Soudain, une explosion. Une petite explosion. Les explosions habituelles. Du nuage de fumée noire, émerge, Jasmin, sa chemise tachée d'huile et les joues souillées de noir, sa clé à molette à la main. Il trottine en toussant jusqu'à la porte qu'il ouvre et au bouton de la VMC qu'il a trafiqué pour gérer ce genre de "petit tracas".

Jasmin ?

Il n'entend rien. Le regard tourné vers sa nouvelle invention. Il tapote du pied, agacé. Il s'est trompé quelque part. Est-ce que c'est un mauvais réglage ? Un mauvais calcul ? Non, puisque Jasmin ne calcule pas vraiment. Les données s'alignent dans sa tête, tout simplement. Parce que Jasmin est la machine, l'ordinateur dont il n'a pas besoin.

JASMIN !
AH !

Il se retourne, manque d’assommer l'employé du Danaé derrière lui.

Woh woh, doucement joli cœur ! Tu veux me tuer ?

Jasmin retire le bouchon d'oreille qu'il a logé à droite et fronce les sourcils.

Pardon, je ne t'entends pas, tu dis ?

Son collègue soupire.

Non rien, le patron t'appelle.

Le visage de Jasmin s'éclaire. Alastor ! Alastor appelle ! Jasmin aurait envoyé balader quiconque l'éloigne de ses expérimentations mais Alastor à un passe-droit dont personne d'autre ne peut se vanter. Il étire un sourire, confirme qu'il arrive. Mais avant, il passe par sa chambre qu'il ne fréquente plus vraiment pour se doucher, passer une des nouvelles tenues volées à Lazare. Les jolies tenues, colorées, qui le font digne mignon du roi. Il passe une boucle d'oreille pendante à son lobe gauche, met un peu de parfum pour femme parce qu'il sait qu'Alastor déteste le musquer. Lorsqu'il pénètre dans son bureau, c'est en frappant doucement à la porte. Il passe la tête, puis le corps dans l’entrebâillement de la porte.

Tu m'as appelé ?

Il avance vers lui, volontairement félin avant de s’agenouiller près de lui et de croiser ses bras sur ses genoux pour y poser sa tête.

C'est ton œil ? Ta canne ? Tu as besoin que je répare quelque chose ? Que je piège quelqu'un ? Il étire un sourire mutin. Que je te piège toi ?

Le faire tomber dans ses filets, l'y garder, le rendre dépendant, pourquoi  pas amoureux, pour ne plus jamais JAMAIS que ces autres vautours ne gagne plus que le pas de sa porte, plus que la froideur de son regard. C'est qu'il ne veut pas être remplacé. Et le meilleur moyen de terrasser la concurrence c'est de cesser de la faire exister. Il veut les élimer, ses autres. Peut-être que certaines inventions sur lesquelles il travaille sont dans ce but.

Qu'il se damne pour le peu d'attention qu'on lui porte, Jasmin. Il a toujours été un enfant envieux, mais Alastor en a fait en plus un enfant gourmand. Sa joue contre sa cuisse, il écoute. Mieux encore, qu'il dit. Ça lui fait étirer un sourire. Il a cœur le zèle, Jasmin, car il en tire une sécurité. Il a compris, avec le temps, qu'Alastor savait récompenser la loyauté et la dévotion. Alors Jasmin s'est fait la brebis la plus zélée et éprit du troupeau. Ainsi, avec le temps, Alastor se laissera de tous ces autres qui vivent pour eux et qui n'ont pas la subtilité de faire croire le contraire.

Ah bon ? Ça m'intéresse.

Il obéi, monte sur son genou pour se loger contre son torse tout en écoutant les instructions d'Alastor. Contre sa chemise légèrement froissée de sa journée de travail, Jasmin rit.

Évidemment que j'ai cœur tes intérêts. Ce sont aussi les miens.

Le fils d’Héphaïstos se penche un avant pour attraper sur le bureau un bonbon dans une petite boite qu'il a lui même posé pour en avoir toujours à porté de main quand il venait. Des fois, Jasmin se contente juste de venir, sans faire de bruit, pour trafiquer des choses en silence ou juste dessiner des croquis. Des fois, Jasmin n'a pas besoin d'être choyé ou qu'on lui parle. Des fois, Jasmin à simplement besoin d'être là, avec lui. Alastor est puissant, invincible. Il a pris l'habitude, Jasmin, de se sentir en sécurité lorsqu'il est là.

Mes compétences vont bien au-delà de celles de tous tes subordonnés réunis. Il déplie le papier de bonbon pour porter la friandise à ses lèvres et glisser, amer. Y compris ta plante verte.

Il enfonce la friandise dans sa bouche avec un sourire, avant de repose sa tête contre son épaule. Alastor a parlé de voler. Jasmin l'a en effet beaucoup fait. Il s'en sent capable. La survie vous rend incroyablement riche de ressource et sa survie dépend entièrement de l'homme sur lequel il est assis.

Très bien. Qu'est-ce que je dois voler et à qui ?

Il lève ses grands yeux bruns aux longs cils vers lui.

Est-ce qu'il faudra que je tue ?

Ce n'est pas posé comme un problème. L'un comme l'autre savent qu'il en est capable.

Jamais.

Oh non, Jasmin n'est pas de ces enfants capricieux et fainéant. La faim justifie les moyens, la faim qu'elle de chair, de richesse, d'amour ou de pouvoir est une raison qui se suffit à elle seule. Il n'y pas de morale à avoir, pas de droiture ou de noblesse. Ce genre de bassesse, c'est un luxe qu'on ceux qui ne manque déjà de rien. La vie n'est qu'une question de celui qui est près à se donner pour avoir. Voilà ce que pense Jasmin. Et Jasmin est gourmand, affamé, insatiable. Aussi, Jasmin est prêt à tout.

Le bras possessif d'Alastor autour de sa taille le fait sentir roi. Docilement, il se cale contre lui, laisse sa tête choir dans le creux de son épaule et son souffle s'échouer dans le creux de son cou.

Je ne serai plus jaloux quand je serais le seul à avoir le droit de gémir dans tes bras.

Mais Jasmin sait qu'on ne gagne pas ce genre de privilège en ne faisait rien. Son regard dérive sur les croquis. Son regard s'écarquille, son cœur se soulève d’excitation. On ne pouvait pas attendre autre chose du fils du dieu forgeron.

Égide souffle-t-il, fasciné. L'égide du roi des dieux...

Il se penche, prend les papiers pour les parcourir, avides, avant de les poser.

Quel est ce fils de Poséidon qui détient une merveille pareille ? Quelqu'un d'important ? Quelqu'un d'aussi grand que toi ?

La vérité, Jasmin n'est pas prêts à l'entendre. Il tourne la tête vers Alastor, glisse ses bras autour de son coup pour souffler contre sa bouche.

Tu l'auras. Je te donnerai l'égide. Et je donnerai une bonne leçon à ton père par la même occasion. C'est irresponsable de laisser traîner ses jouets.

Il étire un sourire.

Donne-moi simplement toutes les informations que tu as et un moyen de franchir les portes. Je suppose que tu n'as pas de contact pour me faire rentrer incognito.

Un aveugle ! Jasmin comprend le cœur du problème, là où l'affront se fait impardonnable. C'était une chose d'honorer un fils de Zeus autre que lui, ça en était une autre de laisser un objet d'une telle importance pourrir chez un infirme.

Jasmin hoche la tête, les colères d'Alastor ne sont pas les siennes, mais il sait qu'il peut en tirer parti pour obtenir son amour et sa loyauté. Alors Jasmin pose lentement sa tête contre son épaule. Il souffle du nez, lentement, inspire, comme-ci il venait de peser sagement le pour et le contre (alors que la décision à prendre était toute trouvée).

Très bien.

Jasmin se redresse un peu. Sur les genoux d'Alastor, le fils du dieu forgeron se cambre pour s'appuyer contre ses épaules et épouser la forme de son torse. Il a borde une mine sérieuse. Il sait qu'Alastor aime la frivolité à petite dose quand on parle de ses préoccupations.

Je saurai faire ça pour toi, oui. Je le ferai sérieusement. Je réussirai.

Décevoir Alastor n'a jamais été une option, quand bien même il sait prendre un risque énorme. Contrairement à beaucoup, ici, il n'a pas le luxe d'une seconde vie. Il fronce les sourcils, en pleine réflexion.

Laisse-moi quelques jours pour étudier le plan de la ville et obtenir les informations dont j'ai besoin sur ce fameux aveugle. Quelques jours, Alastor, et tu pourrais contacter ton homme sur place. Je m'infiltrerai, je trouverai l'Egide et je te le ramènerai.

Il glisse ses mains le long de ses épaules.

À ce sujet, j'aurai un service à te demander.

Il lève les yeux vers lui et pince les lèvres.

Avec ce qu'il se passe actuellement, je me doute que le Danaé ne sera pas épargné par Nausikaa. Viendra forcément un moment où nous devrons nous battre pour garder notre neutralité et notre liberté. J'aimerais que ma mère s'en aille. Elle est vieille maintenant, elle ne rapporte plus autant de clients. Si ce n'est qu'une question d'argent, je peux prendre sa place. Dans tous les cas, j'aimerais l'éloigner d'ici pour sa sécurité. Elle a assez payé les caprices des dieux.

Il s'approche, souffle contre sa bouche.

Tu saurais faire ça pour moi ?