Mille couchers de soleil en un seul déclinent sur les rebords de sa vitre en sourires toujours plus narquois. Les nuits se relient aux jours et les jours se délient à l’angoisse indélébile qui écrase. Sa tête, il lui semble, est vide – de ce vide troublant de l’après tempête, plus de l’épuisement qu’autre chose en réalité, alors que ses pages, elles, débordent. Et il s’agit d’un épuisement puisque ces pages le siphonnent, s’étalent sagement à ses mots au départ pour finir en soliloquie chargée de céphalées. Il s’abjure lui-même de ses faiblesses, les mots lui rient au visage et promettent à sa chair un sort d’infamie. Il se lève pour chercher de l’eau et distraitement – les nerfs en lame de couteau et les yeux voilés par les angles vifs de ses propres jugements – la porte à sa bouche et y reste suspendu, son goût étrangement âcre lui fait réaliser que ses lèvres vicieuses l’ont corrompue en mauvais vin.
La couleur lui rappelle le sang de Leon qu’il a lavé de sa chemise, la veille encore, les sillons de son rouge qui tourbillonnent comme un mauvais rêve contre la porcelaine de son évier.

Il renverse son verre sur la page et regarde l’encre se diluer au vin.

C’est le son régulier de quelqu’un à sa porte qui le réveille à moitié.
Il ne s’attend pas à la voir mais le timbre de sa voix semble souffler en lui quelque chose de primaire, de profondément humain, et c’est contre son étreinte qu’il réalise que de toute la journée il n’a rien vécu que l’angoisse. Oh, Lou. Un soupir pour que la voix ne fléchisse pas. Il la serre contre lui avec toute la force d’un seul bras et pendant un moment il ne dit rien, et même là il se sent faible, las. C’est affreux, Lou. On ne sait toujours pas où il est et moi- toujours debout, là sur le seuil de sa porte, verrouillée au monde dont il ne veut plus voir l’éclat, moi, dit-il, ignoble et fragile moi, inadéquat- Je ne sais pas ce que je dois faire. Je ne peux rien faire. Je n’y peux rien.