté - mais cela résonne dans un présent qui leur appartient - pas dans le futur où il sera conditionnellement dans sa solitude due aux barreaux et plus largement à ses actes.

Je n'en doute pas. Il lui assure, tout proche ; s'il peut inspirer la tendresse à ceux qui n'aspirent qu'à l'aigreur - qu'est-ce que Malik n'est pas capable de faire ? C'est dans son sang. C'est une évidence et Précieux ne croit qu'en elles oui c'est à se marteler lui fils de son père - Malik fils de sa mère - ils sont exactement là où ils devraient l'être. Les dieux l'ont voulu. Comment vas-tu repartir, Malik ? Ils ne savent pas que tu es ici. Parce qu'il n'est pas rentré par la porte, comme tout le monde ; Malik a fait une apparition spectral, un rayon de soleil dans l'interstice d'un rideau - inattendu mais espéré, jusqu'à disparaître. Merci d'être venu, me voir, aussi. Il le pense sincèrement et fort ; il est reconnaissant que Malik l'ait cru, il est reconnaissant de pouvoir lui dire au revoir, bientôt - et qu'il puisse penser un peu à lui, encore. Malik vaut la peine d'être aimé.

“Je repartirai comme je suis venu.”

Comme un courant d’air toquant un jour à sa fenêtre.
Précieux aujourd’hui referme le carreau. Il n’a pas conscience que ce que cela fera à tous ceux qu’il laisse dehors.
Malik ne lui en veut pas. Habitué aux fatalités, il comprend que c’est comme ça.

“Ils me rouvriront un portail dès que je leur demanderai.” explique-t-il avant qu’un simple message télépathique à son adelphe attendant aux alentours de la prison suffise à rouvrir la faille dans son dos. “Ils me doivent bien ça.”

Pour l’avoir tenu dans le noir tout ce temps.
Il ne sait même pas si on lui reprochera d’être venu sans prévenir ; lui, n’y voit pas de souci et les petits princes dans son genre ne se remettent que rarement en question.
Si on lui demande, il dira qu’il est venu comme il l’a toujours fait : comme un courant d’air à la fenêtre.

“C’est normal que je sois venu te voir. Toi aussi, tu me devais des explications et même au-delà de ça, je ne me serais pas contenté de quelques lignes sur un document dans lequel mon nom se mélange avec celui de plein d’autres ! Non pas que je ne les aime pas, je pourrais être là pour qui tu veux, si tu t’en inquiètes. Mais je n’allais pas te laisser t’en tirer si facilement !”

our hopes and expectations, black holes and revelationsEt que peuvent faire les courants d'air qui ne prétendent pas être des tempêtes, qui n'en empruntent même pas la férocité et le danger ? Seulement un renversement léger, une surprise sur le visage - rien de plus, rien de moins, quelque chose d'arrêtable en un geste un instant et pas plus - ni moins. Mais Malik ne disparaîtra pas, il aura laissé les traces de son petit bouleversement, à son échelle - des dessins d'on-ne-sait-quoi qu'ils ne trouveront uniquement à sa mort ici ou sur la place publique - pour se rappeler que les morts aussi peuvent créer. Qu'ils ont créé.

Faudra-t-il les effacer ? Ou les laisser ? Est-ce que cette cellule sera habitée à nouveau un jour avec ou sans ses dessins ? Sera-t-il un sanctuaire officieux ou bien le témoignage de ce qu'on fait des traîtres qui perdent la raison ?

Précieux ne le sait pas. Mais Malik lui permet de se poser toutes ces questions. Maintenant que tu sais, il faut que tu t'en ailles. Maintenant qu'il a pleuré qu'il a désiré et qu'il a eu - il faut s'en aller, il faut se dire au revoir. Précieux reste immobile : Au revoir Malik.