Chevelure coincée en une couette trop haute, trop sévère, Miel sautillait sur ses pieds à peine chaussés. Le temps jouait contre elle un bien cruel tour, le réveil fut ignoré par ses soins et le petit déjeuner trop longtemps prolongé en faveur de lecture et contemplation. Et voilà qu’elle courrait d’un pas légèr au milieu des rues, on se poussait pour la laisser passer, les émotions de colère tâchaient ses yeux clairs de larmes d’angoisse pendant que Miel gémissait ses excuses d’une voix hâtée.

On lui excuserai bien ses absences, ses retards, on savait tout à fait de quel bois était fait Mielikki. On le nommait avec politesse ceux des rêveurs ou des ahuris, elle en riait elle-même parfois mais c’était bien terne comme rire. L’agacement venait la toucher et elle s’en retrouvait bien souvent défaite, bloquée dans sa chair par des sensations désagréables.

Au loin, elle fit une silhouette.
Imposante comme cette montagne tant décrite par les auteurs et les penseurs, paisible comme la neige d’un décembre entamé, la joie inscrite sur sa chaire comme une enième preuve de sa tendresse.

Winnie.

Le monde perdit sa structure pendant que la liesse envahissait la moindre de ses pensées sensibles, il ouvrait les bras face à elle, rugissait son nom et elle courrait plus vite.

Sentait-elle le sol sous ses pieds ?
Sentait-elle l’air fuyant de ses poumons ?
Sentait-elle les regards curieux qu’ils attiraient ?

Rien de tout cela n’avait de place dans l’esprit de Miel, elle remonterait des courants furieux et des mers agitées pour cette sensation. Dans ses bras, soulevée comme si elle ne pesait rien, elle se noyait dans son odeur, le coeur douloureusement vivant en sa poitrine.

Tourbillonnant dans leur propre gravité, elle rit son nom. La prochaine fois qu’elle vivrait, lui qui lui avait compté les multiples vies des bouddhistes, elle aimerai être le soleil recouvrant ses pas. Mais on ne le dit pas, elle sourit dans ses bras, chevelure détachée par l’impact, ce bonheur dans laquelle elle se noyait n’avait pas de fond.

D’un japonais maladroit, un peu hésitant, un peu enfantin, celui qu’elle ne donnait qu’à lui, elle lui demanda :

-Comment tu vas Winnie ?

Car si il n’allait pas, elle lui offrirait comme médicaments les plus belles et les plus rares de ses plantes. Les nuages et les étoiles dans un verre pour le voir rire encore une fois.

-Tu as encore grandi, je t’assure.

Petite conversation naive, et rien n’existait sauf eux.

 

Miel définissait bien peu de choses comme impossible, tout entière dévouée à l’idée un peu naïve qu’il suffisait d’aimer et d’attendre pour que le monde vienne s’allonger à ses petits pieds. Mais décrire un monde sans Lui traçait sa marque parmi les impossibles de son inconscient, dans ses bras, ensevelie dans cette odeur indescriptible et si prégnante, Miel souriait pour elle toute seule. Un miracle qu’elle portait dans son cœur comme un secret de douceur, une rougeur vite effacée pour ne laisser place qu’à ce regard ancré dans le sien.

Il mentionnait la bibliothèque, étrange terme dans ses lèvres appelant des souvenirs plus anciens, presque effacé, presque oublié comme une boue sur le visage d’une statue divine. Elle se perdait dans ses yeux, perdait le sens des choses ordinaires et c’était en pouffant un peu qu’elle eut envie de lui répondre. Les sons tranchaient doucement dans sa bouche, Winnie parlait d’un ton feutré, les termes comme des petites perles de savoir qu’il confiait entre ses doigts épais.

Le japonais fut pour Miel, ce trésor enfoui sous les mers, une langue dont l’intimité du sens n’appartenait qu’à eux. Derrière les yeux marqués du peuple Yamato, elle voyait les générations passées à le concevoir lui, bénis par les dieux et bénis par son propre sang. Il semblait être à sa place partout où ses pas le guidaient, inspirant pleinement cette force dont il était pour Miel, le plus suprême gardien.

Pensées dissolues, que dire.

-ça va!

Injonction dure, rappel à l’ordre de ses propres sens.

-Je..oui, à la bibliothèque. C’est le travail. Je ne suis..pas trop en retard?

D’un haussement d’épaule, Miel rejetait toute la subtilité de ce que cela impliquait. Travail, être en retard ? Oh non, elle avait bien quelques secondes à lui donner et à épargner pour l’entendre rire. L’entendre s’esclaffer à plein poumons de ses bêtises proférées, elle savait bien qu’il n’avait pas grandi. Mais quand elle était proche, si proche de lui, que ses doigts s’aventuraient dans ses cheveux, que son ombre écrasait l’orgueilleux soleil par sa présence.

Il lui semblait bien qu’il était de plus en plus immense et qu’un jour, elle ne verrait que lui, n'attendrait que lui.

-Très drôle Winnie, très drôle. Je sais que tu mens et que tu as pris 40 centimètres, ma tête arrivait plus haut la dernière fois.

D’une moue taquine, elle s’amusait à comparer ce qu’elle fut avec ce qu’elle est. Aucun changement notable, le monde continuait de les regarder mais elle ne voyait que lui.

-J’ai vu ton stream hier soir, c’était vraiment super cool!

Elle taisait le reste, elle taisait sa fierté, elle taisait qu’elle avait lu les commentaires, la déception face à certains termes. Mais si il pouvait être encouragé à continuer sur cette voie, alors elle l’encouragerai jusqu'à ce que son souffle se perde.


 

Avait-elle bien besoin d’être bénie ? Miel aurai voulu l’empêcher de gaspiller ses dons sur elle, la faute était sienne et la punition comme le courroux siens à porter et à supporter. Avant qu’elle ne puisse esquisser un mot, elle ressentit cette fraîcheur glacée sur sa peau, la grisante sensation d’un bonheur à portée de mains. Elle aurai voulu se saisir de ses mains et lui professer quelques mots de remerciements, mais tout son corps refusait de continuer ce jeu.

Brûlure délicate, comme un feu dont l’intensité ne pouvait que croître, Miel subissait les affres de son âtre. Elle savait que ce jeu n’était le bon, pas celui que deux amis peuvent maintenir. Et pourtant, elle aimait sa main dans ses cheveux, l’idée que face au monde il pouvait se dresser.

Un éclar d’égoisme la transperçait, combien elle maudissait les amants heureux et les aimés satisfaisaits. Un sourire peiné maquillait ses lèvres, un regard empoisonné par la joie de Winnie et elle rit à son tour, visage déchiré remit en place à la hâte.

Cela ne servait à rien, Mielikki.

-Tu as gâché tes bénédictions.

De sa main plate, elle le repoussait en riant. Ces rires paraissaient comme les battements réguliers des ailes de colibri, le malheur ne touchait guère ce qui était trop petit pour être digne de la fatigue qu’était de le tuer. Et voilà qu’il s’étirait, se superposait, offrait au monde tout le relief de sa présence. Elle tremblait, s’effritait, son rire comme pour démolir les fondations de sa raison.

Elle riait à son tour, plus fort, trop fort. Chaleur diffuse dans ses intestins qu’elle s’occupait de teindre des lueurs du monde. Winnie rendait le ciel d’un bleu profond et éternel, et quand bien même, elle était pour lui que cette faible nuance d’un bleu tendre, elle existait. Oui. Le feu s’éteignait, étouffé par la sérénité de sa promesse.

-Te fous pas de moi.

Pichenette sur sa joue, un monde détruit.
A sa question, elle demeurait dubitative, bouche entrouverte et tête penchée. Qu’avait-il à comprendre après tout ? Les classes étaient assimilés, les rôles appris sur le bout des doigts, la stratégie toute entière contenue dans ses lobes cérébraux, les maps mémorisées, pour lui rendre conseil.

-J’imagine ? Je veux dire, le but, c’est de gagner ? Pourquoi, il y a un truc supérieur à deviner?

Ses yeux posés sur ceux trop sombres, divine nuance pour mieux lui demander ses secrets.

-Bien sûr que oui, j’ai ri.

A défaut d’en mourir, elle avait bien ri.

-Je force ma famille à regarder aussi, comme ça, hop. Tous ensemble derrière toi.


Le sac qu’elle remet sur son épaule, les adieux déjà sur le point d’être prononcé, elle s’attardait comme pour un rêve bientôt terminé.
 

On volait des instants comme les enfants plus téméraires volaient les bonbons dans les larges bocaux. Miel n’aimait guère les excès de gourmandise mais chat à la patte tendue sur le comptoir de la confiserie, elle s’empiffrait du bonheur de ses instants. Il avait beau consoler ses petites peines de ses grands mots, elle portait en elle le doute d’être une profiteuse de ses bienfaits. A l’égoisme de l’amour, elle s’y refusait avec tant de véhémence qu’elle finissait par se blesser et le blesser mais de ses yeux humides, de ses petites manies timides, elle le remerciait.

D’exister à ses côtés, le temps que leurs pas se mêlaient. Son coeur pouvait bien se compacter de peine, elle ne préferait en garder que la joie d’avoir pu ressentir toute la largesse que le fait d’aimer procure, alors elle rit de ses manières, rit de sa douleur dessinée à grands traits comme le masque des acteurs de Kabuki.

Des trésors et des ordures, on ne conservait que les choses les plus brillantes.
Miel ne gardait de ce retard que la lueur de cet homme, tout entier contenu en ses mains.

-Voyons qui pourrait te détester ?

C’était une question rhétorique, sans fond et sans forme. Il ne restait que la question qu’un être puisse ne pas l’aimer lui dans sa grandeur et l’idée confuse que ses actions pouvaient lui porter préjudice. Ne comprenait-elle rien aux sports vidéoludiques, elle dont l’esprit se saturait de ces flashs et de ses sons, elle avait aimé les mots et les rires de Winnie, ses complaintes et ses doutes. Même si il venait à perdre par l’accident du talent et de la compétence, il gagnait toujours à être connu.

Se disait-elle.

Miel reculait pas encore, les épaules déjà lourdes de la tâche à venir. La déception de sa voix lui plait furtivement avant qu’elle ne se sermonnait d’entretenir de tels choses.

-Oui, le travail.

Tristement, l’accent se faisait plus discret. Un bref rire égayait ses gestes avant qu’elle appuyait sur ses mains ses lèvres, mains ainsi bénies qu’elle appuyait sur la main de l’homme.

-Estime que ça c’est ma bénédiction pour ta journée, j’espère qu’elle sera belle et profites bien. Au revoir, Winnie, on se recontacte!

Et avant qu’il ne comprenne, avant qu’il ne lui en veuille,

Miel disparut, le fracas de son coeur en déroute couvert par le martèlement de ses pas.