il n’a fallu que quelques jours pour que votre monde soit retourné sans dessus dessous — l’Hydre et le Lion capturés, le coup d'État, la création de nouveaux groupes, l'abolition du titre d’”égaré” - mais les préjugés resteront pour combien d’années encore ? -, la brigade absorbée par les Spartes.
ton entrée chez les Spartes, un de ces ennemis que tu haïssais tant.
parce que Tau était instigateur de ce monde nouveau, un monde plus juste, et pour une fois dans ta vie tu voulais croire que les Cieux n’étaient pas sourds.

tu restes un long moment de l’autre côté de la rue, regardant cet immeuble. Tau habitait ici il y a quelques mois, et tu n’étais pas revenu depuis la nuit où tu l’as aidé à faire ces cartons, où tu n’as pas pu le reprendre des griffes des Olympiens, où tu avais peiné à lui mettre les armes en main. et regarde maintenant ! il est au sommet de tout. alors pourquoi revenir sur les lieux des crimes ?
parce que Seren y habitait encore.

tu voulais faire demi-tour, enterrer les conversations passées, les non-dits et les colères, enterrer tout ça et ne plus jamais en parler. ne plus jamais le revoir. tu es habitué à la douleur, tu te serais habitué à cette douleur, mais tu ne voulais pas. tu tenais trop à Seren pour le laisser partir. tu préférais qu’il te meutrisse le visage, les mains, le cœur, qu’il t’abandonne lui, plutôt que de le faire toi même, plutôt que de faire le premier pas.

tu baisses le regard vers Pachinko, qui t’adresse un regard en retour, avant de le reporter sur l’immeuble. tu soupires et emboîte le pas vers l’entrée, suivit de ta compagne. l'entrée était crasseuse comme celle de ton immeuble à quelques rues d’ici, une cage d’escalier sombre pareille à celle que tu grimpais tous les jours - tu pourrais monter en fermant les yeux tellement tout était pareil ! -, il n’y avait que l’étage qui changeait.

une fois devant la porte, tu la fixes un instant avant de toquer trois fois. Seren ? c’est Dante. le ton mou, comme triste, ponctué par un aboiement de ta husky - était ce parce qu’elle avait entendu vos prénoms ? ou bien par peur d’être oubliée ? - et Pach’. tu rajoutes alors.
qu'il te frappe, qu'il te haïsse, tu t'en fiches, pourvu qu'il te le dise en face.

le temps que Seren mit pour t’ouvrir t’as paru si long, comme s’il s’était figé ou rallongé, tu ne sais pas — c’était donc comme ça qu’on se sentait quand on attendait anxieusement l'arrivée de quelqu’un ? est-ce que Seren s’était senti comme ça à t’attendre pendant un an ?

ton regard passait de la porte, à la poignée, au sol, à Pach’ à tes côtés.
mais quand Seren entre-ouvre la porte, le temps semble d’un coup aller à mille à l’heure. ton premier réflexe fut de tenir Pachinko par son collier, car la miss avait la fâcheuse habitude de rentrer tel un tank dans un appartement à peine la porte de celui-ci était ouverte - la retenant ainsi de justesse de rentrer tête la première dans la porte -. tu relèves le regard vers ton ami (?), constatant que les insomnies vous tourmentent tous les deux mais ces cernes étaient plus marquées.

et voilà le temps ralenti à nouveau, vous regardant dans les yeux avant qu’il ne vous laisse entrer. tu entres donc, toujours quelque peu penché, tenant le collier de la husky, mais prenant quand même la peine d’ôter tes chaussures à l’entrée. ce n’est qu’une fois assis face à Seren que tu la lâches, passant la main sur sa tête, soufflant un assise. auquel elle s'exécute.

le silence te semblait lourd de tant de choses, près à exploser au moindre mouvement, au moindre mot. tu prends la tasse face à toi dans tes mains pour te donner un peu de contenance, la fixes, la fait tourner dans tes mains avant de soupirer. j’vais pas t’mentir, j’ai pas préparé de discours. simple, clair, honnête, comme pour excuser la suite j’m’attendais à c’que tu m’crie dessus, qu’tu m’chasses de chez toi, qu’tu m’frappe mais j’m’attendais pas à ton silence. pourtant tu n’as pas oublié lui avoir dit que tu le préférais ainsi, en statue muette ! j’dois avoir menti… quand j’ai dit que je préférais quand tu parlais pas. parce que c’était quand même solitaire de faire la conversation avec une statue m’enfin c’est pas l’sujet. et quel était le sujet alors ? ou ça l’ai ? tu relèves enfin les yeux vers Seren j’sais pas. tu sais bien qu’j’ai jamais été doué avec les mots… tu soupires, reposant les yeux sur la tasse dans tes mains tu m’en veux et j’t’en veux un peu aussi, et y’a pleins d’autres trucs. mais on s’parle plus depuis un an… et on s’connait plus j’ai l’impression. parce que le Seren que tu avais rencontré l’autre soir n’était pas celui d’il y a un an.

on pouvait lire mille livres, parler à mille personnes et pourtant l’amour devait être ressenti pour être compris, l’amour sous toutes ses formes, la douleur qu’il provoque devait être ressentie, pour être pleinement compris. il fallait apprendre à apprécier sa beauté et sa laideur.
comme il fallait apprendre à apprécier la beauté et la laideur humaine.

le Dante que tu vois le matin dans la glace était bien laid à tes yeux, ainsi Seren doit être le seul à te trouver beau tout abîmé que tu es. comme tu dois être le seul à le trouver beau tout couvert de plaies, le regard aussi cerné que le tien, tout abîmé comme toi. tu devais être le seul à le trouver beau à partir du moment où tu l’as vu, à l’avoir comparé à un ange dans tes pensées.
avec un cœur pourri comme le tien, on ne pouvait s’empêcher d’aimer tout ce qui est abîmer
avec un cœur pourri comme le tien, on ne pouvait s’empêcher de vouloir les garder ainsi, abîmées.
à son image.
l’amour est si laid.

il te semble qu’une éternité soit passée entre le moment où tu étais entré dans l’appartement et maintenant. entre le moment où Seren s’était mit dos à toi et celui où il a commencé à bouger.
Pachinko accepte avec plaisir le bol d’eau et se met à boire bruyamment, rompant ainsi le silence pesant qui s’installe après que tu aies fini de parler. puis vient le bruit du chocolat versé dans les tasses, de la chaise que Seren tire pour s’asseoir puis, enfin, sa voix.

le temps semble reprendre son cours à nouveau.

ses premiers mots te font sourire, te rappelle à quel point votre duo est pitoyable, Seren a commencé à parler si tard et toi, tu n’as aucune aisance avec les mots, chose que tu sembles avoir transmis à ton ami. et comment faire alors pour se dire les choses correctement ? pour se faire comprendre quand les touchés et les regards ne suffisent plus à présent ? bien sûr que je l’aime toujours ta voix. toujours un léger sourire aux lèvres qui disparaît à sa seconde question. j’sais pas, ‘fin si j’sais. tu baisses à nouveau les yeux sur ta tasse, contemple la fumée qui en sort, la dernière fois qu’on s’est vu j’t’ai crié dessus, j’t’ai fait mal. puis relèves les yeux vers Seren excuses-moi. comme toujours. il devrait en avoir marre à force, pourquoi continue-t-il à te courir après ? pourquoi dit-il être content de te voir ? et pourtant, tu ne veux pas partir. parce que tu es content aussi de le voir, de parler avec lui à nouveau.
d’avoir son regard dans le tien à nouveau.

et qu’est-ce que tu veux, toi ?

toi. bel inconnu que tu as vu rire et pleurer, qui t’a offert ses premiers mots - forcés et naturels -, dont la voix rauque résonnait encore dans tes oreilles avant que sa voix actuelle n’y parvienne. être avec toi, comme avant. inséparables mais avec le toi de maintenant, que je veux apprendre à connaître. tu serrais la tasse si fort entre tes mains que la chaleur du chocolat en devenait insupportable, mais tu avais comme besoin de cet inconfort pour t’ancrer à la réalité, pour ne pas te perdre dans tes mots. tu lâches soudainement la tasse, les paumes rougies, passant tes mains sous la table pour triturer le bout d’une manche. enfin s’tu veux bien. ne quittant toujours pas Seren du regard.

l’amour joli et tendre tu l’as connu tout petit et puis tu l’as enfermé dans ton cœur, tu l’avais mis en cage, ne le montrant à personne pour ne pas être blessé. tu le protégeais avec ta nature sauvage, faisant couler le rouge du sang à la place de celui de l’amour. mais avec Seren c’était différent. l’amour tendre et noirci, le rouge des plaies et des mots doux, tout ça se mêlait, coagulait ensemble dans un tout explosif - assez pour briser le verrou de sa cage de fer ?
parce que les cages tu n’en voulais plus entre vous.

tu l'aimes, oui. voilà pourquoi.
tu le voulais lui, son amour, ses bras, ses regards, sa voix, ses mots rien que pour toi mais libres, libres de te blesser, de te soigner et de t’aimer, libres tous les deux, hors de vos cages qui vous rongent. c’est rien t’inquiètes. parce que l’amour est beau et laid à la fois, parce que les marques de blessures laissées au cœur, au corps, aux mains sont des marques d’amour, pour dire “tu es à moi et moi à toi”.

ton regard s'agrandit légèrement par surprise quand il prend tes mains dans les siennes, tu avais soudain peur que tes mains rougies brûlent les siennes. mais tu avais l’impression que les tiennes brûlaient de plus belle, la chaleur se répandant dans ton corps, dans ton cœur. et tu ne pouvais qu’être heureux qu’il veuille (de toi) renouer votre lien, car tu pourras profiter de cette douceur encore.

ton regard reste posé sur vos mains jointes je sais pas, mais ça vaut le coup d’essayer ? regrettant celleux qui vous ont quittés trop tôt, vous pouvez apprendre de ces erreurs passées et ne pas les recommencer. tu laisses Seren défaire son emprise de tes mains et les lier à nouveau. vouloir passer le temps qu’il lui reste avec toi. ça sonnait triste et pourtant cette phrase te remplissait d’une telle joie ! c’est comme si ces mots avaient insufflé une nouvelle envie de vivre en toi. tu relèves le regard vers lui. moi aussi. parce que c’est la première fois que quelqu’un te dit ça, parce que tu veux savoir ce que c’est que d’être avec quelqu’un, quelqu’un qui a envie d’être avec toi, on passera les jours à venir ensemble comme ça c’est sûr, on manquera pas de temps. ré-apprendre à se connaître, créant de nouveaux souvenirs ensemble et re-visitant les anciens, parlant des moments passés loin l’un de l’autre. tu lui souris ravi de refaire ta connaissance aussi. voilà que vous rattrapez déjà le temps perdu en rattrapant les politesses tues il y a dix ans.

et en le regardant dans les yeux, tu réalises que tu ne voulais plus perdre de temps non plus. tu avais de moins en moins avec Pachinko, tu en avais perdu tellement avec ta mère, au camp, avec Seren.
tu ne voulais plus en perdre ni en manquer.

les doigts d’une de tes mains restent entrelacés aux siens, pendant que les autres se détachent, cette main venant se poser sur sa joue. tu as l’air un peu trop sérieux, mais c’est juste que tu n’avais toujours pas de courage pour exprimer les tendresses. puis tu te rapproches ton visage du sien et viens déposer un baiser sur ses lèvres. un baiser léger, rempli de la maladresse des premières fois.

pour l’avoir, le voir, l’entendre pour le restant de tes jours, tu renieras ta Mère et les certitudes qu’elle t’apporte, remplaçant cette déesse par Seren. tu ne jureras que par son nom, n’existeras que pour lui, ne te battras que pour lui, rien que pour l’avoir contre toi, rien que pour le voir si paisible — aurais-tu pu imaginer que l’amour pouvait être plus fort que la colère ? quand l’Amour se loge ainsi dans ta main - semblant si fragile dans cette main meurtrie de tant que maux -, quand il trace le relief de tes cicatrices et ecchymoses comme pour les bénir, quand ton baiser maladroit t’es rendu le double, quand ses mains cherchent à s’accrocher à toi, à te rapprocher de lui - et peut-être que ça te fait mal, mais tu ne sens plus rien -, quand il te rends un regard rempli de toi qui le regarde lui; quand tout cela fait battre ton cœur à mille à l’heure comme jamais avant, comment as tu pu souhaiter l’oublier ?
maintenant, tu voulais que le temps ralentisse son cours, juste pour pouvoir profiter de ce moment avec lui le plus longtemps possible.

t’es bête.

tu te rappelles d’un temps où tu avais imaginé ton premier baiser, ce que tu dirais, ce que la personne en face te dirais, mais jamais tu n’aurais imaginé un “t’es bête”, alors tu ne peux t’empêcher de rire. puis avec ta main, tu relèves son visage pour qu’il te regarde dans les yeux. j’pourrais dire la même chose tu penses pas ? un sourire aux lèvres, mais si c’est toi, ça m’fera pas mal. parce que la douleur tu ne peux plus faire sans, parce que la prise de risques fait partie de ton quotidien. surtout si c’est pour être avec les personnes qui te sont chères. moi je veux plus te faire mal Seren. ces mains qui frappent, pour lui n’auront que des caresses, ces lèvres qui crachent ta colère, pour lui n’auront que des mots doux — est ce que tu y arriveras vraiment ? mais pour l’instant tu scelles cette promesse, cet espoir, avec un baiser, plus doux, plus confiant, que le premier.

tu laisses tes mains glisser dans son dos et se rejoindre à sa taille, et ta tête glisse dans le creux de sa nuque, où tu avais tant de fois chercher le calme ça aussi, ça m’a manqué. tu restes ainsi un instant en silence, les yeux fermés, bercés par la respiration de Seren, avant de demander, je peux rester ici pour la nuit ? parce que je veux savoir tout ce que j’ai raté, parce que je veux commencer cette nouvelle vie au plus vite. puis tu te rappelle que tu n’étais pas venu seul, enfin “on” ? bien que Pachinko se soit déjà installée confortablement, allongée sous la table, somnolente.

derrière la douceur des baisers, vous devinez les crocs et derrière le velour des mains, les griffes - de pitoyables amis à pitoyables amants. l’amour se devine au goût de vos lèvres et pourtant vous n’avez que des mots pour la violence ! tu verras quand il te fera mal, tu verras quand tu rendras la pareille, vous verrez qu’après comme des bêtes sauvages vous lécherez les plaies ouvertes par l’autre et vous essurez le sang de vos mains en vous soufflant des mots d’amour, des excuses, des promesses à briser plus tard — “ces joies violentes ont des fins violentes”, et vous l’avez déjà accepté.

tu l’acceuilles avec une étreinte, le laissant se loger contre ton cœur - est ce qu’il entends comment il bat fort pour lui ? -, posant ta tête sur la sienne, merci. tu pourras aussi venir chez moi autant que tu voudras, et rester aussi longtemps que tu voudras. et peut-être que l’un de ces deux appartements décrépis deviendra “chez vous” ou bien vous installerez vous autre part ? est ce que tu avais le droit d’espérer une vie tranquille à ses côtés, loin des troubles de Nausikaa ? pour l’instant tu profites de la tranquillité actuelle, resserant ton étreinte autour de Seren.

mais quand Seren se redresse pour se saisir de son téléphone et écrire son message, tu le laisses faire gardant tes bras autour de lui, Elinor ? c'est qui ? étonné d’entendre qu’il partageait un appartement avec quelqu’un, lui pourtant si solitaire dans tes souvenirs. ton coloc j’imagine, mais… ‘fin… vous vous êtes rencontrés comment et tout ? j’suis juste curieux. et peut-être un peu jaloux. et non du coup j’ai rien pris, ne pensant même pas pouvoir entrer dans son appartement en arrivant ici, mais j’peux passer chez moi prendre des affaires, sinon j’peux juste t’emprunter un t-shirt…