Une rencontre dans un endroit qui n’appartient qu’à toi. Tu vaques dans cette bâtisse douloureuse et froide, qui cache les murmures de tes cachotteries. Encore une fois, tu viens l’entretenir, le palais des songes. Lys, symbole de pureté, celle que les mortels pourraient qualifier d 'immaculée. Trois fleurs, trois boutons sur le point de s’ouvrir. Tu n’es plus ambassadeur, mais archange, Gabriel.

Le jardin intérieur, le lieu qui abrite en son sein le temple d’Hypnos, un lieu qui ignore tout du monde extérieur. Dans ce bosquet contrôlé, il n’y a que toi pour en profiter. La pénombre de cette chambre rivalise avec le jour, reflet d’une jeunesse insouciante. Cependant, tu l’entends, l’intrus, l’indigne de ce lieu.

Le monstre sous le lit.  

“ — Je ne pensais pas devoir me méfier de l’obscurité, à mon grand âge.

Un souffle, celui de ton nez. Peu à peu tes paupières se ferment. L’âme d’un guerrier aux yeux endormis, celui qui entend pendant que les autres ne voient pas. Tu ne te laisseras pas surprendre, pas une seconde fois. Autre intérêt, satisfaire ta non-volonté d’admirer ses traits, de te laisser influencer par ton confrère.

Sa présence t’ennuie un peu.

“ — Est-ce si rare que cela ?

Pupilles dilatées, tu lui offres de nouveau la vision sur des yeux, ceux qui t’appartiennent. Reflets bleutés, une impression d’entrer dans un rêve éveillé. Une hallucination.

Ce jardin de tranquillité, tout ce qui vous entoure, le monde se transforme en désert sans fin, à l’horizon qui ne semble montrer aucune perspective. Un lieu sans aucune forme de vie, à part pour vous deux.

Le temple est encore là, impossible à saisir, à palper.

“ — Est-ce réellement important ?

Aucune malice dans la voix, une fatigue.

“ — J’opère dans la Nausikaa endormie. Mes adelphes peuvent me joindre à tout moment.

“ — Une démonstration. Le monde ne s’arrête pas à ce qui peut être vu, ce qui peut-être entendu.

Sable blanc, comme la neige, crispé par le gel, figé dans le piège de ton illusion, tu le regardes se mouvoir sous ses pas. Lumière tamisée, celle du royaume lunaire, une beauté subtile qui t’est souvent associée.

“ — Je sais ce que c’est, de tout entendre. Alors cette voix, la mienne, n’est qu’une projection pour ton cerveau. Une discussion en privé, si tu préfères.

Un ton calme, presque diplomatique. Loin de cette image de grande famille que ton interlocuteur veut instaurer. Une impression d’éternité dans tes yeux, qui ne sont désormais que deux obsidiennes dans ce décor si sobre.

Une expression qui ne change pas, qui marque par sa neutralité. Comme si tu n’étais qu’une marionnette - comme si tu voulais cacher ta vulnérabilité. Tu ne fais qu’un avec ce paysage endormi.

“ — Je ne peux pas te reprocher ces questions. Le changement, la distance, deux notions terrifiantes.

Un soupir, presque épuisé de devoir discuter de tes objectifs, de ce que te réserve les moires. Encore plus de devoir montrer de l’empathie, de convenir au fait que tes intentions n’entrent pas en opposition avec ton rôle de représentant.

“ — Toi et moi sommes des personnes bien différentes.

Une droiture qui se perd peu à peu, comme pour démontrer une volonté de t’ouvrir, de te montrer moins sous cette image de poupée sans vie.

“ — Ce n’est pas la réponse que tu veux, mais si cela peut te rassurer, je n’ai pas oublié qui nous sommes et qui ils sont.

“ — Est-ce que tu crois que cela m’amuse ?

Le cœur palpite, les mains tremblent imperceptiblement, les lèvres se pincent légèrement. Tu ressens cette boule dans ta gorge, qui menace de tout faire basculer. Mais tu refuses de la laisser prendre le contrôle. Alors, tu gardes un visage neutre, tu redresses légèrement les épaules, et tu affiches une attitude résolue.

“ — Si je ne plie pas le genou, alors ils trouveront une autre excuse pour s'en prendre à mes frères et mes sœurs.

Tu te sens agacé et tu ne peux pas te retenir de montrer ton mécontentement. Tu fermes ta bouche et tu claques de la langue, produisant un bruit sec et court. C'est un geste rapide et impulsif, presque instinctif, qui montre ton impatience. Il sait s’enfoncer sous ta peau, comme personne ne sait le faire.

Tu sens sa main qui se pose délicatement sur ton bras, et aussitôt tu ressens une sensation réconfortante qui te traverse. Presque chaleureuse, comme pour te faire croire que tu n’es pas seul. Qu’il y a de la lumière au bout du tunnel.

“ — Emon…

Tu sens tes paupières lourdes, et tu décides de fermer les yeux un instant pour prendre une profonde inspiration. Il a tapé dans le mille, de manière à révéler les craquellement de la porcelaine qu’est ta chair.

“ — Si tu savais la manière dont ils m’ont toujours traité.

Ta voix se brise doucement en un sanglot, comme une note de musique qui s'effiloche dans l'air. Ta gorge se serre, ta respiration devient saccadée et tu cherches désespérément à contrôler tes émotions. Mais malgré tes efforts, ta voix reste douce et empreinte d'une infinie tristesse, comme une caresse sur une blessure à vif.

“ — Même si je voulais tout détruire, je ne suis qu’une poupée décorative pour les autres ambassadeurs.

Tu ressens un vide dans ta poitrine, un besoin de sécurité et de réconfort. Ton corps réclame une étreinte paternelle, une présence forte et rassurante pour te protéger. Tu aimerais pouvoir te blottir dans les bras de cette figure protectrice, te laisser bercer par sa voix rassurante et sentir sa chaleur enveloppante. La maudite influence de David sur toi.

“ — Alors, nous sommes ensemble.

Avec une assurance qui t’est rare, tu reprends, comme pour marquer une distance de sécurité à cette loyauté que tu offres, après tout ce temps.

“ — Mais pas en public. Pas tant que le système actuel est en place.

Le temps passe inexorablement, et avec lui, la façade derrière laquelle tu te caches s'effrite peu à peu. Les cicatrices, les rides, les imperfections, tout cela se révèle au grand jour, laissant transparaître la véritable nature de ton être.

Pourtant, malgré cela, tu hésites encore, te demandant combien de temps tu pourras tenir, et si tu peux réellement faire confiance à quiconque, sachant que le moindre faux pas mettrait en péril le bien-être de tes adelphes.

C'est alors que la main d'Emon se pose sur ton bras, douce et réconfortante. Ses doigts glissent avec une tendresse inattendue sur ta peau avant de se poser sur ton menton, t'obligeant à soutenir son regard profond. Tu te sens vulnérable, presque envoûté par la douceur paternelle qui émane de lui.

“ — Tu as raison.

Une fois que la confiance est restaurée, tu sais que tu as une mission à accomplir. Tu dois transformer ta douceur en une arme, un catalyseur de confiance capable d'unir les Olympiens autour de toi. Désormais, tu seras le pilier sur lequel tous pourront s'appuyer en toute sécurité, une force d'unité et de cohésion pour tous ceux qui ont besoin de toi.

Qu'ils te voient comme une poupée décorative, incapable de trahir, incapable de violence, que ta tendresse tue lentement tel un venin dans le sang, que le miel s'engouffre dans leurs poumons.

Amère discussion.

“ — ...

Le vent souffle doucement, faisant frissonner les mèches de tes cheveux et emportant avec lui le sable fin.

“ — Je n'ai pas la volonté de punir, ni de tomber au niveau de ceux qui cherchent à imposer leur supériorité. Je n'ai pas non plus l'intention de chercher une quelconque compensation ou vengeance.

Tu marques une pause, laissant tes mots flotter dans l'air avant de reprendre.

“ — Je souhaite une paix qui transcende les conflits et les divisions, qui unit plutôt que divise, qui guérit plutôt que blesse.

“ — Ma loyauté est exclusivement envers mes frères. Je te le jure sur mes mots, quel que soit le monde où nous nous trouvons.

Le silence s'installe, qu'il te laisse tranquille. Le temps de te redresser, de reprendre ton assurance. En tant qu'ambassadeur, tu te montres fier, droit, déterminé. Sans aucun doute, tu te présentes avec aplomb, sans craindre de le confronter à nouveau. Un accord vient d'être scellé verbalement, sans preuve autre que la confiance mutuelle. Tu as bien trop en jeu pour même envisager de douter de tes intentions.

“ — Si l'occasion se présente, je pourrais envisager de me salir les mains. Ainsi, je te conseille de tourner ton regard vers l'avenir.

Le monde se déverse telle une peinture fraîche qui n'a pas eu le temps de sécher. Le ciel se noie dans un mélange de nuances de gris. Le sable se mêle, pour ensuite peu à peu s'effacer dans un paysage plus familier. Vous voilà à présent dans le temple du dieu du sommeil. Un sanctuaire empreint de mystère et de quiétude, où le repos éternel semble régner en maître.

“ — Je n'ai pas l'intention de faire souffrir, mais j'ai des objectifs à atteindre, et je ne laisserai rien m'empêcher d'y parvenir.

Le souffle court, tu t'avances dans la pièce baignée d'une odeur presque médicinale, empreinte de mystère, comme si sa présence échappait à toute évaluation. Ton dos tourné à l'entrée, tu progresses silencieusement vers l'autel de ton parent divin. Le regard vide, tu te perds dans tes pensées, anticipant ce qui va suivre, imaginant déjà le mensonge que tu devras tisser.

C'est pour le bien commun, tu te rassures intérieurement. Tu es celui qui œuvre pour la sérénité, celui qui portera la paix tant désirée par tous, mais pour laquelle personne ne parvient à exprimer les mots justes.

“ — Quand l'occasion se présentera, je reviendrai à tes côtés. Peut-être me parerai-je même du nom d'égaré. Pour l'instant, je vais me faire discret, comme à l'accoutumée.

Tu viens dire au revoir à ce temple, du moins le temps de quelques mois.