Tu avais guetté les gradins tout le long du spectacle, mais il était introuvable. En fait, plus qu'introuvable, il n'était tout simplement pas venu. Le fils de pute. Te poser un lapin, à toi ? Furieux, tu avais combattu. Et qu'importent les clameurs de l'arène, c'est à peine si tu les as entendues. Tu es connu pour avoir la rancune aveugle et tenace. Quand on te gâche ta joie, ce n'est pas pour la retrouver dans les heures qui suivent.

La fin des combats avait sonné. Tu jettes ton équipement dans ton casier et remballes ton sac. Pas un mot pour Seraph, encore moins pour Cecil s'il est là. La seule que tu as lancée, destinée à qui pouvait l'entendre c'était :

— Je me casse, tchao les nazes.

Et tu étais parti. Ta destination est simple : son appartement. Tu assumes que ce rat est terré dans son trou. Tu le connais depuis maintenant trop longtemps pour croire qu'il est doté d'une vie sociale qui excuserait son absence. Qu'importe que le chemin soit long. Tu ne passes pas par chez toi pour te changer, encore transpirant de sueur et vilaine écorchure qui te barre la joue. Tu veux le voir, lui. Surtout, tu veux voir de tes propres yeux ce qui l'a retenu. Alors quand tu finis par arriver devant sa porte, tu ne fais pas de manière pour signifier ta présence.

— HE LE CADAVRE ! EZRA, OUVRE CETTE PUTAIN DE PORTE JE SAIS QUE T'ES LÀ !

Un coup. Deux coups. Trois coups. Et la porte cède. Tu restes interdit une seconde en voyant la voyant percuter le mur à côté de toi.

— Merde.

Les appartements de pauvres, aussi.
Tu relèves les yeux vers Ezra. Tu vois, lui, dans le noir, son putain de pc sur les genoux. Ah, c'était donc ça. Tu fais un pas dans l'appartement, claques la porte d'un coup sec.

— Ouais, ouais, ta porte, c'est bon je la remets en place. Mais c'est ton vieil appart, là. Tout tombe en ruine, tu ne veux pas déménager ?

Tu te tournes vers lui et le toise sans vergogne. Il est bien plus grand que toi, il n'empêche que pas une fois tu n'as eu à faire d'effort pour te faire plus imposant.

— Ouais, j'ai un problème ouais.

Tu jettes ton sac dans l'entrée, comme-ci t'étais chez toi.

— T'es pas venu. Je me demandais ce qui te retenait. Visiblement t'es encore occupé à être payé à rien foutre ?

Tu souffles du nez, fier comme un bœuf. Comment il peut poser la question ? Évidemment que t'as gagné. C'est d'une telle évidence que tu ne prends pas la peine de le souligner. Quant à ce qu'il en est de la porte et de son appartement miteux...

— Si tu trouvais un vrai taff aussi, tu pourrais habiter ailleurs. Si t'intégrais le Clan, aussi...

Tu glisses un regard lourd sur lui. Ce n'est pas la première fois que tu lui proposes. Le cadavre est dangereux quand il se met en colère, t'en a été témoin. Tu trouves ça dommage qu'il se complaise et se réduise à son rôle de victime lorsqu'il pourrait être plus... Bien plus. N'a-t-il pas envie de se battre ? Ne se sent-il pas pleinement vivant quand il hurle et frappe ? N'est-il pas comme toi ? Tu souffles.

— Tu as oublié.

Ton regard se pose sur l’ordinateur portable derrière lui.

— Tu regardes encore une de tes séries nu-

Son geste te surprend. Tu fais un pas en arrière, par réflexe, mais fini par te laisser toucher. Tu entrouvres la bouche, mais grognes à son sous-entendu. Tu prends son poignet entre tes doigts.

— Comment ça battu à plate couture ? Tu me prends pour qui ? Je lui ai explosé sa grosse race.

Tu désignes la cicatrice du doigt.

— Ça, c'était pour le spectacle. Mais tu le saurais si tu t'étais pointé.

Tu tires sur son poignet pour le rapprocher de toi. Tu le forces à se baisser un peu pour vous faire vraiment face.

— Mais je note que tu t'inquiètes pour moi, choupette.

Tu souris, fier de ton insolence, encore plus fier de le voir y réagir. Tes doigts toujours à son poignet, tu sens doucement son pouls. Tu souffles, penches légèrement ta tête sur le côté.

— Précisément. Je les défonce tous.

Tu le lâches doucement. Qu'il soulève des faits ne le sauvera cependant pas. Tu es rancunier, Midas, est trop bon au jeu des fixettes. Tu regardes son appartement. Miteux, tu ne comprends pas pourquoi il accepte de vivre comme ça.

— C'est votre problème à vous autres. Soit vous vous écrasez, soit vous voulez vous faire voir en vous montant contre tout le monde, c'est ridicule.

La solution est pourtant tellement simple. Tu le dépasses, viens poser ton cul sur le canapé et tapoté la place à côté de toi. Tu étires tes bras derrière ta nuque. Tu fais vraiment comme chez toi, le culot ne t'étouffe pas, il te fait respirer.

— Si tu venais, tu pourrais changer la donne. Mais je comprends, c'est plus simple de rester le cul visé sur ton canap à regarder la dernière saison d'Elite. D'ailleurs, tu matais quoi ?

Tu prends son ordinateur portable que tu ouvres.

—J'espère c'était bien nul.

Tu te retrouves face à un écran demandant un mot de passe. Tu fronces les sourcils, tu ne crois pas le connaître. Tu lèves la tête vers lui, lui tend le portable pour qu'il le rentre.

— T'as de la bière ? J'ai soif.

Une série d'horreur. Il t'a posé un lapin pour une série d'horreur. Tu l'observes, véritablement septique. En comptant la bière absente, tu te demandes bien ce qui te retient chez toi. Lui peut-être.

— Si ton taff te paye pas assez pour t'acheter de la bière tu devrais peut-être en changer ? Viens balayer à l'arène. Tu vois des choses dégueux mais je t'assure qu'à la fin du mois tu peux te payer ta tournée.

Mais tu te doutes qu'il n'écoute pas. Tu trouves ça stupide, mais tu as appris à accepter qu'Ezra était du genre bouché. Tu rattrapes la canette au vol. Du coca. Tu hausses les épaules, l'air de dire que c'est mieux que de l'eau. Tu ouvres la canette, le sucre vaudra jamais l'alcool mais, bon, tant pis. Tu descends quelques gorgées, bruyamment comme à ton habitude. T'as jamais su être discret, t'as besoin qu'on remarque ta présence jusque dans les boissons que tu consommes.

Puis, vient la question.

— Hm ?

Tu l'observes s'asseoir. Tu te méfies. Tu es plus habitué à le voir te virer et grogner que curieux. Et t'es pas déçu. Ça non. Tu termines ta canette et l'écrases entre tes doigts, un sourire inquiétant sur les lèvres.

— Si je tiens en laisse mon clan et que j'arrête les descentes dans Até constamment, qu'est-ce que tu ferais ?

Tu hausses un sourcil, l'invites muettement à assumer la porte qu'il a entrouverte. La vérité c'est que ça ne tient pas qu'à toi. La vérité c'est que c'est Seraph qui décide. La vérité c'est que t'as pas non plus envie. Votre force est votre fer de lance, sans elle qui sait ce que vous deviendrez. Si tu descends ici, c'est parce que les déglingos d'Até ne sont pas que des gentilles victimes. Mais ça, tu lui dis pas. Tu te contentes de laisser tes doigts se glisser sur sa cuisse alors que tu souris.

— Je t'écoute. Qu'est-ce que tu ferais ?

Il répond sérieusement et ce n'est pas ce à quoi tu t'attendais. Déstabilisé, tu pensais instaurer le jeu du flirt, le faire rougir, s'enfoncer dans le canapé pour fuir ton sourire. Mais il répond. Et comme à chaque fois, t'as des solutions toutes faites pour tout.

— Bah mets des bouchons d'oreilles, t'es con aussi.

Tu t'excuseras pas du bruit. C'est plus fort que toi et trop instinctif pour que ne puisse qu'envisager y faire attention. Toi, tu hurles. Pour te faire entendre et voir, tu hurles. Pour expulser tout ce qu'il pulse au rythme effrangé ton palpitant, tu hurles. Il te semble que si tu ne le fais pas, tu n'existeras pas.

Ezra, lui, baisse les yeux. Tu l'observes, bête curieuse. Il est enfermé, programmé pour ne pas savoir. Quelque part t'a pitié de lui. Quelque part tu trouves ça adorable. Tu te demandes quelle gloire ce serait de le faire sortir de sa cache. Tu te demandes à quel point ça te rendrait heureux d'avoir de la reconnaissance dans son regard. Hm.

Ton regard s'échoue sur la main qu'il a posée sur la tienne. Doucement, tu fais glisser un de tes doigts contre les siens.

— Le truc, le cadavre, c'est que c'est pas moi qui décide.

Tu te lèves soudain, frappes ton torse.

— C'est en nous, tu vois ?

Tu te sens à l'étroit entre ces murs. Tu te sens à l'étroit pour lui. Comment est-ce qu'il peut ne serait-ce que respirer ici ? Toi, tu te serais flingué depuis longtemps. Non, t'aurais abattu les murs depuis longtemps.

— On n'est pas n'importe quoi. C'est dans nos gênes, dans notre sang. Ici, on nous bride à nous forcer à vivre une petite vie proprette de monsieur tout le monde... Mais on est pas n'importe qui, tu captes ?

Tu fais quelques pas dans l'appartement, véritable lion en cage qui s’agite, hyperactif, a agiter les bras comme pour si l'idée de te poser t'étais insupportable. Soudain, tu te tourne vers Ezra.

— C'est pas à nous que tu devrais en vouloir. C'est à eux, là-haut.

Tu viens te pencher sur le canapé, une main sur l'accoudoir, l'autre sur la tête du canapé pour l'encadrer.

— J'ai besoin d'être moi, d'adrénaline et y a qu'ici que je peux en avoir. Si je me bride davantage, je vais péter un câble, Ezra.

Tw : appel au suicide, psychophobie

Et tu comprends en quoi c'est un problème. C'est d'une telle évidence, que tu n'as à lui offrir que le regard qu'on réserve à ceux qui importune avec des questions bêtes. Bien sûr, que tu es des leurs. Tu es l'essence même du clan. À quoi d'autre pourrais-tu appartenir ? Entre les lâches et les victimes, tu ne te vois pas vivre. Et tu te vexes, qu'il ne le comprenne pas.

— Et quel autre choix, j'ai ? Je devrais renier ce que je suis pour rentrer dans le moule ? Whoua, c'est que ça te réussit tellement bien, choupette.

Et tu as, tu dois l'avouer, un certain mépris pour lui. Lui qui boue en permanence devrais comprendre. Renier sa nature, censurer ce que l'héritage du sang exige de nous, c'est stupide. Cette façon qu'ils ont tous de s'écraser ou d'imposer une vie sans saveur te dégoûte. Si ton père à ne serait-ce qu'une fois dans sa vie pleurée, tu es persuadé que c'est en vous regardant, pathétiques petits rats réduit à parader dans le sable et à tenter d'être plus humains que divins. Tu l'observes de fuir, fermer la porte derrière lui. Trop bête pour le retenir tu hausses les épaules, lui offre un doigt d'honneur quand la porte fut close.

— Bien bien ! Va donc continuer de te convaincre toi-même. J'espère que t'as préparé ta lettre d'adieu parce que je te donne pas une semaine avant de descendre ton flacon de médoc.

Ignoble, tu songes à quitter l'appartement. Il pourrait vivre avec force. Il pourrait hurler ce qu'il est à la face du monde ! Il serait beau. Il pourrait même être puissant. Mais non. Il te donne l'impression d'un animal s'affamant sous le poids de la honte. Tu poses ta main sur la poignée de la porte. Ezra t'avait toujours fasciné. Depuis le jour où tu avais vu dans ses yeux mornes cette étincelle de colère, ce goût de la revanche. Tu t'étais dit qu'il était comme toi, tout dieux maudit qu'il soit. On t'avait fait passer pour un fou à la colonie, trop bordeline, indigne. Au final c'est ton frère, le plus fou de vous deux qui aujourd'hui dirige. Mais lui tu l'avais convaincu et plus que cela, tu l'avais vu. S'il pouvait accepter sa nature, alors peut-être ne serais-tu plus le seul à pouvoir prétendre te comprendre. Tu ouvres la porte et la refermes, mais tu n'es pas sorti, non. Tu as juste fait croire que tu l'étais, illusion pour le voir sortir de son trou. Tu attends, tapis dans l'ombre, jusqu'à ce que sa porte s'ouvre. Tu le laisses faire quelques pas avant de lui barrer le passage. Pour l'empêcher d'une nouvelle fuir, tu l'attrapes par le poignet.

— Attends !

Tu serres, tires pour qu'il te regarde toi et pas le mur derrière.

— Ça me fait trop chier. Tu me fais trop chier.

Tu secoues la tête.

— J'en ai ras le cul de te voir te complaire dans ton rôle de victime. Tu m'insultes. Je ne remarque pas les lopettes et jusqu'à ce soir je ne pensais pas que tu en étais une. Je me suis trompé, le cadavre ? T'es si pathétique que ça ? Dis-moi que je me trompe.

La gifle part. Elle te retourne la tête. Une vive douleur à la joue, puis ça pique, puis ça brûle. Probablement que ta peau est marquée de rouge mais bien loin d'en grimacer, tu souris.

— Et bah voilà.

Tu ricanes, tournes lentement ton visage vers lui. T'as la victoire plaquée sur la gueule, comme-ci en te tapant, c'est toi qu'il avait triomphé.

— Tu vois que j'ai raison, choupette.

Tu profites de sa paume proche de ta joue pour y coller ta bouche. Tu l'observes, il vient de te donner raison et t'espère qu'il le sait. Il n'est pas n'importe qui. Lui aussi boue de colère. Sa fierté n'est pas morte, loin de là. Tu attrapes son poignet, transformes la main vengeresse en faiseuse de caresse.

— T'as la haine. C'est très bien.

Tu trouves futile et contre-nature cette façon qu'ont les olympiens de chercher à vous travestir. Bien que demis, vous restez Dieu. Tu passes ton pouce au creux de son poignet, te penches légèrement pour souffler.

— Je crois que tu m'as mal compris, tout à l'heure. J'accusais pas nos darons, j'accusais nos gentils représentants. Tu sais, ceux-là même qui trouvent normal de vous garder enfermer ici, comme des rats. Alors qu'on est d'accord, Ezra, tu mérites beaucoup mieux que ça.

Tu te remémores (déforme) le passé.

— J'ai le souvenir d'un fils de Thanatos qui, malgré qu'il râlait, ne partait jamais avant que mes entraînements ne soient finis. Et tu veux savoir pourquoi ? Parce que fils de Thanatos-là, il n'avait pas abandonné sa dignité. Je pourrais t'aider à la retrouver.