Tu jettes tes clés dans l'assiette creuse à l'entrée et ton sac sur la chaise à côté. Pas un regard vers le salon. Pourquoi faire ? Il n'y a jamais eu de monstre tapis dans l'ombre dans ta vie, Midas. Tu glisses jusqu'au frigo, tique sous les raideurs de ta nuque. Voilà depuis hier que tu te sens de plus en plus engourdi. Leon te dirait que tu couves un truc ce à quoi tu répondrais que de mémoire d'homme tu n'es jamais tombé malade. Ce qui factuellement est faux, mais il n'empêche que les fois où ton corps flanche sont si rare qu'on peut les compter sur les doigts d'une main.

Tu t'empares du lait le descend jusqu'à la faim. T'en a plus. Tant pis, t'en volera à quelqu'un. Leon, par exemple, il ne refusera pas de te dépanner d'une nouvelle brique.

Les habitudes sont tellement ancrées que tu ne le vois qu'à la dernière seconde. Tu te figes, écarquilles yeux. Puis soudain le cadavre de la brique de lait tombe et tes jambes se dérobent.

— Put-

Tu te sens vaseux. Tes muscles ne répondent pas. Ton corps est aussi lourd que du plomb. L'enfoiré. Tu lèves les yeux vers lui. Combien de temps que tu n'as pas vu sa gueule de fouine ? Longtemps. Mais quelque part, tu te sens heureux. Ce n'est ni Moon-Lee, ni Seraph qu'il est venu voir. C'est toi.

— T'as un gros problème, frangin.

Tu ricanes, mais ta bouche aussi, tu la sens engourdie.

— Tu pouvais pas juste... M'appeler ? Non ? Ok.

Tu joues avec ta bouche pour essayer d'en redevenir le maître de nouveau.

— Ah...Ah... Chiant ton truc. Tu veux parler de quoi ?

Tout en lui parlant tu agites tes doigts. Deux jours, mais n'est pas n'importe qui. Tu t'ordonnes en silence : "bouge, bouge, bouge, bouge". Et pendant ce temps, tu t'imposes de détourner son attention.

— ... Si tu veux savoir comment te faire enculer par Ellair, j'en sais rien. Demande-lui, je crois qu'il rêve de ça.

C'était donc ça. La vengeance. L'arène. Quelque part, c'était si attendu que ça en devenait ennuyeux. Tu jettes ton regard le plus loin possible. Il n'empêche, c'est toi qu'il tient pour responsable de cette humiliation. Tu en es presque touché.

— Je ne t'ai pas interdit. On t'a interdit. Nuance.

Tu glisses un sourire, rends sa complicité avec une tendresse feinte.

— Personne ne veut de toi.

Et tu sais que ça lui fait mal. Et tu sais que tu ne respires que pour le surpasser. S'il doit avoir un préféré chez les Warren, ça doit être toi. Mais ton assurance te coûte cher. Ton frère fait preuve d'humour et c'est peut-être bien ça qui te fait comprendre que tu vas passer un sale quart d'heure. Cecil est là pour se passer les nerfs et tu ne peux rien faire d'autres que subir pour le moment. Alors foutu pour foutu.

— Hilarant.

J'ai un problème, qu'il dit.

— Content que tu l'assumes.

Tu grimaces de douleur en sentant son pied écraser ta main. Tu plisses les yeux, grogne, souffle.

— Tu sais qu'à la seconde où je vais pouvoir me lever je vais te défoncer.

Tu crois percevoir dans son regard qu'il se sent menacé.

— Oh, je capte.

Tu sens le bout de tes doigts picoter. Encore. Tu dois le faire tenir ENCORE.

— T'as peur. Tu te chies dessus. Whoua, le grand Cecil craint pour sa vie ?

Tu fais tourner ta langue dans ta bouche, fait jouer ta mâchoire. Quelques secondes de silence puis, enfin :

— RAAH !

Un cri puissant destiné à le faire tomber en arrière et lui faire dégager son pied de ta main. Tu tousses, tu y es allé un peu fort mais tant pis. Ce don c'est ta marque de fabrique.

— T'en fais pas, grand-frère, personne ne va te prendre ta place.

Tu souris, les dents blanches et les yeux triomphants.

— C'est tellement plus bon de te voir trembler alors que t'es tout en haut.

Tu le vois voler et ton cœur s'allège. Ah ! Tu vois, en employant toutes tes forces pour pousser sur ta tête, sa tête heurter la chaise. La tête rejetée en arrière, c'est assez gênant dans cette position mais tu ne veux pas perdre une miette du spectacle.

— OUCH !

Tu ris, sonore et joyeux. Cecil se relève, tu lui souris avec insolence. Quelle humiliation ce doit être pour lui. Même paralysé tu arrives encore à la coucher.

— Ouuh, attention, Cecil, papa déteste le manque de respect.

Tu jubiles, mais tu sais ton frère plein de ressource. Évidemment ! Après autant de temps sans te voir, il ne peut pas se contenter de quelques minutes en ta présence. Ah, qu'il t'avait manqué. Tu sifflotes, écoutes ton frère occupé à affirmer sa position en tant que leader. L'occasion est trop belle, Seraph te pardonne, mais Cecil mérite de vivre dans la peur.

— Oh, ça a été très sérieusement discuté. Beaucoup s'accordent à dire que tu es un véritable pète-burne. T'es chiant. T'as une sale gueule. Oh, et t'es pas si intelligent que ça. Seraph ferait un bien meilleur chef de fratrie que toi, ça tout le monde s'accorde dessus.

Tu forces avec démesure pour mimer un haussement d'épaule. Le résultat est peu probant.

— Mais je te le redis, personne ne tentera rien contre toi, grand-frère. Tu veux savoir pourquoi ? Parce que je leur ai dit que c'était une erreur.

Tu bats doucement des cils.

— Alors tu devrais me dire merci, hm ?

Tu le tiens. Il n'y avait pas plus beau cadeau de voir ses yeux se faire orageux. Tes mots ont du pouvoir et tu jubiles et respires pour toute forme de pouvoir sur lui. Tu sens tes muscles se détendre. Tu n'es pas assez stupide pour bouger tout de suite, tu attends dans tes chaussures, tu bouges discrètement tes orteils. Tu sens les sensations te revenir, ton corps redevenir tien. Oui. Oui. Oui.

Cecil plante le poignard entre deux de tes doigts. Tu souris, un peu fou, ta seule vraie réaction face à la peur, car jamais un fils d'Arès ne tremble. Ton père rit devant la douleur et le danger alors tu fais de même.

— Parce qu'à ta place tu n'es rien, frangin.

Tu tournes la tête vers lui, le regardes en battant doucement des cils.

— Qui t'es, Cecil, parmi tous ces autres demi-dieux qui siègent au conseil, hein ? T'es peut-être le "meilleur" d'entre nous, mais à l'échelle des autres ? T'es qu'un cul posé sur un siège parmi tant d'autres.

Tu bailles, prends délibérément peu au sérieux la violence de tes mots. Tu ronges son ego, attaque son refuge. Tu veux le ramener à ce que tu as toujours voulu qu'il soit : rien. Mais surtout, tout à toi.

— Tu le chef de notre fratrie, bravo, et peut-être que chez les Athéna ou les Dionysos ça a de la gueule, mais chez nous le seul titre qui compte c'est celui de champion... Et je crois que Seraph t'en a collé une, non ?

Tu occultes tous ses suivants. À tes yeux, il y avait des vrai et des faux fils d'Arès. Pour tes frères dignes et véritables à l'image de Seraph, Leon ou Sohel, tu avais du respect, de l'amour même. Mais aux yeux des fils frauduleux tu n'avais que du mépris. Cecil avait pour seul mérite que dans le fond de ton crâne tordu tu l'aimais aussi.

— Bon j'en ai marre c'était sympa d'être allongé mais... AAH !

Tu hurles pour le sonner et bondis sur tes pieds. Tes mouvements sont un peu chancelant mais qu'importe, te voilà de bout ! La force brute de ton côté, tu te jettes sur Cecil pour le plaquer au sol et mettre tout ton poids sur lui. Tu souris, trop heureux de ce retournement de situation.

— Aaaaah, Cecil. T'sais quoi, mon frère, tu me manques. Si tu m'aimais mieux....

Tu appuies tes prises, à chaque mot tu le plaques un peu plus fort.

— Avec plus de respect.

Encore.

— Plus de dévotion.

Tu te penches sur lui.

— Je pourrais peut-être te forger une vraie réputation. Car on m'écoute, moi.

Un grondement hilare remonte jusqu'à ta bouche. Tu te penches, appuies sur son corps, bien conscient de tout le malaise que tu lui fais ressentir, hors tu ne respires présentement que pour ça. Quel bonheur d'inverser la situation. Quel plaisir de la laisser arriver en roi et de le faire repartir aussi bas d'un larbin.

— Hahahahaha, aaah, Cecil... Ceciiiil.

Son genou se fige dans ton ventre. Tu contractes mais tu n'es pas insensible aux coups. Le second te force à perdre ton souffle et à relâcher ta prise. Il en profite pour inverser vos rôles. L'estafilade a ta joue te pique, mais tu ne baisses pas les yeux. Tu bondis en arrière, te redresses, bras écartés.

— Sans tes poisons et tes mesquineries tu ne vaux plus grand chose, hein ?

Tu penches la tête.

— Quel frustration ça doit être, grand-frère... Quand tu peux préparer le terrain tu es redoutable mais dans l'action même... Tu tien plus d'Hermès que d'Arès.

Tu souris. Trop fier. Trop heureux. La vérité c'est que tu le détestes tout en adorant les moments où il vient se présenter à toi. Tu existes entièrement pour lui dans ces moments-là. Et tu aimes. Dieux que tu aime exister.

— Moi, j'attends mon heure. J'ai un grand projet ! Un grand destin ! À quoi ça sert d'être le chef d'une fratrie ou d'un clan quand bientôt je serais une légende vivante ? Non, non, papa, me destine à quelque chose de plus ouf !

Tu sors de ta botte un couteau que tu viens passer de ta main à la sienne.

— Bon, qu'est-ce qu'on se fait ? On peut pas se tuer. Tu perdrais ton poste. Moi je perdrai ma liberté, c'est naze. Que dirais-tu d'un câlin ? Maman est si triste de ne pas avoir de tes nouvelles... On pourrait prendre un selfie, lui envoyer.

Tu évites de justesse le couteau. Assez rapidement pour qu'il ne te tue pas, trop lentement pour ne pas qu'il t'entaille. Tu étires ta nuque, avises la lame plantée plus loin.

— Tu te vexes vraiment pour un rien, c'est fou ça.

Le culot, venant de toi. Mais le culot est ta marque de fabrique. Tu poses une main sur ta hanche, une autre sur ton visage pour te pincer l'arête du nez dans un soupir.

— T'es vraiment pas facile à vivre.

Alors qu'il passe pour gagner la porte tu le retiens par le poignet. Tu le tires violemment à toi pour attraper ton portable et prendre le selfie de force. Une fois fait, tu agrippes à la gorge pour le plaquer contre le mur au couteau. Tu te saisis de sa propre arme pour aller dessiner un trait rouge sur sa joue, similaire aux tiennes.

— Laisse-moi te rendre la politesse au moins, frangin.

Tu souris, exultes, plante un baiser sur sa joue avant de lui rendre son couteau et de t'éloigner.

— Tu repasses quand tu veux, Cecil, j'adore passer du temps avec toi !

Ah, souvent tu regrettes votre vie commune, lorsque tu le traînais dans la boue devant votre mère. Tu as toujours adoré vos jeux.