l’arène - álvaro n’y est que depuis peu, et il y passe pourtant déjà la majorité de ses journées. incessants entraînements qui pourtant ne le mènent pas si loin : le jeune homme se repose inconsciemment sur la certitude qu’il est déjà assez et exécute ce qui fonctionne avec le sourire des ignorants, se complaît dans les répétitions inlassables des mouvements qui suffisent à satisfaire ceux qui sont donnés de les observer, d’en apprécier la consistance inhérente sans questionner leur finalité. l’endroit, tout autant que ce qu’il y fait, deviennent déjà zones de confort, comme l’ont été d’autres auparavant - il se dit facilement qu’il continuera de grandir et qu’un jour il le dépassera, qu’il dépassera tout puis qu’il continuera, car c’est ainsi que les choses sont faites et c’est ainsi qu’il suit sa route. que le soleil se lève, que le soleil se couche, sans tarir, il se répète, et aujourd'hui le soleil se lève, alors il court.

il court un moment, fait le tour du district, une fois, puis deux, puis trois, retourne finalement sur ses pas, rejoint les murs de grès qu'il chérit déjà et s'y repose un instant, étire les muscles doucement endoloris. ici álvaro est seul, pour le moment - ici le monde ne tarde jamais - et pourtant, sans fatiguer, il précise chacun de ses gestes comme observé par une force inconnue, dicté par les regards qui se sont un jour posés sur lui et ne le quittent pas, reviendront bien assez vite pour que leur oubli devienne une imposture.

quelques instants, il s'assoit en tailleur au sol, ramasse sa gourde et boit d'un coup une bonne moitié de son contenu - il faudra bientôt qu'il retourne la remplir, il a toujours soif. encore, il s'étire. quelqu'un rentre. il ne la remarque pas, d'abord, bien incapable désormais de différencier les regards qu'on lui pose et ceux qu'il s'applique lui-même. puis, il comprend, tourne la tête, voit quelqu'un. il ne la reconnaît pas immédiatement, ne s’y attarde pas ; on voit beaucoup de gens passer, ici. un simple signe de la main, un léger sourire, voilà tout ce qu'il lui adresse, avant de retourner à sa tâche : simple geste de politesse, puisque de toute façon,

divine, tu n’es sûrement pas là pour lui.

elle gronde comme le tonnerre, divine, ses pas font trembler le sol et álvaro, lui, ouvre soudain grand les yeux, proie qui n’a que trop tardé sa sortie et soudain s’aperçoit que le ciel est assombri, entend les galops de la garde - son propre nom atteint ses tympans comme le cor de chasse, les paroles comme les cris indistincts des trappeurs, et lui, bête instinctive, ne fait qu’observer le danger s’approcher. DEBOUT ! et il se lève d’un bond - l’éclat du métal lui brûle les yeux.

”de guisé”, nom appris par conséquences ; il ne se souvient pas lui avoir adressé la parole auparavant, s’étonne de la présence d’une figure importante, de son hostilité.

un pas en arrière.

un autre.

dans les pupilles de divine, lui qui n’assimile pas pleinement ses paroles, il cherche une réponse, se déplace sans la lâcher des yeux - il n’y trouve rien pour le rassurer, au contraire, il recule encore, atteint une distance raisonnable. vitesse de la lignée providentielle, il l’utilise sans y prêter attention, naturelle impulsion : demi-dieu, animal, tu ne connais pas ta place dans la chaîne alimentaire. puisses-tu un jour la comprendre, certainement tu l’ignoreras.

”je sais pas c'que tu m'veux”

brusquement il attrape une épée qui traînait là, se tient immédiatement en garde. la lame n’est pas sienne, propriété de l’arène, elle se fait extension de son corps - tous ses mouvements, aussi bien exécutés puissent-ils être, se voient régis par sa nature même, les doigts serrés sans faille sur la poignée comme on tient inconscient à sa vie.

”mais on pourrait en parler plus calmement, non ?”

le ton est presque agressif, l’expression tout autant, et pourtant il se veut neutre - álvaro ne sait pas, ne sait pas ce qui se passe, ne sait pas ce qu’il veut, ne sait pas ce qu’il fait. porté par le sang, il fixe l’incidente adversaire d’un regard sévère, attend sans trembler ce qu’on pourrait bien lui amener - alors, le corps bien porté, il se tient prêt.

les monstres ? thanatos ? pour le fils de niké, tout ça est bien trop loin devant pour s’y intéresser. il ne daigne même pas imaginer s’adresser à eux, ignorant inconsciemment tout du danger qui certainement le guette pourtant, comme il guette tout le monde - comme il ne le guette même plus, celui-là même se ruant sur lui bien plus vite qu’il ne l’aurait attendu. les lames s’entrechoquent, et immédiatement il comprend, comprend qu’il s’est trompé - erreur de débutant, sa garde est ouverte : à peine a-t-il le temps de froncer les sourcils qu’il voit déjà dans le regard de la milicienne sa maladresse reflétée, amplifiée. cette dernière retentit dans son crâne, se répète, tue trop tardivement par l’écho du choc quand son dos vient frapper le mur.

il est solide, álvaro, pas autant que la roche qu’il percute - quand vient la collision, c’est bien lui qui flanche, et c’est l’arène tout entière qu’il sent trembler en son sein. ce n’est pas le premier coup qu’il se prend, mais il rechigne à l’idée que dans l’immédiat, ça ne sera pas le dernier non plus. il serre les dents, se redresse doucement en laissant son dos glisser contre la paroie, pointe l’épée vers divine, comme si la dissuasion était une possibilité, comme si le métal allait l’empêcher d’encore se rapprocher - pourtant, cette fois, il corrige sa posture, refuse de laisser la même faille ouverte à deux reprises. c’est qu’il apprend vite, quand il en comprend la nécessité - l’erreur est à ne pas répéter, celle-ci bien plus dangereuse que n’importe quel coup qu’on pourrait lui administrer.

”tu comptes pas vraiment me tuer.” on ne ferait pas ça à un enfant. si peu qu’elle le considère véritablement comme tel, alors, il n’a aucune raison de l’attaquer.

pourtant, son visage ne s’éclaircit pas, laisse paraître sans aucune retenue l’animosité de la proie encerclée.

”c’est quoi ton problème, de guisé ?”

il vocifère, impulsion de la colère. c’est à croire qu’au fond, il cherche à lui donner raison, quand ignorant tout logique, sans se laisser aucune porte de sortie, il prend appui sur l’enceinte pour se propulser,

et vers sa poitrine, prolongeant sans attendre la tenue de son arme, il frappe.

erreur : elle l'inscrit sur son front à l'écarlate, la lame déchire la peau d'un trait net. le sang coule et lui passe bien vite en vue - erreur, il le voit, rouge hémoglobine, et ça lui brûle le crâne. vacillant contre le mur qui désormais ne semble plus que le maintenir prisonnier, álvaro plaque sa main contre la blessure, grimace, puis relève le regard vers divine - il  a dans ses yeux la hargne qui ne faiblit pas, pas encore, qui au contraire semble de celles réveillées chez les blessés par la détresse imminente, semble même les dépasser.

”tu penses vraiment que c’est qu’une putain d’égratignure qui aura raison de moi ?” entre mâchoires serrées, il infériorise la douleur physique - le sang atteint ses joues, il l’essuie du plat de sa main. dans ses gestes, dans l’air qu’il expire, dans le liquide pourpre qui teinte sa face, la détresse se fait furie. l’étau de sa poigne se resserre sur l’épée, et sans se faire attendre il frappe à nouveau.

comme prévu, les métaux s’entrechoquent, vacarme intarissable dans lequel le gladiateur trouve pourtant sa place : il ne s’agirait donc pas de le taire, alors on recommence. un deuxième coup, bien plus haut, empli de la force souveraine mais bien facilement paré, car blesser n’est pas son but quand il abat son arme de tout son poids - la tête la première il fonce à son contraire, tend la main libre tachée de sang vers le ventre de son adversaire pour y poser brièvement ses doigts.

il permute.

quelques mètres reculés en si peu de temps - il s’éloigne de toi, divine, comme il fuit le mur qui le retenait. tu es une muraille, divine, et lui ne sait pas escalader, te fixe pourtant comme si il en était bien obligé.

"si t'es là, c'est que j'ai déjà plus de la légende que de l'anecdote. j'me trompe ?"

immédiatement, il reprend sa garde. l’inspiration lourde d’effort, son torse se bombe, puis se relâche.

”j’ai pas peur de toi.”

l'adrénaline lui monte à la tête.

le cœur bat outre mesure, le sang coule à gouttes sur son visage et passe dans ses veines en brûlant le passage - ébouillanté par sa propre nature, álvaro observe divine se rapprocher avec l'ardeur conférée de la douleur. elle va si vite, tout va si vite, et, hypnotisé par le feu qui brûle pour lui, le carmin qui lui frappe les pupilles, il n'a jamais vu si clairement. une seconde seule sépare l'impact et la déchirure, mais une seconde seule n'a jamais été si longue. un héros, tu pourrais être un héros, et tu te laisses meurtrir.

la douleur transperce son épaule et tout son corps tressaille, se fait témoin de ce que son esprit brouillé par l'adrénaline ne comprend pas. un râle immédiat, cri de tribulation, s'échappe de sa mâchoire, et son visage tout entier l'accompagne dans les torpeurs éveillées quelques instants - très vite, il reprend la colère qui, teintée incarnat, le sied tant.

"sous tes ordres ?" il grince des dents, les paroles sont douloureuses - la plaie est béante, le sable sous ses pieds prend la couleur du sang, mais il se refuse à la reconnaître, préfère encore tenir son arme. "c'est pas sous tes ordres que j'veux être, de guisé."

un regard croisé, et en criant, il frappe - une fois, puis deux, puis trois, dernier élan de l'esprit qui retrouvera bientôt la réalité matérielle.

"c'est à ton niveau."

il frappe, il frappe, il frappe, et puis, il touche. sur la muraille il laisse sa marque, sur sa joue il trace le fil de sa lame. alors, essoufflé, il s'arrête.

"touché, de guisé." il a ce sourire ingrat qui tord ses lèvres quand il prononce ces mots, fier dans ce qui pourrait pourtant être sa mort : son épaule lui crie le danger, par réflexe il laisse tomber son épée, attrape le membre endolori, recule en titubant.

qu'il oscille, qu'il tombe, qu'il s'effondre : peu importe. sa défaite est signée, mais, fils de victoire, il la refuse jusqu'au dernier souffle - complaisant dans la douleur qui bientôt aura raison de lui, il sourit fou à lier. sur sa tombe, on écrira : j'ai touché divine de guisé.