il jette des regards comme si c’était la jungle, Love, une selva tropicale au lieu de la ville et les hommes en costumes sont comme de vrais fauves, fringués en Armani, tandis que toutes les femmes lui semblent des oiseaux de paradis créoles aux plumages griffés. il croit tous ces gens-là des animaux sauvages, étrangement passifs mais sait-on trop jamais qu’un l’attaque soudain s’il ne les fixe pas.

c’est qu’elle est flambant-neuve la City pour lui-même, et tout grouille, et tout gronde, et lui se sent une jeune bête en captivité dont on vient de rouvrir la cage en grand, si grand. il a sur son épaule la lanière d’un sac rempli n’importe comment des affaires quelconques - de quoi tenir trois jours mais habillé sans classe - il a surtout dedans son propre cœur battant ses biens estimables, comme : des espoirs reçus gratuitement de ta part et des promesses immenses d’une vie belle, nourricière. il a dedans son cœur comme des courriers des cœurs, tous signés de ton nom, chacun commençant par les mots mon cher Amour ! oh comment ça, ton cher ? il se demande toujours. il est tant abstrait pour Love que de valoir, d’avoir ce qu’on appelle de la valeur marchande c’est-à-dire une qui met des choses dans les mains ; de l’argent, par exemple. ou des lettres de fans.

et il en a, tu dis ! tu disais l’autre fois - s’il n’en croit pas son écran qu’il vienne voir ici, de ses propres yeux - tu disais de leur dire aux adeptes en ligne qu’il possède une adresse, qu’on pouvait lui écrire : à celle de ton agence comme si c’était la sienne. et le voilà devant, et voilà le grand jour, si grand ce jour, pareil ! autant que ce gratte-ciel, autant que son lobby. quand il y rentre il fait garçonnet ridicule fuyant les excursions d’un école inventée. il fait aussi féroce, très joli animal, avec son air farouche encadré des cheveux - blonds et bleus délavés - forcément qu’un vigile le remet en question. est-ce qu’il s’était perdu ? nan, nan c’est bon. et sans bonjour ni même s’arrêter la lancée Love s’avance dans le hall, visant les ascenseurs. l’agent lui barre la route. c’est bon j’ai dit ! j’ai rendez-vous - avec qui ? à quelle heure ? Libellule. maintenant. mais oui, c’est ça, bien sûr. mais oui c’est ça bien sûr imitié puéril avec une voix qui moque - vexe le type aussitôt - dehors. nan je vais pas dehors ?? dehors c’est pour les chiens.

oh comment ça ton- rien ? ton chérissime que dalle ? quand tu lui viens d’abord, plus qu’une apparition tu fais révélation : et voilà Libellule ! grande, si grande, en tout cas dans sa tête qui t’a poétisé tandis que Love ne lit jamais de poésie, ni même de livres simples mais sans image dedans. en-dedans sa psyché tu t’étais dessinée façon d’un mythe aimant, une sorte de figure surplombant tout le monde et qui l’avait pioché parmi ce tout le monde - le commun des mortels et des lambeaux de dieux - oui, tu l’y avais choisi parmi quoi ? des centaines ? des milliers d’âmes-vives ? et cela signifiait qu’il possédait une chose, peut-être un charme, en bref un truc plaisant et donc qu’on ne frappe pas, qu’on ne froisse pas même qu’on effleure, toujours, de peur d’y faire un pli. c’était tant inédit pour Love qu’il s’est froidi d’emblée, au tout début de vous, lorsque vous échangiez des mots même pas tangibles via la messagerie. il se disait tu mens. il se disait tu mens et en plus, flemmarde, tu t’en fous tellement que tu me vantes bâclé, genre même pas tu dilues tes mots de pure tendresse avec deux trois insultes histoire d’être crédible.

incroyable Libellule ! trop bonne pour être vraie ! et maintenant qu’il te voit toute en chair et en os - et deux fois plus petite que son mirage de toi, sans canne - Love bat fort tous ses cils ;

mais donc, rien ? comment ça ?

une seconde il est bête parce qu’ahuri des dires - mettant dehors - ah ton cher chien alors ! mais encore, comment ça ? et bien sûr il se sait l’à peu près de son air, Love, son air presque factice si ce n’est pour les yeux - d’un bleu fou naturel - et limite la bouche qui semble en sang si frais, comme s’il sortait à peine d’un dîner carnivore, matin midi et soir. quand même il reste ignare de ton œil satané, totalement inconscient de ta malédiction ;

et donc juste une seconde il est bête comme ceci, et puis d’un coup, s’anime, comment ça- tu dis quoi ? à lui, comment tu parles ? comme aux chiens on a dit ! mais c’est moi ! lui c’est Love ! pas son baptême idiot qui lui croche un sourire mais la situation, tout son absurde obscur, complexe - excessivement pour Love - il finit par pouffer, et s’abandonne son sac en le laissant tomber à la diable et parce que tu plaisantes, forcément ! t’avais raison en fait, c’était pas difficile il croit, il continue d’y croire en si bel imbécile ! le trajet jusqu’ici c’était même plutôt fun… il veut te raconter, déjà, il veut te donner sa chose, son charme - peut-être ! - dans tous les cas ce truc qui l’a rendu ton Love. il te raconte, ça y est, j’ai pris ces machins-là - un Uber comme t’as dit - tu m’as pas dit qu’ils y filaient un tas de trucs ! à boire, manger et tout... quand j’ai capté que je pouvais j’ai tout raflé. le mec a fait la gueule. le chauffeur il veut dire. il veut dire la suite, te raconter la rue et la tronche des gens et comment ils avaient des allures choquantes, ces piétons sans pareil - mais il musèle, au moins un peu - et là ? et là tu ne dis pas ? mon cher Amour, bonjour !

((TW// strong language il parle mal))
il voit, les portes de l’ascenseur s’écarter comme les crocs d’un croque-mitaine en chrome ; et la sienne, de mine, se décolore d’un coup. Love ne veut pas venir, avec toi là-dedans. il ne veut pas y aller. en fait, ce n’est pas même lui qui ne veut pas c’est son ventre, tordu des nœuds vipères qu’on a face à tout flash : d’une mort certaine si l’on traverse une autostrade, s’approche d’un bord de vide ou si l’on suit docile l’inconnu des avenues, tu sais ? celui dont les parents nous disent d’être méfiant. ah, quand bien même les parents de Love n’ont rien dit ! il sent au creux des tripes ton anormalité d’adulte à fuir et vite, en un frisson terrible.

un frisson qui le rend tout étourdi, ensuite, lorsqu’il en ressort et se ramasse son bagage. il vient, oui, il vient comme tu l'ordonnes. et dès lors les parois closes sa gorge l’est aussi, affreusement enclose comme s’il y avait des doigts, peut-être tes doigts, autour. toi le privant des airs parce qu’il t’aurait menti.

tu le méduses. il te regarde.

et te regarde et te regarde et te regarder l’envenime, en plus de le plonger dans un mutisme immense de garçon sidéré d’entendre de tels mots en ta bouche. comme les autres. ta bouche abominable qui vomit de l’abject, erroné qui plus est parce que tu craches des fables ! il n’y touche pas, à ses photos, s’il touche à quelque chose Love ce n’est qu’à lui-même et quand même tu l’accuses ? de t’avoir fait les crasses, de t’arriver tel quel c’est-à-dire tel qu’il est : un cadavre teinté vibrant, peroxydé ; et alors, quoi ? des comme lui il y en a plein les publicités ! là-dehors il a vu : les beautés commerciales ! comme ces femmes qu’on adore tant elles crèvent de faim : mieux qu’en formes, meilleures creuses - émaciées pour ne pas les dire mourantes - non ? c’est pas comme ces femmes-là ? dedans les magazines ou dessus les affiches tu dis qu’on n’y verra pas Love. jamais de la vie.

tu ne le méduses plus. ce terme-là trop faible.

votre huis-clos rouvert et le silence y rentre à présent que tu fermes ta bouche - ta méchante bouche - et la bouche de Love s’entrebâille, rubis grave. une. deux. trois secondes en suspens le temps que la bile monte et alors là, t’es qu’une connasse sifflé - tous ses traits froissent - c’est un cauchemar, Love, une mocheté d’Amour à ton œil de haine t’es vraiment qu’une connasse voilà ! il lâche encore son sac pour avoir ses mains libres malgré qu’elles n’attaquent pas - pas de suite, pas comme ça - elles arrachent les affaires de soi en un geste fou qui fait un bruit furieux. elles tombent entre les deux battants en acier. bloqués béant. comme la bouche de Love, méchante. espèce de connasse, malade - t’es qu’une putain de malade mentale doublée d’une connasse - c’est ça que t’es ! c’est toi ! c’est toi ! la putain de toi-même qui a menti, ici, c’est toi ! c’est toi là pour de bon ? Libellule pour de vrai. c’était toi sa lueur de luciole au lointain, comme son étoile du Nord et sinon sa déesse alors que tu le sais ! tu sais comme il déteste toutes ces sacrées figures ! c’est toi défigurée à qui Love s’écrie c’est toi tu m’as dit viens pour me dire ça t’es sérieuse ? une connasse sérieusement ? sa voix léger tremblante sur les dernières syllabes comme des flammes où la pluie commence à menacer. j’ai fait quoi ? j’ai fait quoi ? putain de rien j’ai rien fait t’es qu’une menteuse et c’est gentil, comme adjectif, enfin retiens surtout que t’es qu’une sale connasse ! c’est toi ! t’es dégueulasse ! et puis sa voix se meurt, sans pluie même ;
Love se tait. et te regarde. toujours. toujours il te regarde.

et c’est comme se trouver en un ventre métallique, nauséeux - ou alors c’est lui-même et ses viscères en vrac qui déforment le décor, le fantasment une bête - et quand même il y reste. te regarde toujours. la mâchoire de machine le recracherait même qu’il resterait encore, Love, immobile où il est car tant que cet endroit vous digérait vous deux il se couvait l’espoir petit, très pathétique, de te voir ravaler ton venin de vipère. lui reverser quelques phrases buvables - des excuses ou des larmes - qu’importe ! quelques choses gracieuses après tout cet ignoble que tu avais vomi.

sur lui. sur Love entier et depuis il se sent si sale ! entièrement crade et tout trempé d’une honte qu’il ne s’explique pas. qu’il conscientise à peine. qu’il ressent juste fort comme si des chiennes d’Enfer venaient du lui lécher ses joues, sa gorge. elles brûlent. elles brûlent et l’abrutissent et le bruit ne l’aide pas, ces bruissements de battant qui s’ouvrent, se ferment, se rouvrent et se referment - sans fin - et lui-même s’étouffe dans son propre parfum, ah, pas celui de la mort ! car il n’en respire rien mais son faux de l’éphèbe : odorant néroli, censé flairer les fleurs seulement il tourne mal, emmêlé au tien. et alors là

alors là tu fais taire cette issue de malheur, alors là vous revoilà quasi-séquestrés ; alors là tu l’attaques, en semonces d’abord - dégluties malgré lui, toutes au goût de mercure - et ensuite en secousse lui fracassant le flanc. presque les côtes. presque son cœur ! et alors là ce n’est plus toi. ce n’est plus lui. ici ce n’est plus même l’ascenseur mais ailleurs : ici soudain c’est un lieu si loin de la ville qu’à tout moment l’on meurt, dévoré par des clebs ou massacré par toi. en fait, si, c’est bien toi. c’est toi - tu m’as frappé ? - mais c’est moi et tu frappes ! une seconde fois, tu tentes mais arrête- vraiment, tu ferais mieux tu vois : s’il t’arrache furax ses affaires des doigts c’est qu’il prévient d’avance, si tu n’arrêtes pas j’vais te frapper ARRÊTE ! et Love n’a pas envie.

haletant étourdi par les fièvres violentes - envers toi - mais c’est toi ! c’est toi qui le détractes. c’est toi qui le condamnes. c’est toi qui le maltraites tandis que c’était toi, tout autant, qui l’aimais. il croyait. c’était toi son idole miroitant les merveilles et même si dans les glaces d’ici tu le dégoûtes, à contrecœur Love t’aime.

à l’instant tu l’écœures tant qu’il te toise en double. en triple. quadruple Libellule, empirée des miroirs - vous le débectez, toutes - à la hâte qui s’étrangle Love tabasse le panneau, appuie sur toutes ses touches en les choquant des paumes. les portes s’écartent. en trombe il sort. en-dehors l’habitable c’est ton étage, à toi, ton royaume dans lequel il demeure un intrus mais tant pis, il y va. aussitôt tourne en rond à chercher son chemin, le moindre échappatoire comme un escalier. il veut partir. il veut partir. il le dit carrément en même temps qu’il s’affole je veux partir suffoque je veux partir et le mur adjacent longé de long en large n’a pas un seul accès débouchant sur des marches, demi-tour donc et je veux partir d’accord ?! sauf que son sac l’encombre, il lâche, marche jusqu’à ton bureau mais plus loin c’est la baie vitrée, suivie du vide, et volte-face C’EST MOI JE TE DÉTESTE qu’il crie comme un animal acculé, en panique, JE TE CACHE RIEN hoquète ARRÊTE ! si tu t’approches il jure, il va te frapper, toi.