Je cherche, je cherche ; je me demande encore ce que je fous là. Quelques mois après un éprouvant voyage en Californie, tout ça pour trouver mon père sur son lit de mort. Depuis ; je sens que je ne suis pas moi-même, je sens que quelque chose cloche.


Je pourrais nier l’évidence et me retrancher derrière mon mur de nonchalance et d’insouciance… mais je pense qu’à un moment donné il est de bon goût de s’émanciper un peu d’une mère qui ne sait faire que ça.

Néanmoins, si j’ai besoin de parler, ça ne sera pas avec n’importe qui. Certainement pas quelqu’un à Nausikaa. Ni mes frères et sœurs, ni mes amis, ni des inconnus pour des raisons évidentes.

Plus mes options se réduisaient et plus je devais me tourner vers le choix le plus logique : un professionnel. Il est évident que je vais devoir causer en métaphore un petit peu. Je me vois mal raconter que je suis un fils d’une déesse grecque qui s’en fout un peu de ses mômes. Parce que là mon seul point de chute sera l’asile.

Je dois avouer que mon choix s’est fait au hasard… qu’ainsi je ne sais absolument pas quoi attendre de cette séance. Et si je n’avais pas la flemme, je serais déjà parti en courant. Je dois l’admettre, je suis un peu curieux ; c’est une raison qui me pousse à rester les fesses visées sur ma chaise dans la salle d’attente.

Quels sont mes maux ? Comment les guérir ?
Est-ce qu’ils existent seulement ou c’est mon imagination ?
Est-ce que c’est d’abord l’œuf ou la poule ?

Ah. Trop tard ; vient mon tour.
Quand faut y aller…

— Bonjour docteur.

Je remarque l’évidence… mais je garde mon commentaire pour moi-même.

— Oh… ça a l’air confortable.

Je parle du sofa, hein. N’allons pas trop vite.
 

Elle m’incite à prendre mes aises ; la pauvre, elle ne se rend pas compte de ce que ça implique. Si je me détends trop, je sais d’avance que je vais piquer un somme. Pour elle ça ne fera pas vraiment de différence non ? Après tout, c’est moi qui paye la séance, pas l’inverse.

C’est plutôt rare un docteur qui propose à ses patients d’être aussi familier avec eux ; c’est à la fois intrigant et rafraichissant. Et puis… qu’est-ce que j’en sais moi de leurs méthodes ? C’est la première fois que je vois une psy ; et par pitié, faites que ce soit la dernière.

Quoique… sans parler de ses compétences, il faut admettre qu’elle a d’autres arguments qui pourraient motiver une autre une visite. J’y allais un peu à reculons au départ ; mais maintenant je suis d’autant plus curieux.

Confortablement installé sur son mobilier, les lunettes toujours scotchées sur mon nez ; marmonnant dans ma barbe :

— Eh beh… ça promet d’être intéressant.

Un petit soupir qui s’échappe de mes lèvres alors que je m’enfonce dans le fauteuil. Et maintenant quoi ? Devant le fait accompli, je ne sais absolument pas quoi faire, comment me comporter ? Même à mon âge je découvre encore des choses et j’ai l’impression d’être un gamin perdu dans une forêt.

Mais comme ce n’est pas vraiment mon genre de changer ma nature selon les interlocuteurs… autant rester fidèle à moi-même.

— Ouais. Définitivement confortable. Par curiosité, est-ce que la sieste est facturée au même prix que la séance ? Un rire nerveux qui se veut mutin. Nan plus sérieusement ; je m’excuse, mais c’est la première fois que je fous les pieds dans ce genre de… cabinet. Je ne sais absolument pas comment me comporter et encore moins de quoi parler. Ce qui est incongru dans la mesure où les gens sont censés étaler leurs problèmes, comment ça se passe avec papa ou maman, patin couffin…

Ce manque de tact est aberrant.

— J’ai un peu l’impression d’avoir le syndrome de l’imposteur et vous faire perdre votre temps. Mais maintenant que je suis là… autant en profiter. Je ne sais pourquoi l’envie me prend de taper dans mes mains comme une sorte de ponctuation, mais nous y voilà. Bon alors, de quoi vous voulez parler docteur ?

Le ricanement moqueur. Toujours un manque absolu de tact.

— De quoi pourrait-on parler ?