Mélange subtil de matériaux nobles, le granit et le marbre se juxtaposent sous tes pieds dans un jeu de couleurs et de textures sans équation. Ivoire qui étincelle, reflétant la lumière de l'extérieur tandis que les veines sombres du granit, puissantes et profondes, s’enchevêtrent en un réseau complexe, telle une toile de maître.

Le sol, ainsi conçu, est un spectacle en soi, invitant les visiteurs à s'arrêter et à le contempler. Toi qui côtoies l’Ecclésia de manière quotidienne, tu n’arrives plus à t’impressionner devant ce travail. Tes pas résonnent, à peine audibles, sur ce sol si parfait, comme une caresse qui glisse sur la surface satinée.

Fin d’une assemblée, tu portes ton masque à la main, celui qui cache les fins traits de ton visage aux yeux de tes frères d’armes. Encore une fois, impression de ne servir à rien, de n’être que le chien des autres ambassadeurs. Aucune force de décision, si ce n’est qu’un maigre vote qui servira aux intérêts d’un parti quelconque.

“ — Putain.

Un souffle, un soupir, maintenant que tu te penses seul. Cette fois-ci, c’est l’opulent héritier du trône de la déesse du désir qui est venu quémander pour ta seule et unique qualité. Plus jeune, tu ne le voyais que comme un objet d'affection. Un que tu enviais par sa beauté, de la volupté de ses fines lèvres.

Sur le porche d’une des entrées, tu respires l’air frais, tranquillement. Envie de parler à quelqu’un, mais qui voudrait t’écouter - tu n’es que le misérable fils d’Hypnos, un enfant maudit.

Quelqu’un qui a sa place dans l’Atè District.

Des sucreries à l’oreille, tu la reconnais cette voix si douce. La vilaine sorcière de ces bois, celle au timbre mielleux. Elle t’invite à converser, à dévorer les bâtisses de sa maison. Caramel coulant, celui que produit sa gorge, tu ne lui dis jamais non. Elle, qui profite de ta non-volonté de résister aux caries que ses douceurs vont t’apporter, quand va-t-elle te pousser dans son fourneau pour te dévorer ?

Dos qui se redresse, comme pour paraître plus convenable. Une manière de te donner à lui. Le masque qui se dessine entre tes doigts te semble désormais inutile, puisque tu t’offres avec autant d’aise à ton collègue.

“ — Nate. Que puis-je faire pour toi ?

Timbre sage, presque froid, comme pour au moins lui faire croire que tu n’es pas une cible facile. En réalité, s’il te tend la pomme de la discorde, tu la porteras à tes lèvres sans même le questionner. Les Troyens avaient peut-être raison de soutenir Aphrodite.

Addiction à la bouche, tu ne peux qu’apprécier l’ironie de cette scène. Troubles du sommeil en bâton, nicotine que tu n’es pas sûr de vouloir respirer. Ah, un accessoire qui le siège parfaitement.

“ — Je suppose que nous pouvons dire cela, oui.

Une berceuse, une pour endormir ton esprit. Tu ne lui en veux pas pour autant. Tu es presque certain qu’il ne te parle que pour ce qu’il convoite chez toi, pourtant, rien que pour son bonheur, tu le laisses te tourmenter.

Il est une des rares personnes à te considérer dans cette bâtisse et il n’est jamais ouvertement mauvais avec toi. Tu espères un jour qu’il puisse réellement te voir comme un collègue, un confrère.

“ — Je suis curieux de savoir où tu veux en venir, avant de te répondre.  

Ton dos frémit à son contact. Tu ne sais dire si tu apprécies ou non la pression que représente ses phalanges sur ton corps. Regard un peu fuyant, tu dois admettre que l’assaut est tout de même efficace, pour quelqu’un qui prétend résister.

Artiste de la parole, orateur hors-pair. Ses mots sont comme des lames pointées en ta direction. Forcément, pour n’importe qui, il est naturel de se mettre sur la défensive, dans un premier temps. Prendre en compte chaque mot, retourner sa langue avant de promettre des montagnes. Tu ne vas pas mentir, il te captive, par sa finesse, par sa grandeur.

“ — Je te donnerai une réponse avant la fin de la discussion.

De quoi retirer quelques informations, de quoi ne pas t’avouer perdant. Tes traits peu expressifs ne le démontrent pas, mais tu commences déjà à tomber dans la danse de ce joueur de flûte qui te mène à la baguette. Menteur et flatteur, peu à peu il t'endort, mais tu le savais, au final, tu n’avais aucune chance.

Des intentions qui ne te semblent pas vraiment faire sens, qui attisent ta curiosité. Tu ne prêtes pas attention au temps accordé à tes confrères, mais tu pourrais mettre à ta main à couper qu’il est loin d’être à plaindre. Il n’empêche qu’il te fait ressentir une certaine forme d’empathie, une envie de l’entendre un peu plus, même si ce n’est que pour quelques secondes.

“ — Je dois, cependant, m’admettre surpris. Ta voix n’est pas entendue ? Les olympiens ne te traitent pas bien ?

Une frustration qu’est celle de n’être un objet de décoration pour les ambassadeurs, certes. Tu ne sais pas si tu as envie de te battre pour avoir plus de droits, bien que les égarés te regardent déjà en mal pour cette manière de penser. Tu peux au moins servir d’épaule à quelqu’un qui se considère dans la même situation, puisque tu comprends ce que cela fait.

“ — Je suppose que tu as un plan en tête, vu ce que tu me dis.

Tu tentes de lui offrir un sourire amical, comme pour te montrer ouvert à la discussion. Le résultat n’est pas le meilleur, tu n’es pas vraiment connu pour tes capacités sociales. Un peu mal à l’aise, en plus d’être un peu intimidé par sa prestance, tu passes ta main sur ta nuque, avant de glousser discrètement.

“ — Il y a des bruits qui courent. Que ceux dans l’ombre n’en peuvent plus de ne pas goûter à la lumière du jour.

L'homme que tu admires est une figure qui ne passe pas inaperçue. Il dégage une aura singulière qui attire les regards, fascine et intrigue à la fois. Sa beauté, sa prestance et son charisme sont autant d'éléments qui contribuent à forger cette impression de perfection qu'il dégage. Un peu plus insistant, tu l’interpelles, de mots d’une brutalité qui ne t’est habituelle.

“ — Je ne peux pas t’apporter mon soutien, pour le moment.

Empreinte indélébile sur tout ce qui l'entoure, son parfum. Dès qu'il se fait sentir, il envahit l'espace et prend possession de tes narines, te laissant presque étourdi par sa puissance. Tes yeux se portent sur sa nuque si bien dessinée. Tu en oublies presque ton combat, ta tentative de te défendre.

“ — En revanche, je suis prêt à prendre un risque et accepter cette proposition. Pardonne mes méfiances.

Un marchandage. Une voix douce et hésitante, comme si elle avait peur de ne pas être entendue, comme si elle avait besoin de se rassurer elle-même en parlant. Empathie qui se lit sur ton visage, comme si tu voulais réellement prendre cette main qu’il te tend, cette volonté de te rapprocher de lui.

“ — Et tu peux l’avoir, cette épaule sur laquelle te reposer, si un jour tu mets fin à ce pacte avec les olympiens. De quoi ne pas tomber avec eux, quand le temps viendra.

Un sourire tendre, comme amical. Chaleureux et bienveillant, comme une lumière qui éclaire la route dans les moments les plus sombres. Une expression rare qui se dresse sur ton visage. Foi en l'avenir, une conviction profonde que les choses peuvent peut-être s'améliorer.

Peut-être es-tu tombé dans un piège, dans les épines d’une belle rose, mais l’idée de savoir qu’une personne resterait à tes côtés est une tentation à laquelle tu ne peux résister. Tu veux au moins un seul ami, avant de rejoindre les Hadès.

En observant son visage, tu te remets en question, tu te demandes si tu aurais pu faire mieux, si tu aurais pu éviter cette situation. Tu te sens impuissant face à cette déception, et tu crains les conséquences de tes actes ou de tes paroles.

Au moins, tu as su t’imposer en tant qu’égal de ce dernier, tu espères secrètement qu'il respecte la distance que tu souhaites mettre, afin de baser votre relation sur un échange sain, où vous pouvez construire votre confiance l’un pour l’autre avec le temps. C’est ce que tu cherches chez lui, un confident.

Tu ressens un léger sourire qui s'étire sur tes lèvres, tu te sens léger et détendu, comme si un poids avait été enlevé de tes épaules. Dans ses yeux, tu ne peux lire que le début d’un bel avenir. Tu ressens une chaleur envahir tout ton être, une sensation de bonheur intense qui s'intensifie peu à peu.

Tu te sens serein à un point que tu n'as jamais connu auparavant, et tu réalises que cela semble être un peu trop. Submergé par cette vague d'émotions positives, tu ne peux pas t'empêcher de faire couler une ou deux larmes.

“ — Nate…

Tu commences à remarquer des signes de manipulation subtile, des indices qu’il cherche à te contrôler. Ce n’est pas le statu quo, tu ne te laisses jamais avoir par tes sentiments. Tu essayes de retenir ta respiration pour contrôler les tremblements dans ta voix. Tu fermes les yeux pour te concentrer sur cette émotion qui te submerge, et tu sens la chaleur de tes larmes couler sur ta peau.

Une situation malsaine, pourtant tu ne sens pas le besoin de sortir de cet état d'emprise. Tu te laisses abattre par cette sirène, celle qui est en train de t’utiliser comme une marche dans son parcours.

“ — J-je te soutiendrai.

Tu luttes pour maintenir ta contenance. Mais malgré tes efforts, tu ne peux pas retenir tes émotions qui sont devenues trop fortes. Tu éclates en sanglots, tes larmes coulant librement sur tes joues. Tu ne crois jamais avoir pleuré avant, en public.

“ — De te savoir à mes côtés, je suis heureux de pouvoir t'appeler mon ami…

Tu éprouves de la honte envers toi-même d'avoir montré cette vulnérabilité à Nate, mais en même temps tu te sens incapable de ne pas te confier à lui et de ne pas accepter son étreinte réconfortante. Tu abandonnes toutes les défenses que tu avais érigées autour de toi pour te protéger, au fil du temps.

Toutes les fois où tu t'es senti faible et impuissant te reviennent en tête. Tu as l'impression que chaque fois que tu as tenté de faire preuve de force, la vie t'a renversé et t'a forcé à te mettre à genoux, à implorer. Tu te sens vidé, mais cela t'apaise d'une certaine manière. Les larmes ont purifié ton visage, emportant une partie de ta douleur et de ta tristesse avec elles. Il est épuisant de lutter.

Sensation amère dans la bouche, comme un goût désagréable qui se mêle à ta salive. Tu ne peux pas t'empêcher de trouver un certain confort dans cette sensation d'être utilisé. Tu te sens comme un pantin entre les mains de quelqu'un d'autre, une sensation que tu choisis d'accepter. On prend soin de toi, on te manipule avec douceur, on te donne l'illusion de sécurité. C'est tout ce dont tu as besoin en cet instant.

“ — Je sais.

Tu inspires profondément, essayant de calmer les battements de ton cœur qui s'agitaient encore il y a quelques instants. Tu te concentres sur les paroles réconfortantes de Nate qui résonnent doucement à tes oreilles. Sa voix est comme un baume sur tes plaies, t'aidant à te sentir un peu mieux.

“ — Est-ce que tu as peur, des monstres qui t’entourent ?

Ton regard se fait plus distant. Tu ne ressens plus la même proximité qu'avant, et pourtant tu ne peux pas détourner les yeux. Une certaine méfiance s'installe, simplement parce que tu es désormais libre de la laisser s'installer.