T'embrasses la salle du regard, désormais vide. Perché sur l'estrade, tu comptes les secondes avec impatience. C'est que tu es un enfant aussi dépendant que turbulent. Cecil et Seraph t'ont un peu trop oublié ces dernières semaines. Trop occupés à tourner autour de gens que tu n'estimes pas, trop ennuyants, trop sages. Et tu as de mal à accepter qu'on ne gravite pas autour de toi, le bâtard adorable. Tu sais que tu as attisé sa colère, Seraph est ton digne frère. Taillé dans le même bloc dur de fierté que tu as pris un malin plaisir a sauvagement fracassé. Pourtant, tu n'as dit que la vérité. C'est sa punition pour avoir été faible et pour t'avoir un peu abandonné.

Tu te balances d'avant en arrière, les mains dans le dos. Jusqu'à ce qu'il t'appelle et ton sourire s'élargit sur tes lèvres. Tu réprimes un frisson. Tu te demandes si vous allez vous battre avec les poings ou avec les yeux. Tu te tournes, le visage plus neutre, sans pour autant réussir à faire disparaître le très léger rictus qui tord ta bouche.

— Tout de suite, mon frère.

Insolence. Il te prend la main, tu te demandes. Va-t-il te frapper ? Te tordre le poignet ? Tu as besoin de ses démonstrations de force pour ne pas le dévorer. Il faut qu'il te remette à ta place, sans quoi tu le saccages. C'est son devoir. Dans votre fratrie, il n'y a que de lui, Leon et Cecil que tu imposes pareille pression. Et il doit se douter, Seraph, de ce que tu peux être lorsqu'on te déçoit. Il suffit de voir ton frère, le vrai, le seul, pour le savoir. Alors quand la cigarette s'écrase contre ta paume tu réprimes un cri. Serre les mâchoires avec force, grimace, mais ton cœur est à l'euphorie. Voilà un fils d'Arès digne ! Voilà un frère digne de toi ! Tu lèves les yeux vers lui, glisses, comme-ci tu ne t'en doutais pas.

— Oh, je vois. T'es fâché.

Vexé serait plus exact mais tu as d'autres mots pour le lui expliquer.

— J'ai pourtant dit la vérité. Tu t'es fait battre, ta copine s'est fait buter. Tu peux pas réécrire l'histoire.

Tu hausses les épaules, finis par dégager ta main et la secoué avec nonchalance pour gérer la douleur.

— C'est de l'avoir dit devant tout le monde qui te gêne ?

Tu fronces les sourcils, soudain une idée te vient et elle ne te plaît pas. C'est avec du reproche que tu le regardes.

— Quoi ? Me dit pas tu crains pour ta crédibilité, Seraph ? Depuis quand tu crains la bande de danseuses qui nous sert de clan ? T'as peur de qui ? Moon-lee ? Ptdr, il te sucerait s'il le pouvait. Sohel ? Il s'en carre le cul d'être chef. Divine ? Ouais... Ouais Divine ouais, je comprends. Mais elle aime trop la loi, elle serait pas très populaire sur le long terme mais putain je la travaillerait au corps jusqu'à ce qu'elle donne la fessée.

Il te tient à la gorge et tu penses "enfin ! enfin !". C'était mou, doucereux. Mais tu aimes Seraph quand il sort de ses gonds. Tu l'aimes grand ! Puissant ! Impitoyable ! Il est ton grand-frère, ton modèle. Le voir en de ça de ce qu'il peut être te fait mal. L'impression de voir le corps pourrir, la combativité mourir. Tu as eu peur de le voir s'éteindre. Mais Il est toujours là. Ton frère. L'homme qui a eu le malheur de susciter ton admiration et ton amour. Tu ne permets pas la faiblesse dans ton affection.

— Ah... Là je te retrouve.

Tu grimaces, sa poigne te fait mal. Il n'y va pas de main morte mais tu ne ressens aucune colère, juste de l'excitation et de la joie. C'est comme voir un gladiateur presque vaincu se relever pour combattre avec honneur. C'est beau. Et tu respectes ça plus que tu ne respectes ta propre mère. Mais tu sens comme une moue dans ta combativité. Ton cœur se calme un peu plus. Et si le sourire ne disparaît pas. L’émulsion du moment laisse place à une tendresse raisonnable, bien que brutale.

— J'avais peur que tu ne te fanes. J'en ai vu des grands guerriers s'éteindre après une défaite. J'avais peur que tu déprimes, Seraph.

Tu étends la main, imposes un doigt sur sa nuque.

— Si tu deviens faible, moi je vais devenir incontrôlable. Tu as promis de ne pas me laisser tomber, tu te souviens ? T'as pas l'intention de m'abandonner comme Cecil, hm ? Fallait que je vérifie.

Tes doigts remontent jusqu'à son menton que tu prends. Tu souris, une tendresse insolente dans les yeux.

— Je suis ravi de te revoir parmi nous, Seraph.

Tu hausses les épaules, flirt avec les limites, l'interdit. Insolent, tu danses à la frontière de la ligne, sans jamais la dépasser. Peut-être qu'il rêve, peut-être qu'il ne rêve pas. Qui sait ?

— Non, du moins c'est ce que je crois. C'est pour ça, il fallait que je m'en assure... C'est que tu te ramollis, Seraph.

Ton plus grand amour est la guerre et tes plus grands amants les guerriers qui la pratique. En ça, Seraph est la plus douce des âmes-sœurs. Tu l'aimes de façon platonique, mais avec passion. Il ne doit pas être faible, il n'a pas le droit. Tu es là pour le lui rappeler dès qu'il a le malheur de laisser ses muscles se relâcher une seconde. Seraph est sous-tension, ne peut s'offrir le luxe d'aucun repos. Tu ne dis pas que c'est cruel et injuste. Tu ne dis pas que ton frère pourrait en devenir fou. Tu crois en Seraph plus que tu ne crois en tout les autres. En soit, c'est presque une malédiction. Seraph doit être parfait pour que tu puisses le devenir également, lorsque tu l'auras surpassé.

Et comme pour te donner raison, le voilà qui te gifle. Ta tête décolle sur le côté et la douleur irradie et te paralyse la moitié du visage. Tu sens le sang envahir ta bouche.

— Ça fait mal putain.

Pourtant t'as l'air pleinement satisfait. Et comme il te mate comme tu le demandes, tu adoucis.

— D'accord, d'accord, excuse moi j'ai été trop loin.

C'est à la fois sincère et mensonger. Tu veux te faire pardonner, mais tu ne prends aucunement acte de tes fautes. Tu passes ta main sur ta mâchoire comme pour la remettre en place.

— Mais avoue qu'il y a de quoi s'inquiéter, pour le clan j'veux dire.

Tu le regardes, un peu plus sérieux, un peu plus bras droit.

— On se ramollit. Les autres parlent de se comporter en bon petit citoyen, mais je pense qui si on se met à imiter les olympiens on signe notre arrêt de mort, Seraph.

Tu le désignes du menton.

— T'en sais quelque chose. Ils sont puissants dehors. Et on n'est pas armés.

La faiblesse de votre race te dégoûte. Tu craches au sol.

— J'ai soif de guerre, Seraph. Si j'ai plus droit de me défouler, je vais péter un câble. Tu ne peux pas me le reprocher, je suis le digne fils de mon père, mon sang réclame la guerre.

Toi aussi, dans le fond, t'es terrifié à l'idée d'être faible.

Ah. Par Arès tout-puissant. Par les dieux. Voilà comment tu l'aimes. Quand il menace la cité tout entière, quand il te regarde de toute sa hauteur avec son regard de prédateur pour te promettre la conquête. Quand il devient le portrait craché de votre père. Quand tu as enfin la sensation de le voir, lui, ton dieu adoré, fait de chair et d'os. À ce moment-là, tu redeviens ce petit garçon amoureux aux yeux brillants et au sourire un peu fou. Tu sens ta poitrine se gonfler, ton ventre gronder d'excitation.

— Tu as un plan ?

C'est terrible comment tu n'es qu'adoration après l'avoir menacé de tes griffes à son cou. Il t'a conquis. Il t'a apaisé pour cette fois. Il a réussi ou peut-être est-ce toi qui as réussi. Qu'importe, tu ne réfléchis pas à ce point. Tout ce que tu veux c'est le voir grand. Ça n'en sera que plus beau et digne de vous quand tu lui prendras sa place. Car c'est ainsi qu'Arès veut les choses pour toi. Tu le sais, ta mère te le répétait tous les jours : tu es spécial.

— Je te comprends oui, c'est justement pour ça.

Tu t'approches demande, aussi extatiques qu'un enfant devant la promesse d'un parc d'attraction.

— Qu'est-ce que t'as prévu ? Comment on procède ? Dis-moi ! Putain je tiens plus depuis le temps que j'attends ça !

Tu fronces les sourcils cependant.

— Est-ce que ça implique de se débarrasser de quelques Spartes ? Parce que j'ai ma petite liste noire. Il y a beaucoup qui crache sur notre héritage et notre devoir.